« For what fetters can bind so strongly, Hortensia, as those fastened on the mind ? » : Catherine Macaulay ou le parcours d’une historienne oubliée
Par Hélène Palma
Ce texte est tiré d’une communication donnée en juin 2008 à l’Université d’Orléans lors du Congrès de la Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur.
« As a historian, a political polemicist, a ‘learned lady’ with scholarly pretensions, an independent and fearless critic of all she thought wrong, Catharine Macaulay broke every rule in the eighteenth-century book on how a woman should conduct herself and the role she should occupy. Her second marriage to a man twenty-six years her junior and socially inferior was further proof of her rejection of acceptable standards of behaviour » (Bridget Hill The Republican Virago, The Life and Times of Catharine Macaulay, Historian,130, London : Clarendon, 1992).
Environ trente ans avant la naissance de la célèbre Mary Wollstonecraft, la vie de Catherine Macaulay semble correspondre à l’émergence d’un type de comportement féminin très nouveau et inhabituel pour cette époque.
Catherine Macaulay était en effet une femme de caractère, vigoureusement opposée aux stéréotypes féminins, animée d’un insatiable appétit de connaissances, dotée d’une solide culture philosophique et d’une véritable passion pour l’Histoire, à laquelle elle a consacré la majeure partie de sa vie. Catherine a aussi passé beaucoup de temps à revendiquer en faveur de l’éducation des filles et s’est constamment montrée indifférente sinon provocatrice à l’égard des critiques et des convenances de son époque : femme, elle se défiait de plaire aux hommes, montrait très peu de coquetterie et séduisait pourtant ; veuve, elle épousa en 1778 un homme plus jeune qu’elle de 26 ans et dut affronter la très vigoureuse réprobation de son entourage et de la société ; férue d’Histoire, elle entreprit l’écriture de History of England from the Accession of James I to that of the Brunswick Line, en huit volumes :un travail de recherche historique qui occupa vingt ans de sa vie à une époque où les historiennes n’existaient pratiquement pas. Ses livres d’histoire connurent un succès particulièrement grand aux Etats-Unis où elle reçut les félicitations de George Washington avec lequel elle correspondit abondamment. Catherine était en outre dotée d’un grand courage politique qui la conduisit à soutenir ouvertement la cause indépendantiste des colonies américaines et à participer avec son frère à la constitution d’un petit parti républicain en Grande-Bretagne. Catherine Macaulay n’a pourtant pas marqué la postérité autant qu’elle l’aurait mérité. L’Histoire de l’Angleterre qu’elle a écrite est bien moins souvent évoquée que celle de David Hume. Ses autres écrits passent quant à eux inaperçus. Il semblerait que Catherine Macaulay, femme, érudite et provocatrice, ait fait les frais d’un backlash, c’est-à-dire de la résurgence, au XVIII° siècle, de valeurs moralisatrices et d’un discours misogyne qui ont vigoureusement rappelé les femmes à l’ordre.
Itinéraire personnel
Catherine Sawbridge[1] naquit le 2 avril 1731 dans la paroisse de Wye, dans le Kent. Elle était la fille de John et Elizabeth Sawbridge of Olantigh. Elle mourut en 1791. Catherine avait deux frères, John et Wanley, ainsi qu’une sœur, Mary. La mère de Catherine mourut en couches en 1733, à l’âge de 22 ans. Elle laissa quatre enfants orphelins de mère, dont Catherine qui n’avait que deux ans. Dès ce moment, l’éducation des deux fillettes fut confiée aux soins d’une gouvernante aux connaissances très lacunaires.
Rapidement Catherine montra des signes d’insatisfaction face à cette éducation pauvre dont elle ne pouvait se contenter :
Clearly, there were two levels to her education ; the formal education she and her elder sister, Mary, were intended to receive from their governess which, almost certainly, was indistinguishable from that of the vast majority of their sex ; and the informal that relied on her own curiosity and freedom. (Hill, 9-10).
C’est ainsi que Catherine s’appliqua à apprendre l’histoire grecque et latine et, grâce à la copieuse collection de livres que possédait son père, put se constituer une solide base de connaissances :
She found the customary advocations of her sex and age boring. Active and curious she thirsted for knowledge. She found her way into her father’s well-furnished library. She became her own purveyor and rioted in intellectual luxury (Hill, 9).
