Le consentement : un concept piégé

Par Freya Brown

Traduit par Francine Sporenda


RF_Drapeau_FrancaisTraduction

 

Le concept de consentement tel qu’il s’applique aux relations sexuelles a été adopté dans les législations de plusieurs pays et domine maintenant totalement le discours du féminisme libéral. En bref, le test pour décider si un viol a eu lieu, selon les termes de la législation existante et la plus grande partie du féminisme moderne, est de déterminer si l’un des partenaires n’a pas consenti aux rapports sexuels.

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« Seulement avec le consentement »

Des campagnes populaires pour réduire le nombre de viols et d’agressions sexuelles placent la question du consentement au centre de leur approche. Sur les campus et les réseaux sociaux, on peut facilement trouver des slogans comme « tu as son consentement ? » « le consentement est sexy » « c’est moi qui décide ».

Ces initiatives visent à convaincre les hommes que, pour ne pas violer leur partenaire, ils doivent obtenir son consentement aux rapports sexuels. De plus, ces campagnes cherchent à donner aux femmes le pouvoir de dire non au sexe et d’identifier les situations dans lesquelles elles ne peuvent pas donner un consentement valide.

Beaucoup de ceux qui promeuvent ces campagnes ont de bonnes intentions. Cependant, comme nous allons le mettre en lumière, centrer la question du viol sur le consentement renforce en réalité la culture du viol car les analyses basées sur le concept de consentement empêchent tout questionnement de ce qui est au fondement des relations sexuelles dans les sociétés patriarcales. De plus, avec cette importance donnée au concept de consentement, il est plus difficile pour les femmes de révéler leurs expériences négatives de la sexualité. Tant que le concept de consentement est la grille utilisée pour évaluer la sexualité en système patriarcal, il est impossible d’appréhender pleinement la dynamique sexuelle qui fonde la domination patriarcale ni de construire un mouvement capable d’éliminer l’oppression de genre.

 

 

Les fonctions fondamentales du consentement
Pour questionner le concept de consentement, le mieux est de commencer par explorer ses fonctions principales dans le discours sur le viol. Mais afin de pouvoir conduire cette analyse correctement, nous devons d’abord être au clair sur le viol.

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« La société dit que je suis jolie avec cette jupe, elle dit aussi que cette jupe est une incitation au viol » (Crédit @KerryRae)

Le viol est un acte genré, il est commis presque exclusivement par des hommes et la vaste majorité des victimes sont des femmes.

D’autres individus (gays, trans, etc.) sont aussi victimes de viol dans des proportions anormalement élevées. Lorsque des hommes sont victimes de viol, la nature genrée de cet acte est apparente dans la façon dont de tels actes sont discutés. La victime de sexe masculin est habituellement féminisée, peut-être sera-t’elle désignée comme la «pute» de son partenaire, ou elle sera au moins la cible des mêmes attaques misogynes que subissent les femmes lorsqu’elles révèlent qu’elles ont été  violées (« elle l’a bien cherché », « c’était juste du sexe un peu brutal »,  etc. ). Mais surtout, le viol est un acte genré parce qu’il sert à priver une personne de sa qualité de sujet et la réduit à une simple source de plaisir pour une autre personne. Cet état d’objectification, le fait d’exister pour quelqu’un d’autre (presque toujours un homme), est LA composante fondamentale de l’oppression de genre (1). C’est ainsi que le viol joue un rôle fondamental dans la production et la reproduction du genre comme tel (2). Donc, en gardant ça présent à l’esprit, qu’est-ce que le concept de consentement signifie vraiment quand il est appliqué au viol ?

 

La première chose qu’on peut dire est que la nature genrée du viol est précisément ce qui est occulté par la notion de consentement. Analysé sur la base du consentement, le viol n’est pas perçu comme un mécanisme crucial par lequel les hommes exercent leur domination sur les femmes en particulier, mais simplement comme un rapport sexuel auquel un des deux partenaires n’a pas consenti.

