INTERVIEW DE MANON MARIE JO MICHAUD

                             Par Francine Sporenda

Manon Marie Josée Michaud est née au Québec dans un quartier ouvrier de Montréal, Hochelaga Maisonneuve. Enfant unique d’une famille divorcée quand elle avait 8 ans, sa mère l’a prise en charge pour avoir une plus grosse pension alimentaire sans lui donner une once d’affection parce qu’elle voulait un fils. Elle a subi de la violence psychologique et physique de la part de cette mère qui lui disait que « Manon était un nom de pute » quand elle avait 10 ans. Sa mère sortait dans les bars presque tous les soirs et ramenait n’importe qui chez elle. Manon s’est rebellée à l’âge de 14 ans : école buissonnière, sexualité précoce et conflits quotidiens avec sa mère jusqu‘à ce que celle-ci la place en DPJ (Direction de la protection de la jeunesse) à 16 ans. Déracinée et sans ami-es, Manon a fait le mauvais choix de la prostitution.

 

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FS : Peux-tu nous dire comment tu es entrée dans la prostitution, et dans quels types de prostitution tu as exercé?

MMJM : Je suis entrée dans la prostitution par manque de choix. C’était en 1992/1993, je me suis retrouvée sans logis, sans meubles, en recherche d’emploi. Je voulais être employée dans un restaurant, comme serveuse—j’avais l’expérience—mais je n’ai pas pu trouver un emploi. Et là, je suis tombée sur une petite annonce dans le journal et j’ai téléphoné.

FS : Donc ce n’est pas quelqu’un qui t’a fait entrer dans la prostitution ?

MMJM : Non, c’est en regardant les journaux, je suis tombée sur des offres d’emploi, j’ai appelé ces annonces, je me doutais un peu de ce que c’était, mais il fallait absolument que je trouve un job. Quand j’ai appelé, on m’a dit que ça rapportait beaucoup, et qu’il fallait qu’on me voie pour savoir si je pourrais travailler pour eux. Ca s’est enclenché à partir de ça, j’ai été prise dans la machine. Et j’ai été escorte pour une agence, je me déplaçais pour cette agence, c’était un gros système d’exploitation, les annonces étaient publiées dans le « Journal de Montréal », dans les journaux locaux—à cette époque-là, les journaux publiaient ce genre de publicités, ils se faisaient beaucoup d’argent sur le dos des femmes exploitées et acceptaient l’argent des proxénètes. J’ai aussi été à mon compte, et même dominatrice. Aujourd’hui, le recrutement de femmes pour la prostitution, ça se passe surtout sur internet.

FS : Tu soulignes le lien intrinsèque entre prostitution et crime organisé. Peux-tu nous parler de ce lien? As-tu toi-même été trafiquée par le crime organisé?

MMJM : En fait, je n’en ai pas été juste témoin, j’en ai été victime de ce lien, dans le sens que j’ai travaillé pour des agences qui m’envoyaient dans des bars de danseuses. Ces agences appartenaient à des groupes criminels, et ces groupes organisaient la traite des femmes. Cette traite des femmes, je l’ai vécue.  Ce qu’il faut savoir sur ces réseaux criminels qui organisent cette traite : dans des pays comme l’Allemagne (ou l’Espagne ou l’Autriche) où la prostitution est complètement légale, une grande majorité des personnes prostituées vient de pays pauvres d’Europe de l’Est. Comment ces femmes se retrouvent-elles en Allemagne ? Des «job-agents» apparemment sympathiques leur offrent l’opportunité de travailler pour beaucoup plus d’argent que dans leur pays d’origine, par exemple en tant que serveuse dans un restaurant. Une fois que leurs victimes sont à l’étranger, les assistants amicaux s’avèrent être des proxénètes qui forcent leurs victimes à la prostitution. Sans compétences linguistiques suffisantes et sans documents (ils ont été volés par leurs proxénètes), ces femmes n’ont pratiquement aucune chance de sortir de ce système déshumanisant sans aide extérieure.

