INTERVIEW DE CAROLINE GUESNIER
Par Francine Sporenda
Fondatrice du Civiff, association de victimes, Caroline Guesnier mène une lutte contre les violences conjugales depuis 2011, date à laquelle elle en fut elle-même victime; reconnue experte dans ce domaine, son analyse est basée sur 6 ans de terrain.
FS: Vous dites que récemment le discours officiel est d’encourager les victimes à porter plainte mais vous affirmez que, comme pas grand’chose ne suit derrière ces belles déclarations (vu le fort taux de classement sans suite et le faible taux de réponse pénale), c’est risqué et compliqué pour les victimes de porter plainte. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Quels sont en particulier les problèmes rencontrés lors des dépôts de plainte dans les gendarmeries et les commissariats ?
CG : Il est très difficile de déposer une plainte actuellement en France parce que, même si les plans encouragent le respect de la Charte d’accueil des victimes et du protocole spécifique d’accueil des victimes de violences conjugales, on ne retrouve pas cet accueil spécifique lors des dépôts de plainte. Nos dépôts de plainte sont encore refusés, et l’association est saisie régulièrement pour des refus de plainte, que ce soit en gendarmerie ou en police, donc l’article 15-3 du Code de procédure pénale qui contraint les agents des forces de l’ordre à noter les plaintes n’est pas respecté. Parfois on peut déposer plainte mais ce sont les conditions dans lesquelles on peut les déposer qui sont lamentables, et les victimes entendent encore des propos irrecevables. Ce sont ainsi des sommes importantes prises sur des budgets annuels qui sont dilapidées, puisque ces dispositions ne sont pas appliquées sur le terrain. Et c’est risqué pour la victime puisque, quand elle se décide à déposer plainte, il peut y avoir menaces de mort, donc quand elle le fait, elle a dû dépasser un certain nombre de blocages personnels pour franchir ce cap. Au-delà des menaces de mort, il y a aussi le chantage : « tu te rends compte, tu vas me faire mettre en prison, tu vas priver nos enfants de leur père », ce sont autant de barrières psychologiques qui sont très difficiles à dépasser. Pour finalement, lorsqu’on arrive à la phase du dépôt de plainte et qu’on a franchi toutes ces barrières, se voir refuser le dépôt de plainte et être extrêmement maltraitée.
On a par ailleurs des victimes qui nous signalent qu’elles se rendent en poste de police ou de gendarmerie pour un dépôt de plainte avec les éléments constitutifs du délit, ou du crime—parce que parfois, il y a viol, et le viol au sein du couple est et demeure un crime—et elles sont malgré tout niées dans leur dépôt de plainte. Les pièces qui permettraient au procureur de la République de prendre une décision ne sont pas portées à sa connaissance parce qu’elles ne sont pas prises dans les dépôts de plainte. En France, depuis 2010, toute citoyenne peut déposer plainte, dans le cadre des violences conjugales, dans n’importe quel point d’accueil, poste de police ou de gendarmerie en France, qui dépendent tous les deux du Ministère de l’intérieur. On peut aller aujourd’hui dans n’importe quel poste de dépôt de plainte sans certificat médical parce que, quand on se décide finalement à porter plainte, on ne sort pas forcément de son domicile avec tous les documents appropriés : le certificat médical n’est pas préalable et nécessaire au dépôt de plainte. On peut déposer plainte même si l’on n’est pas dans sa zone de résidence. Pourtant, à ce jour, si vous allez dans des postes de police ou de gendarmerie sans certificat médical, il y a encore des points en France où on nous signale que, comme il n’y avait pas de certificat médical, la plainte a été refusée. Alors, quand on dit aux victimes : « portez plainte, on va vous aider, les associations sont là pour vous soutenir » et que, dans le même temps, je reçois des témoignages de victimes qui me disent qu’elles ont vu toutes les associations, et que ces associations les renvoient en disant qu’elles ne pouvaient rien faire pour elles, je dis qu’on ment à ces femmes, et qu’en leur mentant, on les met en danger de mort.
On le voit avec ces nombreux meurtres de femmes : pris individuellement, c’est une « histoire au sein du couple » mais pris au niveau de la population française, ce sont des meurtres de masse. 20% des meurtres en France se produisent dans le cas de violences conjugales, et ce chiffre, c’est seulement si l’on se borne au PACS, à la vie maritale et au mariage. Lorsqu’on est assassinée par le petit copain qu’on a rencontré il y a 15 jours et qui ne supporte pas qu’on se sépare de lui, là on ne rentre pas dans les statistiques nationales parce que cela ne s’inscrit pas dans le cadre de la loi.
Je le répète : le discours officiel qui incite les femmes à porter plainte est mensonger, car une fois qu’elles auront franchi le pas, elles seront laissées pour compte. J’ai assisté l’année dernière à un colloque sur les violences faites aux femmes, et une gynécologue qui intervenait à ce colloque a dit : « il semble indispensable de sortir la victime du couple, surtout si elle est enceinte parce que la priorité est de sauver l’enfant qu’elle porte » —mais finalement d’elle, on s’en moque. On avait l’impression que le discours que tenait cette gynécologue, absolument honnête et profondément tournée en faveur de sa patientèle, c’était « il faut sauver le soldat utérus ». Une fois que le soldat utérus est mis à l’abri des violences masculines, ce qui lui arrive ensuite, on s’en fiche. Le but c’est que le soldat utérus puisse continuer à produire de l’enfant. Elle a été ovationnée pour son propos, preuve s’il en est que le public était en attente de cette « vérité ».
FS : Certaines mesures pour protéger les femmes des violences masculines ont été prises récemment. Qu’est-ce que vous pensez de l’utilité protectrice du bracelet électronique et du téléphone « grave danger » ? Et de la loi de juillet 2010 qui prévoit l’éloignement du partenaire violent du domicile ?
