Je suis partie… mais le harcèlement a continué. (Témoignage)
Par Anita Wildors
Nous nous étions connus à la médiathèque de Beaubourg où l’on travaillait tous deux pour financer nos études, moi de lettres, lui de philosophie. C’était un beau brun ténébreux. J’étais une belle plante solaire. J’avais été subjuguée – au sens strict – par son humour tranchant avec l’obscurité de son regard. Un humour toutefois que je n’appréciais que rarement : il visait les autres, tous les autres, sauf lui-même. Un peu éthérée à l’époque, et surtout soucieuse de ma subsistance, je n’ai pas réfléchi. Il m’a recueillie comme, disait-il, « le petit oiseau sur une branche », creusant ma fragilité sociale. Six mois plus tard, je vivais dans sa chambre de bonne avec lui. Deux ans après, j’accouchais de ma fille.
La grossesse avait été une terrible épreuve. Ces deux années m’avaient condamnée au silence – ses mots quotidiens n’étaient que salissures (« ton nom sonne péquenot », « tes dents sont pourries », « tes pulls de pauvre », etc.), menaces et isolement. J’avais perdu toute lumière, tous mes amis, tout contact avec ma famille en dehors de sa présence. Je protégeais jusqu’à ses mensonges en public, assistant, impuissante, à ses manipulations avec autrui. J’étais devenue, à mes yeux, une « serpillière » qui ne souriait plus et qui ne s’exprimait plus.
Mais la nature de mon corps rayonnant m’avait redonné l’énergie et l’éclat et je vivais avec bonheur cet enfantement à venir, mes forces semblaient renouvelées. Malgré la fatigue. J’étudiais le jour, gardais des enfants le soir, écrivais des piges le week-end. Et comme avant, il m’interdisait de me reposer. Je devais payer par mon travail l’équivalent de ce que ses parents nous versaient. Les miens ne pouvaient pas suivre.
Quatre mois avant terme, j’ai été hospitalisée sous perfusion de Salbutamol, puis interdite de bouger les deux derniers mois. Couchée, dépendante, je ne fus pas plus heureuse de retour dans notre chambre – nous avions emménagé dans un deux-pièces – que je l’avais été à la maternité. Enfin, il avait tout loisir de me dominer. J’étais vraiment devenue ce « petit oiseau » qui piaille pour être accompagné, pour être nourri. Un mois avant terme, je me suis relevée, j’ai combattu la peur, j’ai marché, j’ai vécu, je suis allée à pied en salle de travail, fière.
Il était là. Il m’a reproché de ne pas m’occuper de lui tandis que le petit crâne de l’enfant se frayait un passage.
Deux ans plus tard, nous vivions aux antipodes. Il m’a fait cosigner deux emprunts destinés, disait-il, à notre confort familial. Cet argent a servi à offrir de magnifiques voyages à sa maîtresse.
Lorsqu’il m’a quittée pour elle, la juge a estimé qu’il payait sa part en remboursant cet emprunt, dont ma fille et moi n’avions jamais bénéficié.
« Je vais t’écraser. Je vais te ruiner. » Ce fut sa promesse en me quittant.
Pendant douze ans, il est venu seul, sans avocat, aux audiences qu’il provoquait la plupart du temps. Pour changer les jours ou les horaires de garde, par exemple. J’en ai aussi convoquées, pour finir par obtenir, après deux ans encore, une maigre pension alimentaire. Qu’il ne payait pas. Cadre supérieur, il s’était rendu insolvable. Je gagnais le SMIC. Lui, dix fois plus. Les formalités ont duré trois ans de plus environ pour obtenir de la CAF une compensation (80 euros) pour cette pension, fixée à son maximum à 300 euros dix ans plus tard. Aux audiences, il a toujours séduit les avocates et les juges. Même mes avocates. Jusqu’à ce que je rencontre enfin la professionnelle inébranlable qui allait comprendre ses manœuvres. Je lui avais préparé un dossier colossal. Avec les années, avec les conclusions consignées par le greffe, avec les termes des jugements, il m’était devenu possible de montrer à la justice combien cet homme lui avait menti. Et à quel point elle aussi avait été abusée.
Sommé de cesser de nous harceler, notre fille et moi-même, et de se conformer à un traitement psy, il a disparu de notre univers.
Toutes ces années, hormis les audiences, il s’était en effet livré à des harcèlements téléphoniques, à des enlèvements (je ne savais pas où il emmenait ma fille en vacances et ne pouvais lui parler pendant un mois), à des menaces (« Ma femme est directrice de la DASS, nous allons récupérer l’enfant ») que je ne parvenais pas à prouver, et que personne au tribunal ne voulait prendre en considération. J’étais « la pauvre fille » ou « la mère modeste mais qui tient bien son petit budget ». Je n’étais pas crédible. Même l’assistante sociale à qui il avait été demandé – sur sa demande – de me contrôler était sous son charme. Le rapport qu’elle a écrit sur lui était saisissant : « Le père est un homme très équilibré, un excellent père, qui s’occupe très bien de ses enfants. »
Ma fille passait ses vacances chez lui devant la télé, ou l’accompagnait au bureau, ou l’accompagnait dans ses rendez-vous avec sa nouvelle maîtresse, celle pour qui il allait quitter celle pour qui il m’avait quittée, la harcelant au tribunal pour leurs deux fils. A six ans, elle est rentrée de vacances en m’annonçant qu’elle voulait se suicider. Pédopsy direct pour elle, et psychanalyste pour moi. C’est ce qui nous a sauvées. C’est moins la séparation que la violence qu’il nous a fait subir pendant toutes ces années qui l’a perturbée.
Mon expérience m’a appris deux choses : les pervers narcissiques exercent un pouvoir de persuasion qui fait fi de toute réalité sur leurs interlocuteurs. Ici, des femmes magistrates et avocates, et assistante sociale, subjuguées (comme je l’avais été, puis comme l’a été sa deuxième victime). Ajouté à ceci, c’est plus la classe sociale qui a joué en sa faveur : un beau mec arrivant en manteau de loden, pull cachemire avec un attaché-case genre sérieux fait meilleur effet qu’une jeune femme très belle habillée chez Emmaüs. Et la parole de l’Homme qui a réussi socialement est mieux considérée.
Si j’avais des conseils à donner à des femmes en cours de séparation ? Veiller à ne pas trop compenser la culpabilité par une surprotection. Ne pas hésiter, quand ils sont plus âgés, à faire part des souffrances endurées.
J’ai protégé ma fille de tout et ai veillé à ne pas dégrader l’image du père car j’estimais qu’elle en avait subi assez (les chantages affectifs de son père), aussi n’a-t-elle aucune conscience de ce que j’ai vécu.
Elle pense que c’est moi, le problème… .
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