En Europe, où les ressortissants des États membres de l’Union européenne n’ont pas besoin de visa ou d’autres autorisations pour rester dans un pays, amener les femmes à se prostituer est une activité très lucrative pour les acteurs criminels. Malheureusement, ce n’est pas seulement un phénomène européen, c’est la même chose dans le monde entier et dans les pays où vous avez besoin d’une autorisation légale pour rester, la situation des femmes prostituées est très difficile. Selon Catherine Healy, coordinatrice nationale des prostituées de Nouvelle-Zélande, le problème est que les prostituées d’autres pays qui y séjournent souvent sans documents légaux ni autorisation de travail sont trop terrifiées pour parler à la police de la violence et de l’exploitation de leurs proxénètes, par peur d’être expulsées. Quel paradis pour les proxénètes! Quelle invitation pour les exploiteurs criminels!

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FS : Tu peux nous parler des agences et des bars de danseuses ?

MMJM : Les agences de danseuses se présentent comme des agences de placement pour les femmes qui travaillent dans les bars. Elles prétendent nous fournir protection et avantages mais leurs intentions réelles sont de nous exploiter et nous manipuler. Il est temps de dénoncer cette supercherie qui offense la dignité et les droits des femmes opérant dans ces bars : l’agence commence par facturer des frais à ces bars pour leurs fournir des femmes et des fillettes parce que oui, il y a des mineures dans le lot. « Abolition de l’Industrie du Sexe » dénonce ce qui est une traite des femmes et des enfants au Canada.

Ensuite, les bars réclament à la personne exploitée un « service bar », une redevance exorbitante de 100$ par jour pour exercer dans leurs locaux—c’est plus que ce que les bars paient pour obtenir une fille ! Ainsi, les femmes et les jeunes filles exploitées sont contraintes de payer un prix très élevé pour un service bar sans lunch ou sans drink inclus, la générosité ne faisant pas partie du programme. Sans aucun avantage et avec l’obligation de faire des horaires complets, l’industrie s’engraisse sur le dos de ces femmes privées de dignité et de droits. Dans les bars, les clients peuvent toucher les danseuses, tout leur est permis. Et les femmes sont mises en compétition entre elles—mais il n’y a rien de valorisant dans le fait de mettre en compétition des femmes aussi vulnérables que nous. Parfois certaines imaginent qu’elles ont plus d’importance que les autres parce qu’elles sont soutenues par une agence mais il ne s’agit que d’un statut illusoire.  Parce que, de toute façon, le « travail » des danseuses dans les bars, ça consiste à faire des fellations et des « complets » dans les boxes, à la demande des clients.

FS : Donc on te déplaçait souvent dans tout le Québec ?

MMJM : Oui j’étais prise en main par des bookers plaçeurs d’«artistes » qui me plaçaient et des chauffeurs assignés par l’agence qui m’emmenaient là où on m’envoyait. Les agences se moquent bien de la sécurité des femmes qu’elles envoient à l’abattage, seuls comptent les profits que feront les bars et les agences elles-mêmes. Certaines agences, sous la menace de pimps qui font du chantage, envoient des mineures parce que les clients souhaitent des femmes très jeunes et même trop jeunes

FS : Tu dis que maintenant au Québec, la prostitution passe surtout par internet ?

MMJM : Oui, par internet et aussi les bars à l’extérieur de Montréal. Dans les bars, c’est épuisant : l’alcool, l’ambiance, le monde, ça demandait beaucoup d’énergie…

FS : En plus, il faut boire quand on est prostituée dans un bar?

MMJM : Oui, celle qui ne boit pas, elle ne fait pas gagner d’argent au bar. On est là pour faire rentrer de l’argent.

FS : Et tu dis que tu as fait plusieurs allers-retours : tu es sortie de la prostitution, tu es rentrée, tu es ressortie?

MMJM : Oui, j’ai fait plusieurs allers-retours et, avant la loi C36, j’ai été confrontée à un milieu de travail plutôt hostile. Quand je suis sortie de la prostitution, je n’étais pas aidée financièrement, je cherchais un emploi mais on m’a dit que je devais reprendre des études : c’est très difficile, très discriminant pour les femmes ici au Québec, le gouvernement est très hostile aux femmes en prostitution, on n’a pas d’aides concrètes, on est confrontées constamment à la précarité. Ca devient aliénant de toujours devoir fournir des papiers, des attestations médicales, chaque mois, pour justifier notre situation… Nos transactions bancaires sont surveillées, on nous demande de fournir les papiers quand des ami-es ou des organismes nous consentent des prêts personnels pour subvenir à nos besoins,  et je trouve plutôt culotté de nous harceler ainsi, alors que l’on ne nous offre rien comme programme de réhabilitation et  de retour aux études qui tienne compte de notre vécu pour nous permettre de trouver un emploi.

