L’égalité ou le voile

Interview de Masih Alinejad

Par Francine Sporenda

Traduction  RF_Drapeau_Francais

 

Masih Alinejad est une journaliste iranienne et une militante des Droits des femmes. Elle a lancé les campagnes « My Stealthy Freedom » (des femmes iraniennes se prennent en photo sans voile et postent ces photos online) et #Meninhijab (voir ci-dessous)

 

FS : Vous dites que vous avez porté le hijab pendant 30 ans—même la nuit—pour obéir à votre père ; et même après vous être installée en Grande-Bretagne, vous avez continué à le porter, et vous notez que l’obligation de porter le voile est externe mais aussi internalisée. Pouvez-vous nous parler de la façon dont les femmes internalisent la misogynie en Iran (et ailleurs) ?

MA : Les femmes sont conditionnées à la servilité par l’histoire, la culture et les normes familiales. Souvent, au Moyen-Orient, l’idée de la « bonne femme» est la femme qui est invisible, qui se tient à l’écart du monde extérieur. Le hijab est un mur qui sert à garder les femmes sous surveillance. C’est particulièrement le cas quand le voile est obligatoire, mais même dans les « pays musulmans » où il ne l’est pas, les femmes indépendantes sont la cible de tabous et de pressions sociales.

Il y a des différences selon les pays. Dans la République islamique d’Iran, les femmes occupent 60% des postes universitaires, mais il y a un plafond solide qui limite leurs possibilités de promotion. Aucune femme ne peut être ministre du gouvernement ou juge, ou occuper une position de direction dans une administration gouvernementale. Face à de telles restrictions, les femmes internalisent la misogynie ambiante –même si les femmes iraniennes ont eu une histoire de progrès et d’accomplissements jusqu’à l’arrivée de la République islamique.

 

 

FS : Vous dites que la décision d’enlever le voile est le résultat d’un long processus psychologique parce que le voile devient une partie de vous-même. Pourriez-vous nous parler des étapes de ce processus psychologique ?

MA : La République islamique d’Iran a voilé les femmes et insiste que seules les femmes légères ou sans morale sont « mal voilées » ou ne portent pas de voile du tout. Dans ma famille, les femmes portent le hijab, de ma mère à ma sœur et mes tantes, en fait tout le monde le porte. J’étais un peu une rebelle mais je devais me voiler quand j’étais avec ma famille. Après mon premier mariage, la pression familiale a diminué, mais que ce soit dans mon activité de correspondante parlementaire ou lorsque je rendais visite à mes parents, j’étais toujours voilée, mes cheveux étaient toujours cachés, et je portais des chemises à manches longues, un pantalon, et une robe par-dessus tout ça Donc, j’ai été voilée pendant près de 30 ans, et même plus, et depuis que je suis en âge d’être consciente, j’ai toujours vu toutes les femmes voilées. Bien sûr, j’avais vu des photos de femmes sans hijab, mais elles étaient occidentales, étrangères et n’existaient pas vraiment dans mon univers.

rf_iran_mysweetyfreeom_02Même quand j’ai quitté l’Iran, je portais un chapeau pour cacher mes cheveux, parce que c’était un couvre-chef modifié qui ne me faisait pas remarquer en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis tout en envoyant le signal que je respectais les lois de mon pays et ma famille. C’était un compromis difficile : les opposants iraniens à la République islamique se moquaient de moi parce que je portais un chapeau, et on m’attaquait aussi pour mes activités de journaliste et mon activisme.

J’ai tenu bon. Et avec le temps, ce chapeau est devenu une partie de moi, et même les critiques qui se moquaient de moi l’ont finalement accepté. J’ai toujours expliqué que je portais ce chapeau par respect pour ma famille et pour leurs croyances—mais cette explication, je la ressentais comme forcée. Porter un chapeau ne faisait pas de moi une bonne personne, de la même façon que le port du voile ne détermine pas la bonne moralité de celles qui le portent. Etre jugée sur la base de ce que je portais était ridicule. Pourtant, je n’avais pas le courage d’enlever ce chapeau. Ca m’a pris plus de deux ans pour avoir le courage d’apparaître en public sans ce chapeau : quand je l’ai fait, je me suis sentie à la fois libérée et effrayée. Mais il fallait que je sois fidèle à ma conviction : ce que je porte ne détermine pas qui je suis.

 

FS : Vous dites que le port du voile est une question de choix personnel. Comment cela peut-il être un choix personnel si les femmes qui ne le portent pas sont harcelées par la police (en Iran) et en France, dans certains quartiers, sont traitées de traînées et sont agressées ? Vous avez été avertie que si vous ne portiez pas le hijab, vous iriez en enfer. Peut-il y avoir un vrai choix sous un tel niveau de pression et de contrainte ?

