Par KAJSA EKIS EKMAN

 

Le modèle nordique, comme on le connait maintenant, je veux parler de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas, parce que je pense que nous n’avons jamais eu dans mon pays une loi qui est si discutée et si mal comprise.

Nous avons adopté la loi contre l’achat de services sexuels en 1999. Des universitaires sont venus en Suède pour combattre cette loi, ont même essayé d’apprendre notre langue juste pour la combattre.

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La première fois qu’elle a été présentée au Parlement européen, elle a été accueillie par des rires, et les journaux titraient : « comment peut-on essayer d’abolir le plus vieux métier du monde » ? Le plus vieux métier du monde, comme l’a observé Gunilla Eckberg, n’est pas celui de prostituée mais de sage-femme.

Les mythes au sujet de la loi suédoise vont de : « maintenant, le sexe est illégal en Suède, on ne peut plus avoir de rapports sexuels, regardez ce qui est arrivé à Julian Assange, vous êtes toutes des folles » à « non, ça ne marche pas, vous avez juste une énorme prostitution clandestine à la place ». Il faudrait savoir : est-ce qu’on a beaucoup de prostitution en Suède, ou plus de sexe du tout ? C’est l’un ou l’autre.

Les réactions vont de : « vous persécutez les femmes prostituées en Suède » à « si vous arrivez à l’aéroport en Suède avec des préservatifs, vous êtes refoulés ». J’ai entendu toutes ces rumeurs absurdes pendant des années.

Certains de ces mythes ont malheureusement infiltré les rapports d’Amnesty international (et ceux de la Chambre des communes) et je trouve cela très amusant, parce que la plupart des personnes qu’ils citent ne parlent pas le Suédois. Alors d’où tirent-ils leur information ? Quand vous essayez d’identifier la source de ces rumeurs, vous finissez par tomber sur un site internet qui prétend avoir interviewé douze femmes qui disent toutes que leur vie est plus dangereuse à cause de cette loi. Mais ce mythe a été réduit à néant par une évaluation officielle de la loi qui établit qu’il n’y a aucune preuve que la loi rende l’exercice de la prostitution plus dangereux, au contraire : les femmes qui ont été interrogées disent qu’elles ont un avantage sur les clients parce qu’elles peuvent maintenant les signaler à la police—alors que les clients ne peuvent pas dénoncer les prostituées.

Dans ce face-à-face entre client et personne prostituée où les hommes avaient auparavant le contrôle de plusieurs façons, la personne prostituée peut désormais dire au client : « quoi que vous fassiez, je peux toujours vous signaler à la police rien que pour l’achat de sexe—parce que le simple fait d’acheter du sexe est maintenant illégal. Même si vous achetez une prostituée comme cadeau d’anniversaire pour quelqu’un d’autre, c’est illégal ».

Pourquoi des débats aussi vifs à ce sujet ? Parce que les clients sont outrés de devoir parfois payer des amendes pour avoir acheté du sexe, amendes dont le montant est aussi élevé que celui d’une contravention pour stationnement au mauvais endroit. Personne ne dit qu’en Suède, si vous garez votre voiture au mauvais endroit et que vous payez une amende de 80 Euros, vous ne pouvez plus conduire. Personne n’ose dire ça. Alors pourquoi tant d’indignation au sujet de cette loi ?

Ma réponse est que cette loi représente une mutation énorme. C’est tellement majeur que nous ne pouvons pas encore réaliser son impact. Il ne s’agit pas juste de modifications de quelques points de pourcentage dans des sondages, il s’agit d’une mutation radicale : nous transférons le fardeau de la responsabilité de qu’est ce que la prostitution au client–parce que, depuis des siècles, la responsable de la prostitution, c’est la femme.