CG : L’éloignement du domicile, dans les 500 cas dont nous nous occupons, il n’y en a pas eu un seul. Les statistiques concernant cette mesure sont difficilement trouvables, donc je ne suis pas en mesure de préciser combien de femmes ont pu bénéficier de la mesure d’injonction d’éloignement du domicile. Mais je peux quand même dire qu’aujourd’hui, cette loi n’est pas appliquée. Pour pouvoir bénéficier de cette mesure, il faut saisir en référé le JAF (Juge des affaires familiales) ; logiquement, cela devrait se passer ainsi : Madame arrive en dépôt de plainte, immédiatement l’agent chargé de la réception de la plainte appelle le JAF et met la procédure en marche. Ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe : il faut qu’elle cherche un avocat, très souvent rémunéré par l’aide juridictionnelle parce que, quand elle va sortir du couple, elle est absolument démunie, sauf exception si elle travaille et qu’elle a encore un compte personnel sur lequel est versé son salaire, ce qui est rare au sein des couples où il y a des violences. Madame se retrouve démunie financièrement, à charge pour elle de trouver un avocat et de lancer la procédure en référé avec cet avocat auprès du JAF pour que celui-ci ordonne l’injonction d’éloignement.
La première solution qui va être proposée aux victimes, c’est d’appeler le 115 pour un hébergement d’urgence. Il y a donc un non-respect de la loi, qui devrait être mise en place immédiatement, au dépôt de plainte, par l’agent en charge de recevoir la plainte. Lorsqu’il reçoit la plainte, que les éléments constitutifs du délit sont là, il n’y a aucune raison valable pour que l’agent en charge de la plainte ne téléphone pas immédiatement au procureur, de façon à ce que l’injonction d’éloignement soit prononcée immédiatement. Cette mesure nécessite un engagement personnel de la victime, qui doit se mettre en quête d’un avocat, puis lancer la procédure de référé auprès du JAF, et elle est tellement lourde pour elle psychologiquement que les mesures d’injonction d’éloignement sont rarissimes. Elles interviennent seulement quand la victime a pu rencontrer une association sur place, qui lui a donné les bonnes informations, qui l’a mise en contact avec un avocat, lequel procédera à la démarche sitôt le dépôt de plainte effectué.
Si la victime n’a pas eu cette chance, et qu’elle est comme la majorité des femmes victimes de violences en France, complètement isolée et sans soutien, qu’elle ne sait pas où trouver de l’information, qu’elle ne sait pas qu’à côté de chez elle il y a une association de défense des victimes à disposition, elle va spontanément faire un dépôt de plainte parce que sa coupe est pleine, et elle ne pourra pas bénéficier de l’injonction d’éloignement. Aujourd’hui, on voit des femmes qui se retrouvent à la rue, hébergées en urgence par des amis ou de la famille, alors que la loi est très claire : le violent peut être éjecté du domicile. Quand Marlène Schiappa annonce des réductions du budget du Secrétariat aux Droits des femmes, on se demande pourquoi la loi protectrice de juillet 2010 n’est pas appliquée, puisque l’application de cette loi permettrait une diminution du budget d’hébergement.
Concernant les bracelets électroniques, c’est pareil : aucune des victimes que nous accompagnons ne m’a fait part que son conjoint, bien que reconnu violent, ait été porteur d’un bracelet électronique. Je n’ai pas non plus de statistiques sur le nombre de porteurs : la presse rapporte une condamnation, mentionne le nombre d’années, le sursis ou l’acquittement mais très rarement le port du bracelet durant X années, donc, à ma connaissance, ce n’est pas une solution envisagée fréquemment pour contraindre les violents.
FS : Mais de toute façon, le port du bracelet ne permet pas d’avertir la victime si l’homme violent approche d’elle en cas d’injonction de non-communication. La technologie ne fait pas ça si j’ai bien compris.
CG : Le bracelet électronique est équipé d’une puce électronique. Quand les porteurs de bracelet sont assignés à résidence, des agents vont paramétrer la distance à laquelle ils peuvent se déplacer à partir du domicile. Si le porteur du bracelet sort de ce périmètre, ça déclenche une alarme en gendarmerie avertissant qu’il en est sorti, et donc une intervention immédiate pour aller le chercher.
FS : Mais la victime ne le sait pas…
CG : Ca, c’est pour les assignés à résidence. Si l’on est capable d’assigner quelqu’un à résidence, et de s’assurer que la personne assignée à résidence est sortie de sa « zone de confort », on a la capacité de paramétrer des distances par rapport à la zone de résidence de la victime, et de décider qu’à partir d’un certain périmètre par rapport à cette zone, ça bippe de la même manière que lorsque l’assigné à résidence sort du périmètre autorisé. On est capable de le faire…
FS : Mais ça n’existe pas actuellement…
CG : Ca n’existe pas, mais c’est un projet qui a été présenté au Ministère de la justice en mai 2016 lors d’un rendez-vous que nous avions obtenu. Le projet semblait les interpeller parce que l’idée n’était pas mauvaise. Un an après, elle n’est toujours pas mise à exécution.
Le téléphone « grave danger », ça m’ulcère. Faut-il attendre que nous soyons en possession d’un téléphone « grave danger » pour qu’on se déplace quand on appelle pour signaler des violences ? Tout le monde a un téléphone portable de nos jours. Pourquoi fournit-on un téléphone « grave danger » ? Pour que, si une personne appelle la gendarmerie à partir d’un téléphone « grave danger », son appel soit prioritaire. Je comprends l’urgence de la priorité de l’appel. Mais je pose la question : si on appelle et qu’on n’est pas détentrice d’un téléphone grave danger, l’appel va être moins important ? Pour obtenir un téléphone « grave danger », il faut qu’il y ait eu violence et/ou viol (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/fichetgd2_20160101.pdf). On nous bassine avec le téléphone « grave danger » comme s’il était la solution miracle ; et de toute façon, il reste quand même très exceptionnel car il y en a très peu en circulation. Aujourd’hui, pour l’obtenir, il faut remplir des conditions précises que toutes les victimes de violences au sein du couple ne remplissent pas. Donc il faut avoir été victime de viol conjugal et souffrir de graves séquelles pour en bénéficier, mais si vous êtes face à un homme qui n’est pas allé jusque-là mais qui vous menace et dont vous pensez qu’il pourrait passer à l’acte, vous n’y avez pas droit.