MA : Le « monde musulman » est en train de traverser une étrange période où les vues extrémistes  imprègnent l’opinion publique, comme c’est le cas pour le Tea Party qui mène l’agenda politique aux Etats-Unis. Des années 1950 et 1960 jusqu’aux années 90, le « monde musulman » était rationnel et optimiste, et non aigri et belliqueux. Les femmes en Egypte, au Maroc, en Turquie et en Iran pouvaient s’habiller comme les femmes occidentales sans être harcelées. Puis la révolution islamique a eu lieu, ainsi que d’autres développements à la suite desquels les idées extrémistes ont remplacé les idées « modérées ».

Dans ce contexte, c’est très dur pour les femmes d’être traitées de putain si elles ne portent pas le voile. Même dans les « pays musulmans » où le voile n’est pas obligatoire, il y a des pressions culturelles et familiales. Mais dans la République islamique et en Arabie saoudite, le port du voile est obligatoire de par la loi. Pour changer la culture, il serait nécessaire d’avoir une loi qui n’emprisonne pas les femmes ni ne les condamne à être fouettées si elles ne portent pas le hijab ; ça ne sera pas facile mais nous devons changer la culture dans cette région qui est entraînée vers le bas dans une spirale de haine.

Et j’ai été menacée de l’enfer, et même pire.  Aux nouvelles du soir, la télévision d’Etat iranienne a diffusé un reportage relatant que j’avais été violée à Londres parce que je ne portais pas le hijab. Mais quand la loi sera changée et qu’il n’y aura plus de sanction pour les femmes qui enlèvent leur hijab, alors il sera plus facile d’agir sur la culture.

 

 

FS : Que pensez-vous de cette citation d’Ahmad Batebi : « de nombreux activistes ont déclaré que la question du port du voile obligatoire n’est pas un Droit humain prioritaire mais le succès énorme de votre campagne « My Stealthy Freedom » montre que c’est une priorité pour beaucoup d’Iraniens ». Pourquoi cette question est si importante pour beaucoup de femmes et d’hommes en Iran ?

MA : Le port du voile obligatoire est un problème de Droits humains et un problème de Droits des femmes. Mais souvent politiciens et activistes disent qu’il y a des problèmes « plus importants » et placent cette cause en dernier dans la liste des priorités. La réalité est que le port du hijab obligatoire porte atteinte à l’identité des femmes. Ce que nous portons ou ce que l’on nous oblige à porter affecte la façon dont nous nous voyons nous-mêmes. Si nous sommes vues comme soumises, alors cette image de soumission deviendra auto-réalisatrice.

rf_iran_mysweetyfreeom_03« My Stealthy Freedom » a montré qu’une part importante de la population iranienne est opposée au hijab obligatoire et que c’est un problème majeur. Nous ne pouvons pas aborder des problèmes « plus importants » si nous ne nous occupons pas des libertés individuelles. Une société qui n’a aucun respect pour les droits de la personne ne respectera pas les lois contre les discriminations ou la corruption. Il y a un politicien américain qui a dit que toute la politique était locale, et ça a été complété plus tard par l’affirmation que le personnel est politique. Dans les pays occidentaux, la société a évolué vers la reconnaissance des droits des gays, ils ont obtenu le droit de se marier et les mêmes droits que le reste de la population. Je suis sûre qu’il y a eu des activistes qui ont dit qu’il y avait des choses plus importantes que les droits des gays, mais nous avons appris qu’il est impossible de s’atteler aux grands problèmes sans avoir résolu les problèmes « moins importants ».

 

 

FS : Vous êtes très critiques des femmes politiques occidentales, comme Catherine Ashton (ou Ségolène Royal NDLT) qui acceptent de porter un hijab quand elles viennent en Iran. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

MA : Voici le lien de ma déclaration la plus récente sur l’hypocrisie des femmes politiques qui visitent l’Iran et portent le voile obligatoire : http://www.independent.co.uk/news/people/burkini-ban-hijab-campaigner-iran-why-dropped-after-less-than-month-a7232681.html (1)

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Ségolène Royal

Si les pays occidentaux déclaraient aux dirigeants de la République islamique que les femmes politiques iraniennes en visite dans les pays occidentaux doivent enlever leur hijab, leur réponse serait un « non » retentissant. Alors pourquoi les femmes politiques occidentales qui se rendent en Iran portent-elles le hijab ? Je demande aux femmes politiques occidentales de nous soutenir, j’attends d’elles qu’elles défendent les droits des femmes et qu’elles ne cèdent pas à des règles patriarcales—qui de plus n’ont aucune base islamique. Ou si elles acceptent le voile obligatoire, alors ces dirigeantes devraient exiger que les femmes politiques iraniennes enlèvent leur hijab quand elles sont en visite officielle dans des pays occidentaux. J’attends des politiciennes occidentales qu’elles défendent leur propre dignité.