 

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Nous savons que la législation de la prostitution a toujours existé. Partout où la prostitution existe, tôt ou tard, il y aura nécessairement des lois pour la réguler. Même si elles ne visent pas spécifiquement la prostitution, d’autres lois seront utilisées contre les prostituées—parce que l’existence de la prostitution dans une société entraîne une série de conséquences : criminalité, drogues, et certaines choses que la plupart des gens ne veulent pas voir là où ils vivent ; ils vont donc faire des lois pour les combattre.

Ces lois ont toujours été utilisées contre les femmes. Dans l’histoire humaine, ce sont les femmes qui ont été arrêtées pour prostitution. Ces lois reflétaient les normes de moralité traditionnelles selon lesquelles la prostitution doit exister pour les hommes—mais les femmes qui se prostituaient devaient être punies. Ce double standard a toujours été présent.

Même en Allemagne de nos jours où la prostitution est légalisée, il est interdit aux prostituées d’exercer dans certaines zones, interdit d’exercer près d’une église ou près d’une école si vous n’avez pas une licence, etc. En Suède, nous n’avons pas ce genre de loi. Une femme peut se prostituer où elle veut. Elle ne peut pas être poursuivie en justice pour ça.

C’est donc bizarre qu’on nous accuse de persécuter les « travailleuses du sexe » quand en fait, c’est exactement le contraire : la loi suédoise est une décriminalisation totale des prostituées.

Ce que nous faisons, c’est que, pour la première fois, nous mettons l’homme au centre de la prostitution : c’est lui qui achète, c’est lui qui a le choix, donc c’est lui qui peut cesser d’acheter. Et s’il cessait d’acheter du sexe, la prostitution cesserait d’exister C’est une révolution copernicienne, et c’est ce qui rend le débat si difficile—parce que les gens ne sont pas habitués à ça : dès qu’on parle de prostitution, les gens veulent toujours ramener la discussion sur les femmes.

Dans toutes les critiques de la loi suédoise : « vous persécutez les « travailleuses du sexe, etc. »,  il est intéressant d’observer que les acheteurs de sexe n’ont même pas besoin de se défendre, parce qu’il y a de nombreuses femmes qui se précipitent pour le faire. Elles disent : « laissez les tranquilles, écoutez-moi, je vais répondre ». Et vous pensez : « mais laissez les clients se défendre eux-mêmes ! » Ils n’ont pas besoin de toutes ces bonnes d’enfant pour parler à leur place.

Cette loi a été passée en Suède il y a 18 ans, et ils ne rient plus. Il y a eu ensuite la Norvège, puis la France. Pays après pays, la loi avance, la situation est différente maintenant.

 

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Je veux revenir un peu sur comment cette loi a été passée. Elle a été passée après au moins 20 ans de recherches, en particulier après une enquête officielle auprès des personnes prostituées réalisée en 1977. C’était la première fois que des personnes prostituées étaient entendues et cette première recherche en a déclenché beaucoup d’autres : sur les acheteurs de sexe, sur qui étaient les personnes prostituées, sur le proxénétisme—et tout cela a mené à la loi. Cette loi a été le résultat d’années de recherche novatrices dans des domaines jusqu’alors inexplorés.

Cette loi a fait partie d’un projet nommé « la paix pour les femmes » et la clé de ce projet est que la prostitution y était vue comme une partie de la société, comme une partie des relations entre hommes et femmes. Cette loi était une des composantes d’un projet plus vaste incluant la lutte contre le harcèlement sexuel, contre la violence envers les femmes, contre le viol etc. La prostitution était vue comme une partie de ces violences envers les femmes : l’achat de sexe était appréhendé non pas comme un crime envers une personne individuelle mais comme un crime envers la société—parce que cela affecte tout le monde.  L’idée était que la prostitution est incompatible avec l’égalité des sexes—donc il y avait au départ une perspective holistique.

On ne peut avoir d’une part, une société qui tente de combattre le manspreading des hommes dans les trains et qui d’autre part laisse les femmes être torturées et tuées dans la prostitution sans intervenir—comme si cela n’avait rien à voir. Dans les deux cas, il s’agit des mêmes personnes, il s’agit des mêmes hommes dans des circonstances différentes.