Toutes ces mesures, ce sont des effets d’annonce qui donnent l’impression au public que tout est mis en place pour protéger les femmes, que des budgets sont alloués, que des gens se sont réunis pour trouver des solutions –mais concrètement, sur le terrain, ça n’apporte rien. Oui, le téléphone « grave danger » a sauvé quelques vies, mais on a vu des cas dans les journaux où Madame était bénéficiaire d’un téléphone « grave danger », où elle avait obtenu une injonction d’éloignement, mais ça n’a pas empêché que Monsieur l’assassine. Donc ce sont des solutions qui ne sont pas efficientes.
Par contre, si l’on peut tracer le violent et que, quand il arrive près du domicile de la victime, ça signale à la gendarmerie et sur le téléphone de la victime que Monsieur arrive, ça permet à la victime de se mettre en protection chez des voisins, au poste de police le plus proche de chez elle ou dans un commerce, et ça permet aux policiers d’être en alerte vigilance. Là, oui, on a une vraie mesure de protection. On dit que ça coûterait très cher… Il faut rappeler que la somme totale des amendes qui devraient être perçues pour violences conjugales dépasse les 200 000 Euros. Si l’Etat appliquait les amendes prévues par la loi dans les cas de violences conjugales, ce serait les violents qui financeraient le système de protection des victimes. Lorsqu’ils ont voté la loi de juillet 2010, les députés ont envisagé le coût sociétal de ces violences et ils l’ont retranscrit sous forme du montant des amendes. Pour une ITT de moins de 8 jours, ils ont mis une amende de 45 000 Euros. Pourquoi ? Parce que, derrière, la société va devoir prendre en charge la victime. Le dépôt de plainte, l’aide juridictionnelle, les frais médicaux, etc., tout ça, ça va avoir un coût supporté par la société. En appliquant l’amende de 45 000 Euros, le violent rembourserait les frais qu’il génère par ses actions violentes. Je ne parle pas ici des dommages et intérêts, les dommages et intérêts sont bien distincts de l’amende. Mais cette pénalisation du violent, au niveau d’amendes qui a été prévu par la loi, on ne le retrouve pas du tout dans la presse, les amendes infligées sont minimes, elles ne couvrent même pas les frais de procédure– les violents sont libres de fracasser qui ils veulent, ça ne leur coûte rien ni financièrement ni pénalement, c’est la société qui paye. Les bracelets ont un coût, le paramétrage et la mise à disposition des agents ont un coût, mais si l’on appliquait les amendes prévues par la loi, le violent auto-financerait les violences qu’il a commises et les dégâts qu’elles ont causés.
FS : Vous exigez la fin des expertises et des rapports éducatifs. Vous dites que dans l’opinion des experts et personnels judiciaires, les victimes sont vues comme ayant leur part de responsabilité dans les violences qu’elles subissent et que beaucoup de ces experts ne connaissent pas le concept d’emprise. Pouvez-vous nous en parler ?
CG : L’emprise aujourd’hui n’est pas définie. Donc il y a les pro-emprise et les anti-emprise. Etablir un schéma de ce qu’est l’emprise, communiquer sur comment elle fonctionne, ça serait plus facile pour pouvoir déterminer si une personne a été mise sous emprise. Quand on parle d’un trouble psychiatrique ou psychologique, ou d’un délit ou d’un crime, il y a un cadre qui a été posé. On se réfère à ce cadre pour établir si les éléments qu’on a correspondent au cadre concerné. Pour l’emprise, il n’y a pas de cadre, donc on peut dire n’importe quoi, chacun peut avoir une opinion différente sur ce qu’est l’emprise. Tant que les professionnels de ce métier n’ont pas établi une définition précise de l’emprise, les magistrats en cour de justice ne peuvent pas prendre l’emprise en considération puisqu’elle n’existe pas.
FS : Mais vous êtes pour la suppression des expertises et des rapports éducatifs donc ça va bien au-delà du problème de l’emprise…
CG : Pourquoi la fin des expertises psychiatriques ? C’est très simple. Des experts, il y en a des très compétents et consciencieux, qui complètent leur formation régulièrement, en particulier sur les conséquences des psycho-traumatismes résultant des violences conjugales. Ceux-là, ils vont faire des expertises psychiatriques « au cordeau » qui reflètent parfaitement l’état psychiatrique au moment de l’expertise. Et puis il y a, j’ose le dire, des charlatans. Quand on va voir un expert, on doit pouvoir avoir affaire à une personne qui a la compétence pour appréhender le fait que vous êtes une victime. Mais certains assimilent le fait que vous relatiez ce que vous vivez à de la paranoïa, alors que les propos et les faits relatés sont vraiment vécus par la victime. Donc l’expert qui va recevoir la victime va établir un portrait de la victime qui est aux antipodes ce qu’elle est réellement. Et en fait, le portrait qu’ils font de la victime est souvent, suite au phénomène de projection, celui de l’agresseur. Cette expertise va remonter en justice, et le dossier va partir dans le mur. Ce n’est pas juste quelques cas, j’ai tellement d’exemples d’expertises en France qui présentent un portrait de la victime complètement inversé que la seule solution, c’est l’arrêt des expertises psychiatriques, éventuellement au bénéfice d’une expertise psychologique, qui se passe dans des conditions complètement différentes : le psychologue va recevoir plusieurs fois la personne, il va lui faire passer des tests de personnalité, il va établir un rapport en fonction du résultat de ces tests et de son propre ressenti, après plusieurs séances. Ou alors la fin définitive de toutes les expertises, à partir du moment où la réalité des violences conjugales est établie. Aujourd’hui, les gens bondiraient si l’on disait : on va faire expertiser les victimes de l’attentat de Nice. Ca ferait bondir tout le monde parce que ça serait surajouter un traumatisme à des traumatismes. C’est ce qu’on fait aux victimes de violence conjugale. Par l’expertise, la victime de violence conjugale est niée dans son statut de victime. Quand des experts se trompent à ce point, comment espérer que des tiers non psychiatres, ne se fassent pas eux aussi berner ? Ce qui est aussi trop souvent le cas lors des mesures dites AEMO : aides éducatives en milieu ouvert.
FS : C’est comme les victimes de viol, leur parole est systématiquement mise en doute. Au nom de l’argument : « c’est votre parole contre la sienne (celle de l’agresseur) ». C’est ça le problème fondamental : dans le contexte des violences conjugales, les expertises psychiatriques servent à crédibiliser, ou plus souvent à décrédibiliser, la parole des victimes.