 

 

FS : Un commentateur de l’agence Tasnim News Agency a déclaré que les hommes ont le droit de violer les femmes qui ne portent pas de hijab, parce qu’elles « l’ont cherché » et que les hommes ne peuvent être tenus pour responsables s’ils succombent à leurs « pulsions ». Que pensez-vous de cette déclaration et pensez-vous que les Iraniens de sexe masculin seront nécessairement furieux ou incontrôlables s’ils voient une femme sans hijab ?

MA : Les femmes fortes sont un challenge pour les systèmes virilo-centrés du Moyen-Orient. J’ai intenté une action en justice contre les commentateurs qui écrivent qu’on peut violer les femmes non voilées, mais mon action a été déboutée par le tribunal sous prétexte que je ne vis pas en Iran.

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(photo : Hassan Sarbakhshi

La réalité est que les hommes ne vont pas se mettre à violer les femmes parce qu’elles ne portent pas de hijab—c’est ce que met en évidence mon nouveau projet dans le cadre de la campagne « My Stealthy Freedom », le projet #Meninhijab. J’ai reçu des centaines de photos d’hommes portant un hijab posant à côté de leur mère, de leur femme ou de leurs sœurs qui n’en portent pas. Ils disent que l’honneur d’un homme ne se mesure pas au fait que les femmes de sa famille portent le voile ou non. C’est un défi humoristique pour faire comprendre qu’il est ridicule de croire qu’une femme qui porte le voile est chaste et honorable, et il y a de plus en plus d’hommes qui soutiennent ce projet. De nombreux hommes en Iran ne veulent pas être associés à des forces régressives et veulent une société plus ouverte, plus libre et plus juste.

 

 

FS : Certaines féministes occidentales disent que le voile est juste un vêtement ordinaire et qu’il n’y a aucune raison de le combattre, puisque de nombreuses femmes l’acceptent. Pensez-vous que le voile soit juste un vêtement ordinaire ?

MA : Dans les pays occidentaux où il y a une liberté de choix, certaines peuvent décrire le hijab comme un vêtement ordinaire, mais franchement, c’est une vue naÏve et ridicule : le voile est porteur d’une charge politique. Chaque femme du Moyen-Orient ou musulmane qui choisit de le porter ou de ne pas le porter fait ce choix conscient.

Récemment, une coiffeuse en Norvège a refusé de couper les cheveux d’une femme qui portait le voile. Elle a été punie d’une amende de 8 ou 9 000 Krone, et si elle ne paie pas, elle pourrait aller en prison. Parfois on a l’impression que, dans les pays occidentaux, certaines personnes se plient en quatre pour apaiser les musulmans au lieu de défendre leurs propres valeurs. Si une coiffeuse en Iran refuse de couper les cheveux d’une personne juive ou Baha’i, il n’y aura ni amende ni poursuite en justice. Rappelez-vous, certains athlètes originaires de nombreux pays musulmans refusent de participer à des compétitions contre des athlètes israéliens et préfèrent perdre par défaut et être acclamés chez eux pour leur décision.

Le voile obligatoire est le symbole le plus visible de l’oppression des femmes. Nous devons contester cette loi néfaste si nous voulons avoir une chance d’obtenir la pleine égalité pour les femmes.

 

 

 

Notes :

Extraits traduits de cet article : « La fondatrice du plus important mouvement social contre le port obligatoire du voile accuse les politiciens européens de n’avoir pas dénoncé le port obligatoire du hijab après le tollé sur l’interdiction du burkini. Dans un discours fort, elle a demandé pourquoi l’interdiction faite aux femmes de porter un maillot de bain couvrant tout le corps a été annulée à Nice et dans d’autres villes en moins d’un mois alors que les Iraniennes sont toujours obligées légalement de porter un hijab.

(…) Pourquoi l’interdiction du burkini a-t-elle été suspendue en moins d’un mois alors que le hijab est obligatoire depuis 37 ans ? C’est parce que dans nos luttes et nos protestations contre le hijab obligatoire, nous sommes seules et ne pouvons compter que sur nous-mêmes.

(…) « Elle demande pourquoi tout le monde a poussé les hauts cris au sujet de l’interdiction du burkini, alors que des politiciennes comme Catherine Ashton, quand elles visitent l’Iran, ne contestent pas le port obligatoire du voile dans ce pays. »

 

 

 

Acccueil : https://revolutionfeministe.wordpress.com

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