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« Boire n’est pas un crime. Le VIOL en est un. »

Cette approche est typique des modèles légalistes bourgeois parce qu’elle ne prend pas en compte les relations de pouvoir et d’oppression dans lesquelles se produit le viol et propose à la place une définition de la sexualité comme échange entre partenaire égaux.

Cet échange n’est considéré comme illégitime que si l’«agentivité » formelle d’une des parties est violée ; en conséquence, si les deux partenaires sont consentants, alors la critique des relations sexuelles patriarcales s’arrête là. De nombreuses féministes ont essayé de s’approprier le modèle du consentement pour atteindre leurs propres objectifs, en soulignant que les hommes utilisent le pouvoir qu’ils ont sur les femmes pour avoir des relations sexuelles sans leur consentement, mais cela ne change rien au fait que le terme même de consentement définit le viol comme sexuellement neutre. Autrement dit, la grille de décodage centrée sur le consentement ne peut produire qu’une compréhension faible et superficielle du viol parce qu’elle occulte ce qui est central à sa définition.

En même temps que le modèle du consentement occulte la nature genrée du viol, il contient en soi une légitimation de la hiérarchie des genres. Cette hiérarchie est rendue visible par l’usage du mot « consentement » lui-même. Pourquoi ce mot a-t-il été choisi spécialement pour analyser les relations sexuelles ? Au premier coup d’œil, l’étymologie de ce mot semble assez bénigne. Le mot apparaît d’abord en Anglais au XIIIème siècle. Il est dérivé du vieux Français « consente » qui signifie « accord » ou « permission » (3). Mais le mot prit un nouveau contenu intéressant lorsqu’il fit son entrée dans la philosophie libérale occidentale. Les penseurs libéraux du XVIIIème siècle comme Hobbes, Locke et Rousseau ont intégré le mot « consent » dans leurs théories du « contrat social » (4).

RF_Consentement_Patriarcat_05Le consentement, pour ces penseurs, était la source de la légitimité des gouvernements ; autrement dit, la base du pouvoir politique légitime pour les philosophes libéraux était que le peuple consente à être gouverné. Essentiellement, dans la tradition libérale, le mot « consentement » a fini par désigner l’acceptation de la domination. Formellement, ce mot a conservé son sens d’accord passé entre des parties apparemment égales, mais son contenu a été fondamentalement marqué par la fonction pour laquelle ces philosophes l’avaient adopté : décrire et légitimer des relations de pouvoir.

Il est donc curieux que ce mot en particulier ait été choisi pour être appliqué aux relations sexuelles. Peut-être a-t-il été choisi—consciemment ou non—précisément parce que sa seule fonction, héritée de la philosophie légale des Lumières, est de conférer une légitimité à des relations d’oppression. De la même façon que, pour les libéraux, le pouvoir de l’Etat sur le peuple est légitime si le peuple « consent », les relations sexuelles patriarcales qui objectifient et subordonnent les femmes sont légitimes tant que les femmes y consentent. (5)

Le concept de consentement a une autre fonction importante. Lorsqu’un viol a lieu, le modèle du consentement centre presque totalement le débat sur ce que la victime a pensé ou ressenti, plutôt que sur ce que le violeur a fait à la victime. Ceci soustrait efficacement les pratiques sexuelles des hommes à tout examen.

De plus, pour être sûrs que le viol a bien eu lieu selon la notion de consentement, autrement dit par rapport au système légal ou à notre propre organisation, la victime doit être mise en procès. Des féministes bien intentionnées qui combattent le « victim blaming » (rejet de la responsabilité du viol sur la victime NDLT) et qui encouragent à croire les survivantes du viol et non les violeurs, se tirent une balle dans le pied quand elles adoptent le critère du consentement.