CG : Dans le contexte des attentats, le message qu’on envoie par ces expertises aux victimes de viols ou de violences conjugales, ça reviendrait à dire aux victimes des terroristes : « vous l’avez cherché parce que vous savez qu’on est en état d’urgence, et vous avez quand même été dans des rassemblements populaires, vous vous êtes mis volontairement en danger ».
FS : Le SAP (Syndrôme d’Aliénation Parentale), concept discrédité par les psychiatres et déclaré illégal, est pourtant toujours utilisé comme référence par certains experts pour désenfanter les mères au profit des pères violents et/ou incestueux et au mépris de la protection des enfants. Pouvez-vous nous en parler ?
CG : Pour le SAP, comme pour l’emprise, il n’y a pas de cadre. Le père fondateur du SAP s’appelle Richard Gardner, sa théorie est que les relations sexuelles entre père et enfants sont naturelles et ne nuisent pas à l’enfant. Toute mère qui s’opposerait à cette relation incestueuse le ferait pour nuire au père et rendre l’enfant fou. Gardner s’est suicidé à coups de couteau, c’est éclairant sur la personnalité du père fondateur de cette logique perverse.
FS : C’est en effet pervers qu’on ose utiliser « pour protéger les enfants » les écrits d’un avocat de la pédophilie…
CG : Il n’y a aucun doute sur le fait qu’il était favorable aux pédophiles—mais il a retravaillé son concept pour le rendre plus acceptable : selon lui, les mères qui dénoncent les pères violents dont elles sont victimes lors de la séparation le font pour nuire à l’image du père et rompre son lien avec l’enfant. Cet homme a trouvé des soutiens dans divers pays. Certainement, pour que cette invention abjecte puisse s’infiltrer partout, y compris dans la magistrature, elle a dû bénéficier du soutien d’individus pro-pédophiles.
FS : Ou tout simplement, sans être directement pro-pédophile, d’individus inconditionnellement du côté des pères…
CG : Avant le SAP, le camp des pères disposait déjà d’une arme anti-mères, le syndrome de Médée. On n’en parle plus maintenant, mais avant le SAP, ils se servaient du syndrome de Médée pour décrédibiliser la parole de la mère. Le SAP a pris le relais et est devenu une arme anti-mères, au point qu’une mère qui va dire que, pendant son DVH (Droit de Visite et d’Hébergement), le père a fait ci ou ça à l’enfant, elle va être accusée immédiatement de vouloir salir le père, quelle que soit la gravité des faits dont elle fait part.
FS : Ca empêche absolument qu’une mère puisse dénoncer des actes pédophiles de la part d’un père, c’est une protection totale pour eux…
CG : C’est ça. On nie la parole de l’enfant, les statistiques qui passent régulièrement sur twitter donnent 98% de cas de paroles d’enfants niées lors de la procédure d’instruction. Alors qu’une enquête faite en France en 2001 par le Ministère de la santé faisait ressortir que seulement de 3 à 7 dossiers pour 1 000 étaient de fausses accusations. Avec l’invention du SAP, tous les dossiers d’inceste, ou presque, partent dans le mur, même parfois bien que l’enfant ait parlé, il n’y a pas d’instruction en justice, c’est classé au bout de quelques jours. Les pères disent : « elle m’a fait passer pour un père incestueux, je demande la résidence de l’enfant parce que cette femme est folle et dangereuse pour l’enfant », et ils obtiennent la résidence de l’enfant.
On a des cas au sein de l’association où la mère a été diagnostiquée comme relevant d’un SAP sans que l’enfant n’ait jamais été consulté. Comment peut-on savoir si l’enfant est manipulé par un des parents si on ne le voit pas ? Aujourd’hui en France, on affirme que ce serait 60% des accusations d’inceste qui seraient mensongères. Une étude d’AIVI (http://www.lexpress.fr/actualite/societe/4-millions-de-francais-se-disent-victimes-d-inceste_1746442.html) établit que 4 millions de Français ont été incestués, ça fait 6% de la population. Comment peut-on avoir en même temps 6% de la population qui a été victime d’inceste et –sans aucune enquête—un reportage dans 7 à 8 qui affirme qu’il y a 60% de fausses accusations d’inceste ? Pourquoi est-ce qu’on protège à tout prix le père, quand bien même il serait incestueux ? Qui a permis ça ? Ce sont les associations « de pères » ; ils ont fini par attirer sur eux les bonnes grâces publiques et aujourd’hui, on stigmatise des femmes victimes au sein du couple qu’on accuse de n’être motivées que par le désir de se venger de si gentils maris.
Pour reprendre la comparaison avec le terrorisme, c’est comme si on disait que des parents à Nice qui ont vu mourir leurs enfants ne vont penser qu’à s’armer pour aller tuer toutes les populations d’origine étrangère pour se venger. C’est ce qu’on fait aux mères quand on leur dit : « vous cherchez à nuire au père parce que vous cherchez à vous venger des violences qu’il vous a fait subir ». C’est ce qui vient à l’idée de tout le monde quand il s’agit des mères.
FS : Qu’est-ce que la « justice restauratrice » ou « réparative » ? Pensez-vous que ça soit une bonne idée ?
CG : La justice restauratrice ou réparative a gagné en visibilité sous le ministère de Christiane Taubira, parce que les prisons sont pleines, parce que les réponses ne sont plus du tout adaptées, et qu’il fallait trouver des solutions pour limiter les récidives, limiter les emprisonnements. Parmi les solutions envisagées, il y a la justice réparative. On prend un bourreau, on le répare, comme ça il ne sera plus un bourreau. Si l’idée au départ semble plutôt bonne, parce qu’en effet, il semble urgent de réparer les bourreaux pour qu’ils cessent de faire des victimes, la manière de procéder ne me convient absolument pas. Le but, c’est de mettre en contact des personnes qui ont été victimes avec des personnes qui ont été bourreaux. Donc on demande aux victimes de réparer les bourreaux. Au motif qu’en échangeant sur les conséquences de l’acte du bourreau sur la victime, et l’explication de la pulsion qui a conduit le bourreau à commettre cet acte, cela permettrait à chacun de pouvoir apaiser ses souffrances. https://www.cesoirtv.com/programme/161725560/une-autre-justice.php
Les victimes ne sont pas des psys, elles ne sont pas là pour écouter un agresseur raconter pourquoi il a « besoin » de nuire. Le violeur qui explique ce que ça peut lui procurer comme plaisir de prendre tout pouvoir sur ses victimes, ça va le nourrir dans sa pulsion. L’impact que ça a sur une victime—car ça passe aussi par les yeux, par les expressions corporelles—d’écouter l’agresseur exprimer la jouissance qu’il éprouve à priver une personne de son intégrité, ça va le nourrir dans son vice.