Le 18 juin 1760 Catherine épousa George Macaulay. Elle avait 29 ans. Elle trouva auprès de ce médecin un soutien sans faille à son développement personnel et à son travail d’historienne. C’est en effet à cette époque que Catherine commença à envisager d’entamer l’écriture d’une histoire de l’Angleterre. George Macaulay, très fier du travail de son épouse lorsqu’elle eut fini le premier volume, en fit parvenir une copie à David Hume. Cet époux affectueux décéda seulement six ans après son mariage avec Catherine, à l’âge de 50 ans.
Grâce au succès de son premier volume d’histoire, Catherine put rapidement se contruire la réputation d’une penseuse et historienne de qualité. Elle travailla intensément durant toutes ces années, à raison d’un volume par an, à la rédaction de ce qui devint une analyse fouillée en huit volumes de l’Histoire de l’Angleterre: History of England from the Accession of James I to that of the Brunswick line. Catherine continua d’être respectée, sinon même adulée, pour ses travaux, jusqu’au jour où, du fait de son mariage en 1778, avec William Graham, un jeune homme de 21 ans et de 26 ans son cadet, elle fut littéralement mise au ban de la société. La statue qui avait été érigée en son honneur dans la ville de Bath où elle résidait fut déboulonnée en signe de désapprobation de sa conduite. Son mariage avec ce jeune homme suscita aussi beaucoup d’écrits d’un goût souvent très contestable comme ce poème, « A bridal ode on the Marriage of Catharine and Petruchio », publié à Londres en 1779 par un anonyme, qui s’attarde pesamment sur la sexualité supposée de ce couple jugé contre-nature.
Erudite et historienne
Si elle a fait preuve d’un comportement audacieux et d’une grande liberté de pensée, Catherine Macaulay s’est aussi illustrée dans de nombreux autres domaines dont l’histoire, qui était sa spécialité. Son ouvrage le plus long et le plus complet, History of England from the Accession of James I to that of the Brunswick line ensuite appelée History of England from the Accession of James I to the Elevation of the House of Hanover est composé de huit volumes et représente 3483 pages. Il fut écrit entre 1763 et 1783. Elle termina les quatre premiers volumes en à peine cinq ans puis s’arrêta d’y travailler pendant dix ans avant de se remettre à l’écriture des volumes six, sept et huit. Son Histoire couvre le XVII° siècle : les deux premiers volumes se concentrent sur le début du XVII° siècle, jusqu’aux années 1640. Le cinquième volume s’achève sur la Restoration et les derniers volumes traitent de la fin du XVII° siècle[2].
Avant elle, d’autres historiens s’étaient précisément penchés sur ce siècle des révolutions en Grande-Bretagne : notamment David Hume, qui publia entre 1754 et 1762 The History of England from the Invasion of Julius Caesar to the Abdication of James II. Cependant, son récit, bien que se voulant neutre, ne fut pas du tout apprécié par les politiciens et historiens Whigs. En effet ceux-ci qualifièrent Hume d’historien Tory :
When he commenced historian, Hume was far from being straight-forwardly Tory (…) but his History, from the date of the first volume was detested by the Whigs. Pitt viewed it with hostility and later Lord Chatham was to attack it in the House of Lords. It came to be seen as the classic exposition of the Tory view of History, particularly consitutional history (Hill, 29).
Le récit proposé par Macaulay fut donc bien plus apprécié du public Whig, ce qui contribua grandement à son succès :
What distinguished her History from that of contemporaries was not just that it was seen as a Whig answer to Hume, but that it was the first republican history of the seventeenth century based on extensive knowledge of hitherto unused tracts of the 1640s and 1650s (Hill, 30).
La force de Macaulay réside en effet notamment dans le fait qu’elle s’est appuyée sur une documentation tout à fait inédite, principalement des écrits datant de la Guerre Civile qui n’avaient jamais été exploités. L’autre originalité de Macaulay est qu’elle avait une vision précise, radicale[3] , du passé anglo-saxon de la Grande-Bretagne et de l’invasion normande :
In the period before the Norman conquest lay the origin of our true constitution, when the English enjoyed freedom and equality under representative institutions. The constant struggle to win back those lost rights had led to some recovery, but it had been thwarted by the Reformation and the uniting in the same person of political and ecclesiastical power. From Henry VIII’s time England had preserved a steady course towards slavery and public ruin, only briefly interrupted in the 17th century by the Commonwealth, when ‘the English, after the expense of a ten-year civil war, had totally subdued the despotic family of the Stewarts, and overturned the tiranny settled by the Norman invader’ (Macaulay, History, viii, 330).