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« Faites le procès des violeurs, pas celui des femmes » (Crédit @KerryRae)

L’adoption du modèle du consentement, qui se base uniquement sur l’évaluation des pensées et des sentiments de la victime pour qu’un viol soit reconnu comme tel, a pour conséquence de livrer ces pensées et ces sentiments au questionnement. Il n’est donc pas surprenant que les discours misogynes sur ce que les victimes voulaient vraiment, et sur ce qu’elles envoyaient vraiment comme message par leur comportement soient nombreux quand le consentement est utilisé comme critère. Ce procès fait à la victime est au centre du modèle du consentement

 

Et surtout, le dernier point que nous soulèverons ici est que l’on peut consentir à des choses qui vous font du mal. Les femmes consentent aux relations sexuelles pour de multiples raisons.

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« Patriarcat & Notions de consentement/choix » – @SAMINT

On peut vouloir se sentir aimée et vouloir exprimer de l’amour. On peut être conditionnée, comme les femmes le sont spécialement, à penser que notre valeur dépend de notre capacité d’être désirées par les hommes-et alors les relations sexuelles avec un homme sont ressenties comme valorisantes. On peut aussi avoir des relations sexuelles parce qu’on subit des pressions sociales, comme dans le cas où l’on pense devoir satisfaire à une obligation. Si l’on est dans une relation stable, on peut avoir l’impression que les relations sexuelles sont un dû qui fait partie des termes du contrat non-écrit de la relation. On peut simplement désirer les sensations d’une relation sexuelle. Mais rien de tout cela ne garantit que ce qui nous arrive réellement dans une relation sexuelle ne nous dégrade pas, ne renforce pas notre subordination, ne laisse pas en nous des effets négatifs durables. Ce que le consentement à des rapports sexuels signifie vraiment est que les femmes et les « non-hommes » acceptent d’être dominé-e-s– parce que c’est la seule façon d’obtenir ce que nous voulons (amour, plaisir etc.)–dans le contexte du système actuel où la domination est si étroitement associée à l’amour et au plaisir que nous pouvons dans une certaine mesure désirer d’être dominé-e-s pour les obtenir.

Notre but est de mettre en évidence que non seulement les gens peuvent consentir à des relations sexuelles qui leur sont nuisibles mais qu’en réalité cela se produit souvent. Le plus grave écueil du modèle du consentement, selon nous, est qu’il empêche une grande partie de ces relations sexuelles négatives d’être reconnues comme telles et d’être questionnées et rend très difficile pour les femmes d’être honnêtes en ce qui concerne leur relation à la sexualité (….).

Traduction  Version anglaise :

Let’s Talk About “Consent” :
https://anti-imperialism.com/2015/07/06/lets-talk-about-consent/

 

 

 

Notes :

  1. Pour une discussion approfondie, voir : Catharine MacKinnon, “Feminism, Marxism, Method, and the State: An Agenda for Theory,”Signs 7, no. 3 (1982): 515-544.http://www2.law.columbia.edu/faculty_franke/Certification%20Readings/catherine-mackinnon-feminism-marxism-method-and-the-state-an-agenda-for-theory1.pdf&#160
  2. L’oppression est partie intégrante du genre. Le genre ne peut pas plus être séparé de l’oppression de genre que la « race » ne peut être abstraite de l’oppression raciale ou la classe de l’oppression de classe (ce thème est abordé dans le texte d’Alyx Mayer’s,The Eroticization of Gender). En conséquence, le viol, qui est un mécanisme par lequel la victime est objectifiée, transformée en un objet-pour-les hommes, est partie intégrante de ce qu’est le genre
  3. “consent »– Online Etymology Dictionary,”Online Etymology Dictionary, accessed 6/12/2015, http://www.etymonline.com/index.php?term=consent.&#160
  4. Voir: Thomas Hobbes,Leviathan; John Locke, Two Treatises of Government; Jean-Jacques Rousseau, The Social Contract
  5. MacKinnon propose une thèse semblable sur Nordiskt Forum, 2014.https://www.youtube.com/watch?v=Rrijeaqc04A&#160

Publié avec l’autorisation de Anti-imperialism.com

 

 

 

LIENS UTILES   Lien utile :

– Le « Blues post-sexe » des femmes (Par Freya Brown)
https://revolutionfeministe.wordpress.com/2016/07/22/le-blues-post-sexe-des-femmes/

 

 

 

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