FS : Ca lui donne l’occasion de revictimiser une femme en lui imposant ce genre de récit.
CG : C’est une démarche volontaire des victimes, et les bourreaux expliquent à des victimes pourquoi ils ont ce besoin de violer, de battre, de tuer…
FS : C’est quand même une revictimisation, parce que c’est traumatisant à entendre, ce genre d’explications pour une victime…
CG: Il y a ça, et il y a un risque supplémentaire, qui est que les victimes ont un fond empathique. Dans le cas des violences conjugales, on est en plus avec un syndrome du sauveur. C’est-à-dire que la victime va essayer d’instinct d’aider les autres, va déclencher pour le bourreau un affect qu’elle ne devrait pas déclencher—ce sont des réponses inconscientes et ça la met en danger. Donc on méprise les conséquences négatives de telles rencontres pour les victimes au prétexte que peut-être, en les mettant en relation avec un bourreau, on va aider celui-ci. Je peux entendre que l’on fasse intervenir la famille, pour qu’elle puisse apporter un soutien à la victime. Mais qu’on mette en face à face des victimes avec des bourreaux, ça je ne peux pas l’entendre, car en plus les victimes sont écartées des formations données en amont aux professionnels. On ignore l’impact que les violences des agresseurs ont sur elles, on ne les écoute pas, mais par contre on va leur demander d’aller réparer un violent…
FS : C’est ce qu’on demande toujours aux femmes…
CG : Ce que projette cette mesure, c’est que la femme en France est une mère, au sens large du terme, qu’elle doit tout encaisser, tout supporter, et qu’en plus on lui impose la charge psychologique de soigner les gens, y compris ses agresseurs. Cette proposition faite sous le mandat de Christiane Taubira est actuellement discutée par certaines associations, mais nous nous y opposons fermement. L’impact sur les victimes n’a pas été mesuré, c’est un cadeau, une jouissance inouïe pour les bourreaux, qui vont pouvoir victimiser de nouvelles personnes. En plus, on le sait, les bourreaux sont dans le déni de ce qu’ils font, donc quand ils vont donner des arguments sur leurs motivations, ils joueront le rôle qu’on attend d’eux, mais ils ne se considèrent pas comme bourreaux…
FS : Ils vont jouer la comédie du repentir…
CG : Exactement. C’est une aberration dangereuse qui va en plus va nécessiter des budgets, qui va nécessiter la formation de professionnels, ça sera des centaines de cas en France pour un résultat dangereux.
FS : Pouvez-vous nous parler du problème des pensions alimentaires non payées et de la CAF (40% des pensions alimentaires ne sont pas payées ou avec retard)? Et des cas comme celui de ce père, en retard de 5 000 Euros dans ses versements, qui a dénoncé la mère parce qu’il trouvait que l’enfant n’avait pas un assez bon manteau?
CG : Dans le dossier des 5 000 Euros de pension non versés, ce que disait la mère était tellement ahurissant que j’ai dit : le mieux, c’est d’appeler cette antenne AEMO pour avoir une discussion avec eux–cette mère se faisait démolir par le père sous tous les prétextes possibles. Elle avait quatre enfants d’un premier lit, et le cinquième qu’elle avait eu dans le contexte d’une reconstruction familiale. Deux de ses enfants avaient déjà été placés abusivement, sans qu’on puisse savoir pourquoi ces deux-là avaient été placés, et pas les autres. L’association AEMO lui reprochait ceci : un de ses fils voulait partir à l’armée, et selon eux, c’était la preuve qu’elle était trop fusionnelle avec ses enfants, parce que les enfants qui veulent partir à l’armée, veulent ainsi rompre avec la famille, parce que la famille est trop envahissante. Et ils affirmaient ça d’autorité, bien qu’il n’y ait aucune étude qui le démontre.
