ELECTIONS : LES DROITS DES FEMMES EN JEU INTERVIEW DE SUZY ROJTMAN (Collectif national Droits des femmes) Par Francine Sporenda Suzy Rojtman est militante féministe depuis 1974, et a été dans la tendance lutte de classes du MLF. Elle a fait partie des « Pétroleuses » et est co- fondatrice en 1978 des « Radioteuses » et des Nanas Radioteuses », radio libre féministe. Egalement co-fondatrice en 1985 du Collectif féministe contre le Viol et co-fondatrice en 1996 du Collectif National pour les Droits des Femmes. Le CNDF a été créé en 1996 après la grande manifestation du 25 novembre 1995 à l’orée du Mouvement social de novembre décembre 1995. Il a pour vocation de fédérer des associations féministes, des syndicats et des partis de gauche et d’extrême gauche. Il organise les manifestations du 8 mars et du 25 novembre. Dernièrement il a été à l’origine de la brochure commune de 12 structures féministes « Mettre fin aux violences faites aux femmes, ce que nous voulons », du site « Droits des femmes contre les extrême-droites », et de la soirée du 31 mars où plus d’une quinzaine de structures féministes ont décrypté les programmes des candidats.
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F : Dans un interview que vous avez donné à l’Humanité, vous déclarez que les partis d’extrême-droite sont à la porte du pouvoir ou en très nette progression dans plusieurs pays européens. C’est le cas en France avec le FN et Marine Le Pen. Que pensez-vous des arguments féministes (protection des femmes contre les violences etc.) mis en avant par celle-ci pour séduire l’électorat féminin?
SR : Le Front National prétend tout d’un coup défendre les droits des femmes. Mais si on regarde rétrospectivement toute son histoire, cela n’a jamais fait partie de ses fondamentaux. C’est même le contraire : il cantonne les femmes dans un rôle de reproductrices et de gardiennes du foyer. Dès le vote de la loi sur l’avortement en 1975, il a parlé de « génocide anti français ». Il a toujours été pour une politique nataliste. La lutte pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes n’est jamais évoquée. Combattre les violences faites aux femmes n’a pas plus été sa préoccupation. Marine Le Pen commence effectivement à s’inquiéter de ce sujet au moment de Cologne pour dénoncer les immigrés/réfugiés auteurs de ces violences. C’est une instrumentalisation pure et simple puisque dans son programme elle n’évoque aucune mesure concrète pour lutter contre les violences.
La réalité c’est que le Front National a besoin d’élargir son électorat pour être élu et que les femmes sont dans ce cadre une cible prioritaire puisqu’elles votent moins pour le FN que les hommes. Marine Le Pen a bien compris qu’elle ne pourra réussir à capter cet électorat avec des positions totalement rétrogrades. Et donc elle « dédiabolise » sur ce sujet comme sur les autres. Mais, même si le renouvellement générationnel au sein du FN lui sert à atteindre cet objectif, elle se heurte aux chrétiens traditionalistes de son parti, représentés par sa nièce, qui sont vent debout contre ces nouvelles positions.
F : Que pensez-vous du projet FN de revenu parental?
SR : C’était dans le projet du FN jusqu’en 2012. Le revenu parental fait visiblement partie des mesures qui gênaient puisqu’il a été supprimé du programme 2017.
Ceci dit, c’est la version soft du « salaire maternel » que le FN défendait déjà en dans son programme pour les européennes en 1984. Il a été policé ensuite en revenu parental qui fait plus politiquement correct puisqu’il suppose un choix entre les deux parents pour abandonner son activité professionnelle. On sait bien quelle est la réalité : ce sont les femmes qui retournent à la maison, sont privées ainsi de toute autonomie financière et ont beaucoup de difficultés par la suite pour se réinsérer sur le marché du travail. L’expression « salaire maternel » correspond beaucoup mieux à la réalité…
F : Dans le noyau dur de cette vague réactionnaire, il y a les intégrismes religieux. La nature radicalement sexiste et misogyne du projet islamiste est largement exposée dans les medias, mais celui de l’intégrisme chrétien ne semble pas faire l’objet de la même prise de conscience. Au vu de ce qui se passe aux Etats-Unis avec Trump et en France avec la Manif pour tous, et ses liens avec certains candidats, pensez-vous que ces deux intégrismes–chrétien et musulman– sont également dangereux pour les Droits des femmes?
SR : Difficile de mesurer exactement la dangerosité respective de chaque intégrisme islamiste et chrétien, mais pour répondre à la question : oui, l’intégrisme chrétien est dangereux pour les droits des femmes et il faut le dire haut et fort. Contrairement à la fable que construit Marine Le Pen qui alimente encore une fois son fond raciste et xénophobe, il n’y pas eu d’évolution naturelle de notre société judéo-chrétienne pour aller vers l’égalité formelle entre les femmes et les hommes. Nous nous sommes affrontées à l’intégrisme chrétien tout au long de notre combat de féministes contemporaines. Sur l’avortement notamment, les méthodes évoluent au fil des techniques mais le fond reste le même. En 1993 la Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et la Contraception a gagné une loi sur le délit d’entrave physique à l’IVG puisque les commandos rentraient même dans les lieux où se faisaient les avortements. En 2017, c’est un délit d’entrave numérique qu’il faut faire voter. Entre les deux, ils n’ont pas lâché ! Nous non plus d’ailleurs….
De même Sens Commun, émanation de la Manif pour Tous transformée en parti politique qui a intégré les Républicains. On sait très bien qu’ils voulaient faire pression sur Fillon pour rogner encore plus sur les droits des femmes, lui qui serait d’ailleurs tout à fait capable de se débrouiller seul dans cette entreprise de régression.