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FS : Il y a beaucoup de bureaucratie pour les femmes qui veulent sortir de la prostitution ?

MMJM : Oui, beaucoup trop de bureaucratie, ce qui peut décourager les femmes et les dissuader de continuer leurs démarches pour en sortir. Ca les incite, voire ça les oblige à retourner à la prostitution. Certaines, celles qui sont moins tenaces que d’autres, vont laisser tomber, elles ne vont pas se présenter pour satisfaire à ces formalités, et elles vont recommencer à mettre des annonces. Les jeunes en particulier, qui vont être confrontées à toutes ces exigences bureaucratiques pour en sortir, ça n’a pas de sens.

FS : Et tu dis qu’il y a très peu d’aide pour en sortir, tant du point de vue financier que soutien psychologique ?

MMJM : Il y a très peu d’aide. Les groupes qui viennent en aide aux femmes qui veulent sortir de la prostitution sont efficaces, mais ils font avec les moyens qu’ils ont. Ils manquent de subventions, ils manquent de soutien et d’organisation du côté gouvernemental. On dirait qu’ils veulent nous maintenir dans la prostitution, ou qu’ils veulent qu’on y retourne.

FS : Tu dis avoir été initialement pro-prostitution. Quels étaient les arguments que tu utilisais alors pour justifier cette position pro-prostitution ?

MMJM : J’y suis entrée parce que j’ai été contactée par des personnes qui travaillaient pour l’association Stella, qui s’occupait de la prévention contre le VIH et de la lutte contre le SIDA. J’ai d’abord fait du bénévolat avec ces deux filles pour la prévention du SIDA. Je dois rappeler le contexte : à l’époque, en 2007, le modèle nordique n’était pas connu, les femmes en prostitution étaient criminalisées. Et j’étais personnellement concernée, parce qu’il y avait un « pimp » (proxénète) dangereux qui me poursuivait (1). J’avais un casier criminel suite à des descentes de police dans des bars de danseuses où je travaillais, et je ne pouvais pas porter plainte contre lui, parce que, aux yeux de la police, c’était moi la criminelle.

A ce moment où j’avais des problèmes avec ce pimp, ces personnes m’ont conseillé de prendre contact avec Stella. A Stella, elles se sont montrées très compatissantes, très gentilles, alors que j’étais très vulnérable et marginale, que j’étais en danger. Elles m’ont embarquée dans leur cause en gagnant ma confiance. Elles m’ont fait croire que moi qui travaillais dans les bars à la disposition des clients, je pouvais avoir des droits si on régulait la prostitution. Je me suis trouvée embarquée là-dedans, j’ai fait partie du Comité politique pendant quelques mois et j’agissais directement avec elles pour la décriminalisation des femmes en prostitution. Si j’ai soutenu Stella, c’est parce que voulais lutter contre cette criminalisation.

FS : Donc la prévention du SIDA sert de passerelle vers une association militant pour la prostitution. Comment es-tu sortie de Stella ?

MMJM : Je me suis rendu compte qu’à Laval, où je travaillais, personne ne connaissait Stella. La défense des droits des « travailleuses du sexe », il n’y avait que moi qui en parlais, et j’avais l’impression que je faisais découvrir ça à quelqu’un à chaque fois que j’en parlais. Sauf que quand on parlait de ces droits, on ne mentionnait pas que ceux dont dépendaient les droits des femmes en prostitution, c’était les proxénètes, et que c’était absurde de réclamer ces droits à des propriétaires exploitants de bordels : ce n’est pas le crime organisé qui va m’accorder des droits ou plus d’argent sur leur dos. Donc quand j’ai compris ça, j’ai déconstruit ce que j’avais assimilé avec Stella, j’ai arrêté de militer pour eux, ça a pris 4 ou 5 ans. A ce moment, j’étais à mon propre compte, je ne travaillais pour personne, je m’auto-exploitais, mais quand la loi C 36 est passée, je n’ai plus eu le droit de mettre mes propres annonces où j’en mettais habituellement. Et là, j’ai décidé que c’était fini, J’ai appelé la CLES, la personne à laquelle j’ai parlé à la CLES, c’était Diane, je lui ai dit que je voulais changer. Mais quand on est décidé à changer, ça change quoi? C’est très long, une sortie de prostitution, parce qu’on a affaire à un système très rigide et compliqué. Nos besoins pendant cette phase de sortie ne sont pas du tout reconnus.