Historienne radicale, Macaulay faisait en effet remonter l’origine de la monarchie absolue à l’invasion normande des îles britanniques; mais personnalité sensible elle savait aussi montrer de la compassion pour les suppliciés, fussent-ils Charles Stuart I, décapité en 1649. Elle note ainsi que les personnes humaines et libérales ont toutes ressenti de la pitié pour lui:
the partizans of Liberty applaud his fate ; the liberal and humane condemn and pity him (Macaulay, History, iv, 417).
Cette sensibilité ne l’empêchait toutefois pas de critiquer vivement le monarque qu’il était. Elle dénonçait son ambition dévorante, la qualifiant de « passion for power » et d’« idolatry of his royal prerogatives » (History, iv, 418-419).
Conformément à ses convictions politiques, Macaulay ne cachait pas son admiration pour la période de la République (« Commonwealth ») établie par Cromwell :
Never did the annals of Humanity furnish the example of a government, so newly established, so formidable to foreign states as was at this period the English Commonwealth (Macaulay, History, v, 382).
Cependant et contrairement à la plupart des commentateurs Whigs, elle critiquait vivement Cromwell qu’elle tenait pour un usurpateur :
the vain-glorious usurper (..) more diabolically wicked than it was possible for the generality of the honest part of mankind to conceive » (Macaulay, History, v, 95).
Elle lui reprochait la responsabilité directe de l’échec de l’instauration d’une République en Angleterre :
He deprived his country of a full and equal system of liberty, at the very instant of fruition … and, by a fatal concurrence of circumstances, was enabled to obstruct more good and occasion more evil than has been the lot of any other individual. (V, 213-14)
Elle lui attribuait même l’entière responsabilité de la Restauration : « She believed that had parliament countered the power of Cromwell (…) the Restoration would never have happened » (Hill, 38). Cromwell incarnait à ses yeux le contraire de ce que devrait être un homme d’Etat car la vertu était pour elle une qualité essentielle : « It went with her conviction that only a virtuous people could achieve a real republic » (Hill, 39).
Toujours intelligemment critique, Macaulay ne manquait pas de brosser une description lucide de ce que fut la Glorious Revolution. Elle considérait qu’il s’agissait bien d’un indéniable progrès et qu’il était important que les monarques de son pays voient leur pouvoir assujetti à celui d’un Parlement représentant le peuple. Cependant, elle regrettait que la Monarchie ait été maintenue et que nombre de ses privilèges aient été préservés :
given the great opportunities offered to them, so anxious were they to establish the personal interest of their leader, that patriots neglected this fair opportunity to cut off all the prerogatives of the crown » (Hill, 46).
L’Histoire de Macaulay fut traduite en 1791-92 en français, dans le contexte de la Révolution, mais elle passa relativement inaperçue. L’ancrage résolument républicain de l’analyse proposée par Macaulay, historienne femme a aussi évidemment joué en sa défaveur et l’a empêchée de passer à la postérité. Cette oeuvre reste cependant une référence de la réflexion historique anti-royaliste et républicaine dans laquelle Macaulay est parvenue à intégrer avec une grande honnêteté et une remarquable efficacité une masse très impressionnante de renseignements pour beaucoup inédits.
Le droit des femmes à s’instruire
Perpétuellement en lutte contre les représentations dégradantes des femmes et de leurs capacités, Macaulay a toujours soutenu avec ferveur l’idée qu’il fallait instruire les filles dès le plus jeune âge parce qu’elle estimait à juste titre que l’oppression n’est possible que si les êtres soumis sont aussi dépourvus d’éducation et de moyens de réfléchir [4]. Jeune fille, elle avait elle-même échappé, grâce à sa seule volonté, à l’éducation sommaire qui était proposée aux filles de son temps. Elle était parvenue seule, à force de lectures et de détermination, à devenir historienne. Mais être femme et historienne n’était à cette époque-là pas chose facile et rares sont ceux qui réagirent positivement à cette originalité. Macaulay en avait d’ailleurs parfaitement conscience puisqu’elle écrit dans la préface à The History s’attendre aux plus vives critiques à cause du fait qu’elle est une historienne et non un historien :
the invidious censures which may ensue from striking into a path of literature rarely trodden by my sex’ (Macaulay, History, preface p x)
L’érudition faisant très mauvais ménage avec l’idée qu’on se faisait à cette époque de la féminité, Macaulay n’a évidemment pas échappé aux stigmatisations traditionnellement réservées à celles qu’on appelait les « bas-bleus » ; on l’a pensée célibataire aigrie, on l’a qualifiée de femme à l’intelligence et aux manières masculines, on a considéré que son remariage tardif–après être restée veuve–à un homme plus jeune qu’elle était le signe d’un appétit sexuel anormal, comparable à celui d’un homme; on l’a encore qualifiée de laide, voire de difforme, mais parallèlement et paradoxalement, on lui a inventé quantité de conquêtes masculines :
When in 1767, as a recently widowed woman, she drank tea with Thomas Hollis, there was gossip about their relations. (..) When in 1769 she was rumoured to have put her house at the disposal of the Corsican exile Pasquale Paoli, it was said that she was to marry him. Because of her support for Wilkes, it was assumed that her relations with him must be sexual.(Hill, 140).