F : Pensez-vous qu’en conséquence, le droit à l’avortement soit réellement menacé en France?
SR : Si c’est Le Pen qui est élue, je pense que oui, on aura du souci à se faire. Les autres ont écrit dans leur programme qu’ils défendront l’avortement. Fillon et Le Pen, ce sont les deux seuls qui n’ont rien écrit dans leur programme. Sauf qu’à l’oral ils ont annoncé qu’ils abrogeraient le délit d’entrave numérique s’ils étaient élu-e-s.
Et puis il y a de multiples façons d’entraver l’application de la loi sur l’avortement… Pas nécessaire de l’abroger. Couper les subventions au Planning Familial, rétablir la semaine de réflexion, dérembourser, etc. sont des moyens très efficaces.
F : Les questions concernant les femmes ne semblent jouer dans l’actuelle campagne électorale qu’un rôle périphérique. Vous rappelez que pourtant, ce sont les femmes qui sont les plus touchées par l’austérité, le mi-temps subi et la pauvreté. Y a-t-il eu des candidats qui ont fait selon vous des propositions intéressantes pour les femmes, ou au contraire dont certaines propositions risquent d’avoir des conséquences négatives pour elles?
SR : Oui et heureusement, même si l’égalité femmes/hommes n’est pas du tout apparue comme étant une priorité de la campagne. Ces mesures peuvent concerner directement les droits des femmes comme la constitutionnalisation de l’avortement que réclame Mélenchon ou être plus généralistes, tel le service public de la petite enfance comme l’avancent Arthaud, Hamon ou Mélenchon puisque ce sont les femmes qui s’occupent majoritairement des enfants. Dans le domaine politique et social, des mesures telles que l’augmentation du SMIC (Arthaud, Hamon, Mélenchon, Poutou), la réduction du temps de travail (Hamon, Mélenchon, Poutou), ou l’encadrement des contrats précaires (Hamon, Mélenchon, Poutou), profiteront en premier lieu aux femmes puisqu’elles sont les plus pauvres, les plus précaires et celles qui courent le plus après le temps….
Les effets négatifs, on en retrouvait beaucoup chez Fillon par exemple avec sa suppression de 500 000 fonctionnaires et sa retraite à 65 ans.
F : Vous notez que, en France, les lois contre les violences sont très mal appliquées. Que pensez-vous de l’application de la dernière en date de ces lois, la loi prostitution? Vu leur faible application, ces lois ne seraient-elles qu’une stratégie patriarcale pour amuser la galerie et donner aux femmes l’illusion qu’elles sont protégées?
S.R. : La loi « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » a été adoptée il tout juste un an maintenant. 4 décrets d’application sur 5 sont déjà sortis, ce qui, malgré ce que l’on peut penser est un rythme assez rapide (1).
Les personnes prostituées ne sont plus arrêtées pour délit de racolage depuis avril 2016. Il y a eu un peu plus de 800 clients qui ont été arrêtés comme acheteurs d’un acte sexuel.
Maintenant il faut que les commissions départementales et les parcours de sortie de la prostitution se mettent en place rapidement. On verra mieux où en est à ce moment-là l’application de la loi. Il peut y avoir de nouveaux obstacles avec le renouvellement de la Chambre des député-e-s.
Les lois sur les violences, comme toutes les lois d’ailleurs sont le résultat d’un rapport de forces que les féministes réussissent à imposer. Pour tout, dans l’écriture et l’application. J’ai l’exemple de la loi du 9 juillet 2010 qui était partie de notre proposition de loi-cadre contre les violences et qui à la fin était totalement édulcorée. Sans parler de son application. Sur l’ordonnance de protection, l’application, c’est selon les départements et la conviction des magistrats, c’est juste fou…
C’est une lutte forcenée entre ceux qui veulent maintenir les privilèges et les prérogatives du patriarcat et les féministes qui veulent les abattre. C’est vrai que c’est décourageant parfois. Mais je crois qu’il y a des parlementaires sincères, nous en avons rencontré.
De toute façon, nous n’avons pas le choix : nous ne pouvons laisser les choses en l’état. Ça serait pire encore… On a tenté, dans les années 1970, dans une toute autre situation politique, des ripostes « extra-judiciaires » contre les violences. On s’y est vite épuisées. Mais c’est vrai que l’on se heurte à une justice patriarcale, bourgeoise et raciste.
F : Sur la base des actions des partis féministes existant déjà en Europe, pensez-vous que la création d’un tel parti ferait une différence en France?
S.R. : Je ne connais pas bien les partis féministes dans les différents pays d’Europe. Je sais qu’en France il y a déjà eu des tentatives qui n’ont pas abouti. Je n’y crois pas beaucoup. Il y a je crois en Suède par exemple, beaucoup plus de consensus social qu’en France. Ici, on se heurterait à mon avis très vite à d’autres clivages politiques qui viendraient percuter la cohérence dudit parti. On a d’ailleurs déjà des clivages importants dans le mouvement féministe. Heureusement, c’est vrai, qu’on a aussi beaucoup de points communs avec de nombreuses composantes.
Et puis, au moment où les partis sont remis en cause, on en créerait un ?
Même si c’est difficile à l’heure actuelle, mais ça l’est pour tout le mouvement social, la forme du mouvement me semble plus adaptée. Et ça ne nous a jamais empêché de remporter des victoires fondamentales même si nous devons toujours rester aux aguets….