FS : Ce que je trouve très intéressant dans ce que tu dis, c’est que tu as trouvé beaucoup d’aide dans une association qui, en même temps, militait pour la défense de la prostitution. C’est vicieux comme système, c’est une sorte de chantage, du quid pro quo : pour avoir vraiment de l’aide, il faut soutenir la prostitution…

MMJM : Les femmes de Stella, elles m’ont beaucoup aidée pour des procédures que j’avais entamées, des papiers avec l’IVAC. Elles avaient une sorte de monopole pour l’aide aux personnes prostituées, et aussi elles étaient censées représenter toutes les femmes prostituées, on ne voyait qu’elles dans les médias. On a commencé à entendre parler des survivantes, et du message différent qu’elles portaient sur la prostitution au moment du passage de la loi ; avant il n’y avait que les filles de Stella qui prenaient la parole sur la prostitution.

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FS : Je crois qu’il y a au Québec un mouvement, soutenu par des partis politiques, en faveur de la légalisation. Peux-tu nous en parler ?MMJM : Oui, il y a un mouvement pour la légalisation soutenu par des partis politiques. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose que le gouvernement facilite un accès accru aux drogues et au commerce du sexe pour les Canadiens – particulièrement pour nos citoyens les plus vulnérables– nos enfants– qui sont aussi des cibles pour le trafic prostitutionnel.

Certains militants du PLC (Parti Libéral du Canada) veulent maintenant que le parti adopte cette approche libérale face à la prostitution. Des militants de Colombie-Britannique proposent une résolution, pour le prochain congrès national du PLC, qui prévoirait que les travailleuses du sexe puissent légalement gérer des lieux de prostitution «rentables et sécuritaires», où employés, employeurs et clients seraient protégés, avec en plus le bonus de pouvoir taxer ces services comme «n’importe quelle autre entreprise».

La résolution a été initiée par l’aile jeunesse du PLC de Colombie-Britannique et a été adoptée ensuite par l’aile provinciale du parti dans la liste des 10 résolutions prioritaires qu’elle voudrait voir débattues au congrès national à Montréal.

Et le plus haut tribunal a déterminé que l’interdiction des maisons closes, de la sollicitation de rue et du fait de vivre des fruits de la prostitution impose des conditions dangereuses aux prostituées, et viole ainsi leurs droits à la vie, à la liberté et à la sécurité. La Cour suprême a accordé un an au Parlement pour adopter une nouvelle loi qui respecterait la Charte des droits et libertés. Le gouvernement du premier ministre Stephen Harper avait déjà signifié sa volonté de s’assurer que la prostitution demeure régie par des lois criminelles, possiblement en adoptant un modèle en place dans les pays nordiques, qui prévoit des sanctions contre les clients plutôt que contre les prostituées (2). Le parti Québec solidaire a aussi une branche pro- prostitution. En fait, dans toutes les provinces canadiennes, le lobby pro prostitution est présent.

FS : Tu connais le STRASS en France qui, comme Stella, défend la prostitution et milite pour la décriminalisation du proxénétisme. Est-ce que Stella est l’équivalent du STRASS au Québec ?

MMJM : Oui, l’équivalent du STRASS, c’est Stella, et ils sont tentaculaires : dans toutes les provinces canadiennes, il y a des groupes pro-prostitution, et ce qu’ils proposent, c’est essentiellement des approches de « réduction de méfaits » (harm reduction). Le STRASS est même en relation avec Stella. Ce n’est pas juste une association de terrain, du genre qui distribue des préservatifs. ils sont virulents dans l’action politique, ils interviennent comme un lobby, ils prennent tout le temps la parole au sujet de la loi, ils disent qu’on met les femmes à la rue, etc (3).

FS : Toi, qu’est-ce que tu penses de leur revendication de décriminaliser le proxénétisme ?