D’autres ont ironisé sur le fait qu’elle était plus coquette qu’intelligente et l’ont avec constance renvoyée à ce qu’ils supposaient être la préoccupation principale des femmes.Voici des propos du lexicographe Samuel Johnson rapportés par son biographe Boswell:
She is better employed at her toilet than using her pen. It is better she should be reddening her own cheeks than blackening other people’s character (Boswell, II, 630).
Catherine Macaulay n’a jamais accordé beaucoup d’importance à ces remarques et rumeurs qui flétrissaient pourtant sa réputation. Elle a toujours continué à affirmer clairement ce qui lui apparaissait comme une évidence mais qu’elle est l’une des premières à avoir formulée : aucune différence autre que physique n’existe entre les hommes et les femmes. Elle a toujours maintenu à ce titre, et là encore elle était une pionnière, que la subordination intellectuelle des femmes que d’aucuns pensent pouvoir souligner et utiliser comme preuve de leur infériorité ne peut être que le produit d’une éducation intentionnellement différenciée visant à assujettir le sexe dit faible :
The great difference that is observable in the character of the sexes, Hortensia, as they display themselves in the scenes of social life, has given rise to much false speculation on the natural qualities of the female mind (..). It is a long time before the crowd give up opinions they have been taught to look upon with respect (..) it is from such causes that the notion of a sexual difference in the human character has with very few exceptions, universally prevailed from the earliest times (..) The difference that actually does subsist between the sexes, is too flattering for men to be imputed to accident (…) among the most strenuous asserters of the sexual difference in character, Rousseau is the most conspicuous, both on account of that warmth of sentiment which distinguishes all his writings and the eloquence of his compositions : but never did enthusiasm and the love of paradox, those enemies to philosophical disquisition, appear in more strong opposition to plain sense than in Rousseau’s definition of this difference. He sets out (..) that Nature intended the subjection of the one sex to the other, that consequently there must be an inferiority of intellect in the subjected party (..) (Macaulay, Letters on Education, 203).
La différenciation de l’éducation des filles et des garçons ayant d’abord et avant tout une origine et une visée politiques (l’assujettissement des femmes et leur maintien dans cette condition), Macaulay en déduisait qu’il est nécessaire d’éduquer les filles dans tous les domaines possibles : sciences, histoire, religion, lettres. Elle se consacra à ce sujet dans son livre Letters on Education publié en 1790. Macaulay y pousse très loin l’analyse politique du système patriarcal qu’elle accuse clairement d’organiser à dessein l’appauvrissement intellectuel des filles[5] :
Yes, Hortensia, I do not know one European government who could be safely trusted with the care of education (…) for what fetters can bind so strongly, or so fatally, as those which are fastened on the mind ? (Macaulay, Letters on Education, 19)[6].
Macaulay répète cette idée un peu plus loin :
all those vices and imperfections which have been generally regarded as inseparable from the female character, do not in any manner proceed from sexual causes, but are entirely the effects of situation and education (Macaulay, Letters on Education, 202)
A la lecture des Letters on Education, il apparaît donc très clairement que Macaulay rêvait de l’accession des femmes à un statut social égal à celui des hommes. Il nous semble à cet égard que Bridget Hill, biographe de Macaulay, s’avance et peut-être même se trompe lorsqu’elle affirme que Macaulay n’aurait à son avis jamais milité pour que les femmes obtiennent le droit de vote s’il en avait été question de son vivant :
(..) It is doubtful whether she would have favored universal male suffrage and the abolition of any property qualification for a vote, but she certainly never entertained the idea of extending the franchise to women (Hill, 177).
Il nous semble au contraire plus qu’évident que Catherine Macaulay était intimement convaincue qu’hommes et femmes sont strictement égaux en droits et que tôt ou tard ses soeurs de condition devraient bénéficier des mêmes prérogatives qu’eux : accès au savoir, émancipation sociale tout autant que droits civiques.