Et il y avait ce problème des plus de 5 000 Euros d’arriérés de pension alimentaire dus par le père, elle en faisait part aux éducateurs, ils ne répondaient jamais à ça et trouvaient des excuses au père parce qu’il était en difficulté. Jusqu’au jour où le père s’est plaint du manteau que portait l’enfant : il avait un trou. Et là, les éducateurs se sont retournés contre la mère parce que ce n’était pas normal que l’enfant porte un manteau troué. C’était tellement énorme que j’ai appelé l’antenne éducative en disant « on m’a rapporté ces propos, pouvons-nous en discuter ? ». Très aimablement ils ont accepté, et ils m’ont confirmé l’intégralité des propos de la mère, j’étais abasourdie. En effet, le père avait bien 5 000 Euros de pensions impayées, mais ce n’était pas normal que la mère leur envoie l’enfant avec un manteau avec un trou—parce que ça stigmatisait l’enfant. J’ai rédigé pour la mère une attestation destinée au juge des enfants qui avait mandaté cette mesure, puisqu’il était question qu’on lui enlève le petit dernier. Suite à la réception de l’attestation, l’avocat a fait son travail en justice, et on ne lui a pas pris l’enfant. On voulait le lui prendre au motif que la mère ne lui offrait pas des conditions de vie décentes ; par contre, rien sur le père–pourtant l’abandon de famille est un délit passible de prison. La CAF se substitue aux pères défaillants depuis quelque temps, et peut-être que le montant de l’allocation de soutien familial est maintenant plus élevé. Il faut savoir que le versement de cette allocation est limité dans le temps, et si l’ex-conjoint a un retard de pension alimentaire de plusieurs années, les arriérés de pension au-delà du délai ne sont pas pris en charge. Ce sont des sommes qui, cumulées, représentent des dizaines de milliers d’Euros. Donc on est clairement dans le cadre de violences économiques, et pourtant cette violence économique-là n’est pas incluse dans les violences conjugales, alors que les violences économiques sont une des cinq formes de violences conjugales. Les pères mauvais payeurs s’en tirent royalement…
FS : Ce qui est énorme, c’est que c’est l’Etat, donc les contribuables qui paient pour les pères qui refusent de payer…
CG : Dans l’esprit collectif, on a réussi à faire admettre que la pension alimentaire servait aux femmes pour aller faire la belle. Le vrai nom de la pension alimentaire, c’est « contribution éducative alimentaire ». Quand on parle de contribution éducative, ça implique qu’il est normal que les deux parents co-financent les frais liés à l’éducation d’un enfant. En quoi ça pose problème qu’une contribution éducative soit versée par un des parents au seul bénéfice de l’enfant ? La pension alimentaire est déterminée selon un tableau magistral, donc elle est fonction des revenus et des charges. Un père qui gagne 1 000 Euros par mois et un père qui gagne 5 000 Euros par mois n’auront pas la même part contributive. Il y a des pères qui doivent payer 100 Euros de pension alimentaire, comment faire vivre correctement un enfant avec 200 Euros (avec la part éducative de la mère)? Je mets quiconque au défi de nourrir et de vêtir correctement un enfant avec ça, de le loger et de le faire vivre décemment, de laver ses vêtements—l’eau, l’électricité– d’avoir une chambre supplémentaire donc un surcoût de loyer. Et en plus, libérer quand même un budget pour que l’enfant ait des loisirs ? La population est contrainte de payer en lieu et place de ce père mauvais payeur qui n’en est pas un, c’est juste un géniteur puisqu’il ne veut pas participer aux frais liés à la naissance de son enfant—et en même temps, il faudrait le protéger contre ces femmes vénales qui veulent la pension pour aller faire la belle. Ils arrivent à faire pleurer une majorité des gens sur leur cas, tout en les arnaquant parce que c’est la population qui paye à leur place. C’est le propre des pervers de se faire passer pour la victime, les gens sont victimes de ces pervers, et ils n’en ont pas conscience.
FS : Justement, vous dites que dans les associations de pères, (les « grutiers » comme vous les appelez), de nombreux pères sont des délinquants ou des criminels. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
CG : Des exemples ? Sur internet, il y a des gens beaucoup plus pointus que moi qui en ont fait un journal, moi j’ai conservé les liens les plus flagrants. On a une personne qui s’appelle Fabrice Devaux, qui a été mis en accusation et condamné à 6 ans de prison ferme pour avoir à plusieurs reprises tenté de commanditer l’assassinat de son ex-femme en proposant 30 000 Euros. Quand il a été condamné à 6 ans de prison pour avoir commandité le meurtre de son ex-épouse, il venait juste de sortir d’une association pro-pères et bien qu’à l’époque, il n’était plus mandaté par cette association, il en a été l’un des piliers. A partir du moment où l’un des piliers de cette association est capable de commanditer l’assassinat de sa femme, on peut légitimement douter de sa capacité à conseiller les hommes qui se rapprochent de cette association.
Un peu plus récents, les fameux pères grutiers. Pourquoi on les appelle les grutiers ? Parce qu’ils ont choisi les grues comme symbole et comme mode d’action. Quelle drôle d’idée ! La grue, c’est un symbole phallique. Pourquoi ils ont choisi cette représentation phallique, et d’aller au sommet d’un phallus ? Ces associations pro-pères sont bien implantées partout et sont des lobbies très actifs en France. Une chaîne d’information en continu a couvert leur grimpette pendant trois jours. Au départ, ils étaient deux à grimper sur une grue, et en bas, on voyait écrit partout : « soutenus par les associations pro-pères ». Au bout de quelques heures, un des deux est redescendu. Ce qui semble indiquer qu’ils ont eu du mal à se supporter entre eux. Dans le cas de celui qui est resté perché, il y a eu clairement violences psychologiques : il a affiché à plusieurs reprises le nom de son enfant. Si une réponse pénale avait éloigné le père de son enfant, c’est qu’il était dangereux pour l’enfant, c’est tellement rare, que quand ça arrive, c’est que le danger était avéré ; et dans ce cas, les faits étaient gravissimes. Pourtant la chaîne d’info n’a jamais cherché à savoir quelles étaient les raisons pour lesquelles il avait été interdit de contact avec son enfant. Ils l’ont couvert, en particulier quand il mentionnait le nom de l’enfant. Qui a été stigmatisé publiquement par ce père invasif et délinquant ? La mère et l’enfant, le père ayant utilisé les medias pour faire perdurer l’emprise qu’il avait sur cette famille. Quand il est redescendu, la première chose qu’il a dite, c’est « on est gouverné par des bonnes femmes ». Quelques mois plus tard, il va se retrouver en prison, parce qu’il a répété les actes qui lui avaient fait perdre tous droits sur l’enfant, donc prison avec révocation du sursis. Il savait pourtant pourquoi on lui avait retiré ses droits. http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1163510-serge-charnay-de-la-grue-a-la-prison-parcours-d-un-masculiniste-enrage-parmi-d-autres.html
Le second, celui qui était monté et redescendu, va publier sur les réseaux sociaux qu’après l’affaire Jacqueline Sauvage, la chasse est ouverte contre ces salopes vénales qui exploitent les hommes pendant qu’ils travaillent, et qu’une fois qu’ils sont à la retraite, les assassinent. Et qu’il ne faut pas hésiter à les tuer, propageant ainsi des incitations au meurtre sur les réseaux sociaux. Propos qui ont été relayés par une association pro-pères (qui a fermé il y a peu) ; nous avons dénoncé ces incitations au crime.