MMJM : Bien sûr, ça aboutirait à ce que les femmes soient encore plus exploitées, les proxénètes auront encore plus de pouvoir et de contrôle sur elles. Si vous voulez entendre des contes de fées pour adultes, écoutez ceux qui aiment marcher dans les rues avec des parapluies rouges pour « défendre les droits des travailleuses du sexe ». La stratégie de Stella, c’est la manipulation et la rhétorique, ils semblent avoir du mal à aborder clairement des faits simples: ils déclarent que «le problème avec le mot « proxénète » est qu’il suppose que tout le monde dans la vie d’une « travailleuse du sexe » est violent, ça ne laisse aucune place aux travailleuses du sexe pour faire face à la violence lorsqu’elle se produit, dans ou hors du contexte du travail du sexe ».

Ce que Stella essaye de faire, c’est de réduire le mot «proxénète» à des relations violentes—et ainsi suggérer que, s’il n’y a pas violence physique, il n’y a pas proxénétisme. Mais certains proxénètes sont violents, alors que d’autres ont trouvé des méthodes plus subtiles pour maintenir une relation abusive: manipulation et pression émotionnelle. Bien que cela ne blesse pas son corps, cela fait mal à une autre partie de la victime – son âme. Ainsi, le vrai problème n’est pas l’absence de violence physique, mais la non-reconnaissance de la violence émotionnelle dans une relation entre proxénète et victime. Avec sa stratégie de susciter la confusion avec des mots, Stella tente d’influencer l’opinion publique, de sorte que les personnes qui ne sont pas des experts sur ce sujet en arrivent à penser que les proxénètes ne sont pas automatiquement mauvais.

Dans l’étape suivante pour susciter la confusion, Stella a recours à l’euphémisme. Dans les nouvelles quotidiennes, les euphémismes sont partout, utilisés par les gouvernements ou d’autres acteurs puissants pour dissimuler les comportements erratiques. Si vous dites qu’un bombardement américain en Irak est un « dommage collatéral » au lieu de «100 femmes et enfants tués dans leurs maisons», c’est clairement un euphémisme. Vous pouvez voir le même principe à l’œuvre quand Stella se met à utiliser le terme « tiers » au lieu de « proxénètes »: […] « le travail des tiers ne doit pas être considéré comme abusif ». Cette formulation « neutralisante » est une autre façon de dissimuler la relation criminelle entre le proxénète et la victime: on suggère que cette relation n’est pas nécessairement exploitante.

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Et c’est pour ça que c’est un conte de fées : on laisse croire que les proxénètes sont des gens honnêtes sans aucun intérêt à faire du profit et à garder leurs victimes dépendantes. Chers lobbyistes de Stella, nous sommes capables de voir derrière votre tactique de dissimulation de la réalité en faveur de la défense de vos propres intérêts. Non, le travail du sexe n’est pas un travail! C’est de la prostitution et ce sera toujours de la prostitution, peu importe comment les lobbyistes l’appellent.

FS : Les pro-prostitution mettent en avant la faible minorité de femmes prostituées non contrôlées par des proxénètes pour dénoncer–au nom de la liberté individuelle de se prostituer–tout ce qui limiterait cette liberté, comme la criminalisation de l’achat de sexe. Que penses-tu de cette notion de liberté individuelle de se prostituer?

MMJM : Si ce « syndicat » dénonce dans ses bons jours la traite des êtres humains et la prostitution forcée, c’est pour juste après affirmer qu’il faut également défendre la liberté de se prostituer. Admettons qu’il existe une infime minorité de personnes qui se prostituent sans être forcées par un proxénète, la misère ou l’accoutumance à une drogue ; notons que, même chez les gauchistes pro-STRASS, bien peu proposeraient la prostitution comme avenir professionnel à leurs filles ou même simplement comme job d’été.

Affirmer que parce qu’une infime minorité revendique un « statut de travailleuse du sexe », il faudrait les suivre, tient d’une logique libérale et non socialiste. Bien des chômeurs sont prêts à bosser pour moins que le SMIC et certains d’ailleurs le font : faut-il alors réclamer l’abolition des grilles salariales conventionnelles, du SMIC ou de la durée hebdomadaire du temps de travail ? Lorsqu’une grève est décidée avec piquets et blocage des entrées, faut-il laisser entrer les non-grévistes au nom de la « liberté individuelle » ? Faut-il généraliser le travail du dimanche au nom de quelques employées, soigneusement triées sur le volet par le patronat, qui revendiquent cette « liberté » devant les caméras ?

FS : Tu dis aussi que la prostitution est au carrefour du racisme, de l‘impérialisme, de l’esclavage et du colonialisme. Peux-tu commenter ?