Le positionnement politique de Catharine Macaulay
Au-delà de son engagement en faveur de l’émancipation des femmes, qui était en soi un choix politique courageux et risqué, au-delà de son itinéraire personnel qui l’a conduite à devenir historienne et à se moquer des convenances (c’étaient là aussi des choix politiques courageux et risqués), Catherine Macaulay s’est engagée dans des causes variées qui lui ont toutes tenu à coeur.
Sur le plan politique, elle a contribué à la constitution d’un petit parti républicain aux alentours des années 1768-1769. Son frère, John Sawbridge the younger (1832-1795)[7] y prit également part, ainsi qu’un certain nombre de ses amis et alliés :
there was at this time an avowed, though very small republican party, the chiefs of which were Mrs Macaulay, the historian, her brother Sawbridge, his brother-in-law, Stephenson, a rich merchant, and Thomas Hollis. (HoraceWalpole, Memoirs of the Reign of George III, London : Barker, vol 3, 220, 1894).
Un tel engagement n’est pas étonnant venant d’une farouche opposante à la Monarchie. Il faut à ce titre rappeler que son Histoire (The History) a permis au public de découvrir une autre manière de raconter le XVII° siècle en même temps que de comprendre ses sympathies politiques.
Catherine Macaulay a également apporté son entier soutien à la cause indépendantiste aux Etats-Unis. Son Histoire y a été largement lue et admirée par les penseurs précurseurs de l’indépendance américaine : Benjamin Franklin autant que Thomas Jefferson et John Adams. Dans les années 1780, Macaulay envisagea même d’écrire une histoire de la révolution américaine : elle se rendit dans ce but aux Etats-Unis en 1785 et resta dix jours chez George Washington. Elle ne vécut malheureusement pas assez longtemps pour terminer ce projet.
Catherine Macaulay a par ailleurs très tôt dénoncé le commerce des esclaves qu’elle mettait sur le même plan que toutes les autres oppressions contre lesquelles elle se mobilisait. Elle s’exprime à ce sujet dans ses Letters on Education en dénonçant l’esclavage:
Man, in the early ages of society, fed on man; and there is no violence which this being, who boasts that he is governed by reason, has not committed against his own species, whenever they have been found in opposition to his fancied interest … Not to mention the treatment given by some of [sic] own countrymen to their African slaves …(Letters on Education, 190)
Macaulay stigmatisait par ailleurs sévèrement le racisme de ses contemporains :
Others … give to their one colour only, the quality of external beauty; and they persuade themselves, that the swarthy inhabitants of India and Africa, are a degree below them in the scale of intelligent Nature.(Macaulay, Letters on Education, 257).
Il se dit enfin que Macaulay rechignait à consommer la chair des animaux. Elle en dénonçait en tout cas fermement l’exploitation : cette démarche s’inscrit de manière parfaitement cohérente à l’intérieur de son positionnement politique radicalement opposé à toute forme d’oppression. C’est dans les Letters on Education qu’elle s’exprime le plus précisément sur ce sujet, s’interrogeant sur le droit que les humains se sont arrogé de tuer, préconisant de manger peu ou pas de viande et de trouver des méthodes d’abattage moins brutales:
it raises in me a mixed sentiment of contempt and anger, to hear the vain and contradictory creature, man … dealing out a severe and short mortality to the various tribes of his fellow animals, and assigning to himself an eternity of happiness, beyond even the reach of his imagination (Letters on Education, 2).
If brutes were to draw a character of man, … do you think they would call him a benevolent being? No, their representations would be somewhat of the same kind as the fabled furies and other infernals in ancient mythology. Fortunately, for the reputation of the species, the brutes can neither talk nor write .. (121)
Conclusion : une femme « qui en faisait trop »..