Un des grutiers a même fait monter sa mère. Ce personnage était mis en examen sur des faits d’attouchement sur sa fillette de 4 ans au moment des faits ; en attente de son procès, il va se produire partout habillé en rose, pour « rendre hommage » à sa fille, et il sera condamné quelques mois plus tard pour des agressions sexuelles avérées. Il a été condamné mais il a été soutenu par des associations pro-pères. Et tous ces hommes qui se sont regroupés autour du symbole phallique de la grue jaune sont un collectif qui agit en faveur des pères réputés violents. Et le président de cette association qui protège des pères violents ou criminels est invité par Europe 1 ! Plus récemment, un père a perdu la jouissance du domicile conjugal, il ne veut pas partir, l’huissier vient pour le déloger, il le reçoit armé. Des négociations lui ont pourtant permis de conserver l’usage du logement jusqu’à la fin de la prochaine trêve hivernale et il a été blanchi pour avoir reçu l’huissier armé.
Il y a là manquement d’application au jugement, il y a atteinte aux personnes par l’accueil armé d’un représentant de l’Etat, et pourtant, on le laisse rester au domicile. Alors que le domicile appartenait en propre à son ex-femme ! Comme il est soutenu par cette association qui est un lobby très puissant, il ne sera même pas mis en accusation pour avoir reçu l’huissier avec des armes. C’est la porte ouverte aux dérives, et les dérives se multiplient. Dans les dossiers que nous avons, sitôt qu’il y a une des associations pro-pères derrière, ça part dans le mur. Ils ont des appuis partout, ils sont pratiquement crus sur parole, ce qui fait que quand nous produisons les pièces de nos dossiers, elles sont rejetées par la magistrature. Récemment, à Montpellier, on a retiré une fillette à sa maman, parce que soi-disant, elle n’aurait pas payé une facture d’orthophoniste, on a prouvé que c’était faux, et qu’elle avait été payée, mais on a quand même écarté les pièces de la mère, et on a placé l’enfant. Mais bien que la magistrature ait écarté nos pièces, là, au moins, la presse l’a signalé.
Une de ces associations a mis en ligne une pétition pour la résidence alternée obligatoire, ça a été signé par Marlène Schiappa. Il est possible qu’elle ait signé de bonne foi et à son insu, parce qu’ils font pleurer sur leur sort, ils jouent sur la crédulité et la naïveté pour apitoyer sur ces pauvres papas, mais aujourd’hui, en tant que secrétaire d’Etat, j’espère qu’elle sera absolument neutre et impartiale et que ses décisions seront objectives et fondées sur les faits et les chiffres et non sur ce que racontent ces associations.
FS : Justement, pouvez-vous nous parler des placements d’enfants injustifiés ? Pourquoi ces placements injustifiés, quelles conséquences pour les enfants, et quel coût pour les contribuables ?
CG : Le principe du placement d’enfant est simple : on le place s’il y a un danger pour lui là où il vit. Sauf qu’on a eu récemment un écho journalistique du cas de deux parents violents, c’est l’enfant qui signale les violences parentales, on place la fratrie pendant quelques jours, puis on décide de les rendre aux parents parce qu’on estime qu’il n’y a pas de danger. Sur la base du raisonnement suivant : si les parents sont aussi violents l’un que l’autre, pas de problème, l’enfant n’est pas en danger. Là où ça se complique, c’est quand les deux parents sont diamétralement opposés, ce qui est le cas dans les violences conjugales, où il y a un délinquant, et une victime. Il y a une personne qui est dans la violence et l’autre qui est dans l’empathie et la protection. L’enfant ne sait plus à quel saint se vouer : quel est le parent qui va bien, quel est le parent qu’il va prendre en référence ? C’est légitime qu’un enfant se pose la question, il n’a pas à juger ses parents. Là, on dit : « l’enfant est en danger parce qu’il est au sein d’un conflit ». Non, on n’est pas au sein d’un conflit dans le cas de violences conjugales, on est au sein d’une tyrannie, exercée par un seul qui tyrannise le reste de la famille.
Pourtant, au motif que le conflit parental est trop prégnant, et si la mère dénonce les comportements délictuels du père, on va dire qu’elle alimente le conflit. Pour ne pas alimenter le conflit, faudrait-il qu’elle se taise ? Donc on considère que l’enfant est en danger et que, pour le protéger de toute cette folie parentale, il faut le placer. Le problème est que les associations pro-pères ont subverti cette logique en adoptant le mot d’ordre : « poussez le conflit au maximum, comme ça l’enfant sera placé et vous n’aurez pas de pension alimentaire à verser ». Et ça marche, et la magistrature est absolument aveugle là-dessus. Il y a des femmes qui ont vécu des traumatismes de violence conjugales ultra-violents, ensuite elles sont littéralement « charcutées » par les institutions, et au final, on leur enlève les enfants parce qu’on les trouve trop abimées ? Dans le cas des résidences alternées, une semaine sur deux, l’enfant est en lien avec une personne ultra-violente, la semaine suivante il est en lien avec un parent bienveillant et protecteur. Ben sûr que l’enfant ainsi tiraillé est une cocotte-minute ! Avec le parent violent, il vit des atteintes à son intégrité physique et morale. On accepte que les contacts avec ce genre de violent aient des conséquences sur leurs compagnes mais on nie que ça ait des conséquences sur les enfants ! On doit protéger la mère ET les enfants—qui sont autant victimes d’actes délictuels qu’a pu l’être la mère. Et avec internet et les réseaux sociaux, on n’a plus aucune excuse pour dire « mais on ne savait pas ! »
FS : J’ai cru comprendre qu’il y avait pas mal de placements abusifs et que les placements étaient très coûteux ?
CG : Sur les placements d’enfants, il n’y a pas vraiment de chiffres clairs. La protection de l’enfance aurait un budget de 10 milliards. Le chiffre du coût des placements abusifs serait de 6,9 milliards d’Euros. Ces chiffres ne collent pas puisque les placements abusifs correspondraient à la moitié de la totalité des placements. Le budget de l’ASE ne peut donc pas être de 10 milliards d’€, le coût annoncé des placements est faux ou les informations sur les placements abusifs erronées (http://www.onpe.gouv.fr/system/files/publication/20151012_oned_estimation.pdf). Il faudrait mettre en place un organe absolument transparent qui permettrait l’accès à toutes ces données pour arrêter que les pères s’en servent comme arme. En tout cas, ces placements abusifs ont un coût sociétal, mais le pire, c’est que le système de protection de l’enfance a une certaine capacité d’hébergement, qu’elle est atteinte et que des enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance dorment dans la rue.(http://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone-faute-famille-accueil-enfants-dorment-1266085.html)
FS : Donc il y a des enfants qui ne devraient pas être placés qui sont placés, et ceux qui devraient être placés ne le sont pas, par manque de places ?