Nous avons pu faire passer cette loi parce qu’il y avait une proportion importante de femmes au parlement—44% à ce moment—et les femmes de différents partis se sont unies pour la défendre.

Nous ne parlions pas d’abolitionnisme à cette époque, nous n’utilisions pas ce mot, et nous n’avions pas non plus en face de nous un puissant lobby pro-sexe comme c’est le cas maintenant—parce que la Suède n’a jamais eu une industrie du sexe importante et les bordels et le proxénétisme étaient déjà illégaux avant la loi.

Donc il n’y a as eu beaucoup d’opposition à cette loi, l’opposition est apparue après, quand le lobby pro-sexe s’est organisé avec l’aide d’universitaires et de groupes de lobbying venus de différents pays qui sont arrivés en Suède ouvertement pour la combattre—ils voulaient absolument qu’elle ne marche pas, parce qu’alors ils auraient pu dire : « voyez, cette loi ne marche pas » !

Ils ont été très déçus quand nos évaluations ont été publiées et qu’elles ont révélé que le nombre d’hommes acheteurs de sexe avait baissé—on est passé de 1 homme sur 8 à 1 homme sur 13–la différence était visible. Comparez ça avec l’Allemagne où c’est 1 homme sur 4 qui est acheteur de sexe. Vous avez deux pays qui sont très similaires sur de nombreux points, tous les deux en Europe, et pourtant la différence en ce qui concerne le nombre d’hommes qui paient pour du sexe est majeure.

Nous avons constaté que la loi a réduit de moitié la prostitution de rue, l’effet a été immédiat. Le trafic continue mais il a été aussi fortement réduit par rapport à des pays voisins comme le Danemark, où les chiffres du trafic prostitutionnel sont plus élevés que celui de la Suède, bien que la population danoise soit très inférieure.

Un autre effet tangible est que, quand on demande a des jeunes Allemands : « que pensez-vous de l’achat de sexe ? » ils disent : « oh, c’est cool ! Tout le monde le fait quand on a 18 ans ».

En Suède, ils disent : « Oh mon Dieu, acheter du sexe ? C’est ringard, loser, ça craint, ça veut dire que vous n’arrivez pas à trouver une fille, vous devez payer pour ça, personne ne veut de vous ! »

Parce que c’est bien comme ça que ça se passe. Et vraiment, qu’est ce qui pourrait arriver de si terrible si la prostitution disparaissait ?  Les hommes devraient être aimés ou appréciés par les femmes pour avoir des rapports sexuels. C’est bien ce qui leur fait peur : ils ont peur d’être regardés et jugés comme ils nous regardent et nous jugent.

 

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La prostitution, c’est du « sexe » entre deux personnes : une qui veut, et l’autre qui ne veut pas. Si vous devez payer, c’est que la personne ne veut pas. Pas d’argent, pas de consentement—c’est aussi simple que ça. Demandez ça à n’importe quelle personne prostituée :  « soit vous pouvez prendre l’argent du client  tout de suite et partir, soit vous pouvez rester pour le sexe, qu’est-ce que vous faites ? » Quelle femme accepterait de rester pour le sexe ? Personne. Une chose importante à savoir, c’est que la loi n’est pas juste une loi, elle est aussi accompagnée de toutes sortes de services sociaux qui sont bien plus que des programmes d’aide à la sortie. Dans trois grandes villes de Suède, Stockholm, Gothenburg et Malmö, nous avons des « unités prostitution » qui, en plus de quelques ONG indépendantes, sont neutres et offrent des aides aux prostituées indépendamment de toute affiliation religieuse ou politique.