Pour conclure ce tour d’horizon de la vie d’une femme d’une exceptionnelle qualité, il paraît important d’insister sur le travail de déconstruction des représentations que Catherine Macaulay a accompli tout au long de son existence, tant dans son mode de vie que dans sa façon de penser. Ce travail de déconstruction a concerné tous les domaines auxquels Catherine a pu s’intéresser : aussi bien le sort des femmes et leur éducation, que le sort des peuples colonisés, celui des personnes réduites en esclavages ou soumises à des régimes autoritaires,ou encore celui des animaux. Le parcours de vie de Catherine Macaulay représente à lui seul une étape majeure dans le processus d’émancipation des femmes en Europe et en Occident au XVIII° siècle. Sur le plan individuel, Macaulay aura en effet fait voler en éclat toutes les contraintes (et l’on se souvient qu’elle-même employait le terme très évocateur de « fetters ») que son époque imposait au sexe féminin. Sur le plan collectif, et par son engagement politique, elle aura contribué à lutter contre les représentations péjoratives dont souffrait à cette époque le sexe féminin. Ce faisant elle a cependant défié l’ensemble des règles qui définissaient la société dans laquelle elle a vécu, suscitant à son encontre des réactions d’une violence parfois inouïe. Macaulay aura donc eu à affronter le vigoureux rappel à l’ordre –la résurgence– du discours partriarcal, qui aime les femmes simples, peu éduquées et obéissantes. C’est d’ailleurs à cette époque que l’on voit ressurgir des livres de « bonne conduite » à l’adresse des femmes, afin de leur rappeler quelle place leur est dévolue et quelle attitude elles doivent cultiver[8].
Le nom et le discours de Catherine Macaulay, punition suprême pour les femmes « scandaleuses », ne sont ainsi jamais passés à la postérité.
Bibliographie :
Sources primaires
Macaulay Catharine, The History of England from the Accession of James I to that of the Brunswick Line, 8 volumes, London, 1763-1783.
Macaulay Catharine, Letters on Education with Observations on Religious and Metaphysical Subjects (1790), London: Pickering and Chatto, 1996.
Sources secondaires
Boswell James, The Life of Samuel Johnson, ed. Roger Ingpen (Bath: George Baynton, 1925)
Hill Bridget, The Republican Virago, The Life and Times of Catharine Macaulay, Historian,130, London : Clarendon, 1992
Walpole Horace, Memoirs of the Reign of George III, London : Barker, vol 3, 220, 1894
Boos Florence and William « Catherine Macaulay : historian and political reformer » in in International Journal of Women’s Studies, Vol. 3, No. 1, January/February, 1980, pp. 49-65.
Notes :
[1] Macaulay est le nom de son premier mari.
[2] Parallèlement à l’écriture des volumes 3, 4 et 5 de son Histoire, Catherine Macaulay fit également paraître quelques pamphlets comme Loose Remarks on … Mr. Hobbes’ Philosophical Rudiments of Government and Society (1767) et Observations on a Pamphlet Entitled “Thoughts on the Cause of the Present Discontents” (1770), qui est une charge contre l’essai du même nom signé par Edmund Burke. Ces écrits qui osaient s’en prendre à des références en philosophie comme Hobbes et Burke furent généralement mal accueillis par la critique.
[3] Les historiens et analystes politiques radicaux considéraient en effet que l’absolutisme monarchique provenait de l’invasion normande et que la monarchie anglo-saxonne était beaucoup plus démocratique que le système instauré sous le joug normand, «the Norman yoke ». Cette vision idéalisée du système monarchique saxon visait à abattre l’absolutisme Stuart et fut reprise par tous ceux qui cherchaient à obtenir l’élargissement du corps électoral.
[4] voir note 5.
[5] Macaulay fut parmi les premières à affirmer clairement que nulle différence autre que physique ne sépare hommes et femmes et que la privation d’éducation des femmes est politiquement utile au patriarcat : elle a exercé une influence considérable sur la pensée de cette autre pionnière du féminisme, Mary Wollstonecraft pour l’écriture de A Vindication of the Rights of Woman (Voir Florence S. Boos, “Catharine Macaulay’s Letters on Education (1790): An Early Feminist Polemic,” University of Michigan Papers in Women’s Studies 2, 2 (1976), 64-78)
[6] Le titre de cette communication est inspiré de cette citation de Macaulay tirée de ses Letters on Education (volume 3, 19) : cette phrase montre que Macaulay avait conscience de l’origine de l’assujettissement des femmes et qu’elle croyait dans la possibilité d’y remédier.
[7] John Sawbridge était, tout comme sa soeur, politiquement très actif : whig radical, il soutint John Wilkes et fut Lord Mayor de Londres puis Membre du Parlement.
[8] James Fordyce, prêtre presbytérien et poète écossais, signe ainsi en 1766 un livre intitulé « Sermons to Young Women ». Voir : Hélène Palma, « Sciences, femmes et femmes de sciences : représentations en Europe et ailleurs au XVIIè et XIXè siècles » Représentations, 2006 :1, Travaux du Centre 2, [en ligne]. Mis en ligne le 24 novembre 2006. URL : http://www.u-grenoble3.fr/representations.