CG : Vous imaginez la situation, quand l’enfant qui dort dans la rue, a été pris de manière abusive à la mère ? L’injustice faite à la mère est énorme, sans parler de l’injustice évidente faite à l’enfant. Imaginez quand une mère s’est battue pour démontrer la violence du père, qu’à cause de cette volonté de faire émerger la vérité, elle s’est retrouvée privée de son enfant, et qu’elle découvre que l’enfant dort dans la rue parce qu’il n’y a pas de place en foyer, imaginez les conséquences. On pousse littéralement ces femmes au suicide, on leur demande d’encaisser des choses qui sont incommensurables. Comment elles font pour rester debout, pour continuer à se battre, pour ne pas sombrer dans la folie ? J’ai 500 femmes extraordinaires autour de moi, j’ai un entourage de ces femmes qui sont des modèles de courage. Ce sont les forces vives de la nation qu’on réduit en cendres, et les enfants sont les grands perdants.
FS : Vous dites que la France a décidé de « protéger les violents » et en particulier les pères qui ne respectent pas les visites et la garde alternée. Pouvez-vous nous citer quelques exemples du double standard entre pères et mères, le fait que les pères ne sont pas pénalisés à la même hauteur que les femmes lorsqu’il y a non-présentation d’enfants ?
CG : J’ai des cas inouïs : une maman qui part en vacances. Le père n’est pas en période de DVH (Droit de Visite et d’Hébergement)—c’est important de le signaler. Donc la mère est dans son temps de résidence. Elle part en vacances avec sa fille, elle est à peine dans l’avion que le père va déposer plainte pour enlèvement d’enfants. Il faut un certain délai pour le faire, donc il attend que le délai soit dépassé, et il va déposer plainte en poste de police. Et ça marche. Alors que sur le dossier, il est bien marqué que la mère est dans la période de son hébergement à elle. C’est une entrave à la liberté de circulation des personnes. La mère part pour une destination française, donc elle ne sort pas du territoire national. Elle va être traduite en référé en justice, avec transfert de garde immédiatement. C’était en 2013. Depuis, la mère voit sa fille en point-rencontre au maximum 4 heures tous les 15 jours, parfois seulement 2 heures. Le père a eu, immédiatement après, obligation de présenter l’enfant à la mère dans les points-rencontre. Il va y avoir de sa part une récurrence de non-présentation de l’enfant et de plaintes déposées par la mère pour ces non-présentations d’enfant. Quand le juge va enfin statuer, alors que c’était des procédures en référé qui auraient dû être traitées dans les 15 jours, quand la magistrature va enfin se prononcer sur les premières procédures qui ont 2 ans, elle va protéger le père et rendre toutes les non-présentations d’enfants légales par jugement. La mère a été injustement accusée d’avoir enlevé l’enfant, alors qu’elle était dans son droit de jouir librement de son temps de garde—la magistrature ne respecte même pas ses propres lois et ses décisions magistrales, c’est dire. Et elle a protégé un père qui a été en situation délictuelle à plusieurs reprises, et en plus, elle l’a protégé avec effet rétroactif.
J’ai eu des cas où des mères ont déposé plus de 10 plaintes pour non-présentation d’enfant, avec rupture du lien de plus de deux ans. A l’une de ces mères, on lui propose de voir l’enfant dans un point rencontre afin de rétablir le lien, en présence de tiers. Elle doit se déplacer, parce qu’elle n’habite pas sur place. Elle fait le voyage de son lieu de résidence au lieu de résidence de l’enfant pour pouvoir le rencontrer, l’enfant ne vient pas. Elle lance alors une procédure en référé parce que le point-rencontre a été demandé par un magistrat, et le père a déjà bafoué les précédentes décisions de justice. Elle considère qu’elle a fait de allers-retours pour voir son fils deux heures, mais elle ne le voit pas et elle décide que ça suffit. Suite à cette procédure, elle a été humiliée en cour de justice par la magistrature, au point que son avocate était choquée. Le père a été relaxé—et pourtant, les faits sont avérés. Deux ans sans voir son enfant, les points-rencontres ne sont pas honorés, donc le délit est caractérisé. Mais le père est blanchi, relaxé, et la mère se fait massacrer par le juge des audiences. En correctionnelle, les audiences sont publiques, donc quand elle s’est fait humilier par le juge, elle s’est fait humilier en public. Elle a même été accusée d’avoir fait des procédures abusives, parce qu’à chaque fois qu’il y a eu non-présentation d’enfant, il y a eu un dépôt de plainte.
Et moi, je suis là avec ces mères, et j’essaie de les garder en vie. Parfois, je peux être jusqu’à 2 heures du matin au téléphone ou sur les réseaux sociaux. Quand la presse relate des non-présentations d’enfant par la mère, ces femmes sont condamnées à des milliers d’Euros d’amende, et même à des peines de prison pour ces non-présentations d’enfant. Je vous laisse imaginer l’impact des articles qui font mention des sanctions contre les mères, sur celles qui en sont victimes et se font bafouer par la justice. Il faut mettre fin à ce sexisme de la justice française. Ou on blanchit tous les parents qui font de la non-présentation d’enfant, ou on les condamne tous. Nous sommes des citoyennes et parties prenantes du système à égalité avec les hommes. Le fondement même de la Constitution française qui est issue de la Déclaration universelle des Droits humains, stipule que chaque être humain nait et demeure libre et égal en Droit. En tant que contribuable, je ne veux pas financer un système qui m’est profondément hostile. Nous sommes des citoyennes donc nous cotisons à ce système qui est censé nous représenter—mais il nous est défavorable à tous les niveaux. Et les hommes se tiennent les coudes et sur les réseaux sociaux, ils se déchaînent contre les féministes qui osent protester, ce harcèlement allant parfois jusqu’aux menaces de mort. Il y a une volonté manifeste de maintenir tel qu’il est ce système où l’homme a la toute-puissance, à partir du moment où il utilise l’ultra-violence sur la femme pour la réduire.