Ces services ne sont pas seulement des programmes de sortie. Toute personne qui a une expérience de la prostitution—que vous soyez dans la prostitution depuis 13 ans, que vous veniez juste de débuter dans l’industrie du sexe ou que vous veniez juste d’en sortir–connait des moments où elle a envie de parler de cette expérience à quelqu’un. Peut-être qu’elle ne veut pas quitter la prostitution mais veut juste parler de quelque chose qui lui est arrivé, ou veut s’éloigner d’un proxénète violent, ou souhaite obtenir une aide pour se libérer de ses dettes. Ce qui est important, c’est que, quand elle contacte ce service, on lui demande : « pourquoi êtes vous venue nous voir, et de quelle aide avez-vous besoin ? »

Parce qu’il y a cette autre rumeur qui court au sujet du modèle nordique : vous devez être sortie de la prostitution pour recevoir de l’aide. Ca ne se passe pas comme ça.

Si une personne prostituée va les voir, la première chose qu’on lui demandera, c’est : « comment pouvons-nous vous aider ? » Et la personne dira : « je voudrais de l’aide pour tel problème ». Et ils vous diront : « ok, pas de problème, on peut le faire ».

Vous pouvez rester en contact avec ces services pendant un an, deux ans, trois ans, quatre ans. Et vous bénéficiez d’une thérapie. Une psychothérapie, ce n’est pas gratuit en Suède, mais si vous avez été ou si vous êtes prostituée, vous avez ce service gratuitement. Il y a des gynécologues qui sont là pour vous aider. Et si vous avez été dans la prostitution pendant 30 ans, qu’est-ce que vous allez pouvoir mettre sur un CV lors d’une recherche de travail ? Vous pouvez avoir de l’aide pour ça aussi. Vous allez avoir quelqu’un pour vous guider sur le sentier difficile du retour à la société. Tout cela est important à savoir.

Il y a aussi un programme pour les acheteurs de sexe—mais pas dans les mêmes locaux : aucun risque de rencontrer un ex-client. De nombreux clients appellent ce service et disent : « je veux en finir avec cette habitude » donc eux aussi peuvent recevoir des conseils.

Cela ne signifie pas évidemment que la Suède est libérée de la prostitution, l’abolition complète n’est pas réalisée. Bien sûr des hommes suédois continuent à pratiquer le tourisme sexuel à l’étranger—mais ils ne peuvent tout de même pas aller en Thaïlande chaque week end. Et maintenant, la Norvège comme la Suède poursuivent les acheteurs de sexe même quand ils vont à l’étranger. Aller dans un autre pays pour acheter du sexe n’est plus toléré.

On parle souvent (à propos de la légalisation de la prostitution) de harm reduction, mais quand on en parle, ça ne concerne que les préservatifs et les serviettes. Peut-on vraiment parler de harm reduction quand il ne s’agit que de ça ? Avec le modèle nordique, non seulement vous pouvez quitter la prostitution mais vous ne devriez même jamais y entrer—et c’est essentiel, parce qu’en Suède, la prostitution n’est pas normalisée, ce n’est pas une partie de la vie. Ce n’est pas comme en Allemagne où la prostitution est partout– vous ne la voyez pas, vous n’y pensez pas. En Suède, une jeune fille qui a des problèmes ne peut pas tomber aussi facilement dans les griffes d’un proxénète—et ça, c’est une véritable harm reduction—parce que nous savons à quel point la vie dans la prostitution est violente.

 

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Et je peux dire que la prostitution ne nous manque pas, il n’y a personne pour dire « c’était mieux avant » !

Donc soyez prudent-es quand vous lisez des choses sur le Modèle nordique sur internet, vérifiez les sources, ne faites confiance qu’aux sources officielles et ne vous fiez pas aux rumeurs trouvées sur n’importe quel site, il y en a beaucoup qui répandent ce genre de rumeurs.

 

Maddy Coy : je coordonne un réseau d’universitaires et de chercheurs qui travaille sur la prostitution et les violences contre les femmes dans l’industrie du sexe (…) Je vais parler sur les informations que nous avons sur le modèle nordique. Comme Kajsa l’a dit, il y a une perception que le modèle nordique est une question de morale, au sens le plus étroit du terme, de morale qu’on vous enseigne au catéchisme alors que ce dont nous parlons ici, c’est de la prostitution comme cause et conséquence de l’inégalité entre les sexes

La prostitution ne se produit pas dans un contexte d’égalité mais dans un contexte d’inégalité persistante entre les hommes et les femmes :  les discriminations salariales, la sous-représentation des femmes dans les processus politiques décisionnels, la sexualisation du corps des femmes dans la culture populaire, les violences contre les femmes dans toutes les communautés, et l’intersection de toutes ces inégalités avec la « race », l’ethnicité et la classe sociale.

Donc quand les gens parlent de choix à propos de la prostitution, nous répondons que ces choix ne peuvent pas être libres quand ils sont faits dans le contexte de pareilles inégalités. Nous avons réalisé une grande étude, la plus grande jusqu’ici au Royaume-Uni , sur les motivations des acheteurs de sexe et Julie Bindel en a fait une autre. Un des commentaires souvent faits par les pro-prostitution est « qu’il y a tellement de raisons diverses pour lesquelles les hommes achètent du sexe, c’est un groupe très mélangé, on ne peut pas dire qu’il y a juste une raison ». En fait, quand vous examinez ce que répondent les hommes, ils disent : « je veux avoir des rapports sexuels avec beaucoup de femmes, je veux avoir du sexe sans liens émotionnels, je veux avoir les actes sexuels que je ne peux avoir nulle part ailleurs ». Mais ce qui relie toutes ces réponses, c’est le droit d’accès des hommes au corps des femmes, leur pouvoir et leur contrôle sur elles. Alors non, les raisons ne sont pas diverses, il y a un fil commun.

La loi suédoise a été votée en 1999. La condamnation prévue pour ce crime était initialement de 6 mois, et elle a été portée à 1 an en 2011. Elle inclut les tentatives d’acheter du sexe, et son but est explicitement de poser qu’il est inacceptable que les hommes puissent acheter du sexe avec des femmes contre rémunération.  Nous devons le répéter : si nous sommes contre l’achat de sexe, ce n’est pas une question de moralité mais d’égalité.

Et cette loi et plus qu’une loi : elle inclut une aide aux femmes prostituées, elle inclut une éducation sur le sujet, elle inclut de questionner les perceptions du public. Et il y a un mouvement croissant pour reconnaître la valeur de cette loi, comme un moyen efficace de s’attaquer à la prostitution et au trafic.

Regardons les évidences. La première chose à noter est que cette loi a réduit l’importance du marché de la prostitution. Depuis qu’elle a été passée en 1999, le nombre de femmes prostituées en Suède a baissé : il est passé de2 500/3 000 femmes en prostitution, dont 650 dans la prostitution de rue (selon une évaluation de 1995) à environ 300 femmes dans la prostitution de rue et environ 50 personnes dans la prostitution en ligne (évaluation de 2008). Donc il y a eu une réduction significative du nombre de personnes actives dans le système prostitutionnel.

Il y a un autre moyen de juger ce succès, et c’est de comparer la situation avec d’autres pays qui n’ont pas mis en œuvre cette approche.

Le Danemark par exemple avait en 2007 un nombre de personnes prostituées 15 fois plus élevé par tête d’habitants qu’en Suède et 8/9 fois plus en Norvège avant que la loi soit passée dans ce pays en 2009. Bien qu’on parle beaucoup de l’augmentation de la prostitution en ligne et des annonces de prostitution en ligne, il n’y a en fait aucune preuve d’une augmentation du nombre des personnes impliquées dans la prostitution en ligne. Parce qu’il n’y a aucun moyen d’évaluer la proportion des personnes prostituées en fonction du nombre d’annonces publiées. L’augmentation du nombre des annonces est souvent présentée comme une preuve de l’augmentation du nombre des personnes prostituées—mais ce n’est pas le cas.

Analysons maintenant l’impact en termes de violences, de la sécurité des personnes prostituées et du trafic. Le point le plus évident est que, comme il y a moins de femmes dans le système prostitutionnel en Suède, il y a évidemment moins de femmes exposées aux violences, aux violations et aux dommages entraînés par la prostitution.

 

Idem pour le trafic : puisqu’il y a moins de femmes en prostitution, il y donc nécessairement une réduction du trafic. Et surtout la Suède n’est plus une destination attrayante pour les trafiquants. Parce qu’il y a moins d’hommes qui achètent du sexe, donc moins de profits à réaliser.  A contrario, nous savons aussi par les recherches qui ont été faites sur ce sujet qu’il y a un lien entre l’existence de la légalisation et le développement des marchés de la prostitution, et une augmentation du trafic.

Une autre chose importante est la façon dont la loi suédoise soutient et renforce les personnes prostituées. Des études ont montré que ces personnes n’ont pas peur de signaler des clients à la police, parce qu’elles savent que le fait d’acheter du sexe est un crime—un client est automatiquement un criminel. Donc quand nous considérons les chiffres des violences faisant l’objet de plaintes à la police, il y a une augmentation des violences dénoncées, et cette augmentation nous dit que les femmes n’ont plus peur d’aller à la police

En termes de réduction de la demande, puisqu’il y a une réduction du marché prostitutionnel, il y a moins d’hommes qui achètent du sexe, donc la demande est réduite. Même ceux qui critiquent la loi admettent que la demande a été réduite, et les données rassemblées indiquent en effet une réduction significative. On est passé d’1 homme sur 7/8 acheteur de sexe en 1996 à 1 homme sur 13 en 2014. (…)

De nouveau, si on analyse les situations comparativement, des études portant sur des nombres élevés d’individus font apparaître que le pays où il y a le moins d’hommes acheteurs de sexe est la Suède, suivie par la Norvège (qui a introduit une telle loi en 2009), suivi par le Danemark où l’achat de sexe est encore légal.

En ce qui concerne le soutien du public à cette loi, il a aussi augmenté de façon significative depuis qu’elle a été votée. En 1996, l’introduction de cette loi était soutenue par 20% des hommes et 45% des femmes. En 2014, c’était 60% des hommes et 85% des femmes. Ces études mettent en évidence que le soutien à la loi augmente avec le temps.

Donc quand on objecte que cette loi va susciter des résistances dans l’opinion, il faut se rappeler qu’un des buts de cette loi, c’est justement de changer les attitudes vis-à-vis de la prostitution. Et bien sûr, les différences de pourcentage entre soutien des hommes et soutien des femmes à la loi sont éclairantes. Il y a plus de femmes que d’hommes qui soutiennent cette loi, et aussi davantage de jeunes. Cela nous dit qu’elle change les mentalités avec le passage du temps, et que l’acceptation sociale de l’achat de sexe est impactée par le passage de la loi.

Une autre recherche met en évidence que, selon des études faites dans le monde entier—Etats-Unis, Norvège, Suède, –et portant sur 49 000 personnes –il y a une relation entre les attitudes favorables à l’égalité des sexes, une position critique envers le système prostitutionnel et un soutien à la loi criminalisant l’achat de sexe. Généralement, les hommes sont plus favorables à la décriminalisation de la prostitution que les femmes, et celles-ci sont plus critiques du système prostitutionnel que les hommes. Les femmes savent intuitivement que la prostitution existe parce que les femmes ne sont pas les égales des hommes et qu’elle perpétue cette inégalité.

En conclusion, le modèle nordique est une façon de démanteler un système d’inégalité entre les hommes et les femmes. C’est d’ailleurs pour cela qu’une des intervenantes a proposé de changer le nom du modèle nordique en « modèle égalitaire ».

 

Texte original en Anglais de l’allocution de Kajsa Ekis Ekman à la Chambre des Communes publié sur le site http://www.spaceintl.org/events/shifting-the-burden/prostitution-and-gender-inequality/

(traduction Francine Sporenda)