MMJM : Au Québec, le marché est grand, tout est permis et l’industrie du sexe est organisée de façon à satisfaire les fantasmes racistes des clients : la petite chinoise, la petite haïtienne qui attirent certains plus que les blanches… (4) Beaucoup de femmes sont même issues de l’immigration illégale. Il y en a dans les bars de danseuses : encore plus vulnérables, elles sont déplacées, exploitées, obligées de danser et de se prostituer.

FS : Qu’est que ce ça t’inspire, le fait que le STRASS et Médecins du monde, qui avaient lancé une action QPC contestant la constitutionnalité de la loi prostitution française de 2016, ont perdu ? (la constitutionnalité de la loi a été confirmée).

MMJM : Que la loi n’ait pas été abrogée est une victoire du mouvement abolitionniste, ça donne espoir. Sauf que la loi, il faut qu’elle soit appliquée, et pour ça, il faut que le changement de mentalités sociétal suive. Et si les mesures d’aide à la sortie ne sont pas correctement financées, cette loi risque d’être une coquille vide.

J’ai eu la chance de rencontrer Rosen Hicher à Montréal, elle est venue prendre le thé, ça a créé des liens entre nous, on a discuté de notre vision de l’abolition. C’est ce qui manque ici aux organismes qui viennent en aide aux femmes prostituées—ils ne les soutiennent pas si elles ont le désir de se libérer. Il y a une censure sur l’abolitionnisme et sur la parole des survivantes. La FFQ ne veut pas entendre la voix des survivantes. Les groupes abolitionnistes radicaux ne sont pas assez « agressifs » au Québec. Pour être vigilantes pour l’application de cette loi, il faut s’unir et agir collectivement.

Il est vrai qu’on ne nous voit pas souvent. Les médias de masse nous ignorent. Par contre, beaucoup de fausses rumeurs et de clichés, pour ne pas dire de grossiers mensonges, circulent à notre sujet. Nous avons besoin de plus de lieux pour échanger sur nos luttes et nos expériences et, partant, pour se mobiliser vers plus d’action politique, de visibilité, d’éducation populaire, bref de présence politique, émotionnelle, intellectuelle et dans la société.  Et surtout, de plus de féminisme radical.

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« Le féminisme radical, ça vous dit quelque chose ? Ces féministes de combat qui, dès la fin des années 1960, se réunissaient dans les cuisines, descendaient dans la rue, faisaient des actions-choc, « brassaient la cage » et bien d’autres choses encore ? Époque révolue ? Que non ! Qu’on se le dise, le féminisme radical est toujours vivant !   Disparu de la carte, le féminisme radical ? Pas du tout ! » (5)  Je suis définitivement féministe radicale et fière de l’être : c’est un combat nécessaire.

 

Manon Marie-Jo Michaud milite depuis 15 ans et elle a fondé la page Facebook « Abolition de l’industrie du sexe Canada »

https://www.facebook.com/Abolitionprolobbysextrade/?ref=bookmarks.

Elle est membre du Cafes  https://www.facebook.com/lecafes/  et de la CLES ( Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle) https://www.lacles.org/ 

Et avec la directrice de « Pour le droit des femmes du Québec », Diane Guilbault, elle a créé un groupe abolitionniste d’action politique et de pression pour faire appliquer le « Modèle nordique » au Québec et que la voix des survivantes soit entendue http://www.pdfquebec.org/.  Elle va participer en Avril au colloque de la CAP (Coalition Anti-Prostitution) en Allemagne http://www.cap-international.org/fr/

  

 

(1)https://www.facebook.com/notes/abolition-de-lindustrie-du-sexe-canada/attention-prox%C3%A9n%C3%A8te-dangereux/1982476312009458/ .

(2)https://www.facebook.com/notes/abolition-de-lindustrie-du-sexe-canada/a-treason-of-liberalism-the-young-liberals-and-their-knife-stab-from-behind/2053054804951608/

(3)Liste d’associations pro-prostitution

Fédération des femmes du Québec (Montréal), Canadian Alliance for Sex Work Law Reform Action Santé Travesties et Transexuel(le)s du Québec (ASTTeQ) (Montréal), BC Coalition of Experiential Communities (Vancouver), Butterfly Asian and Migrant Sex Workers Network (Toronto), Canadian HIV/AIDS Legal Network (Toronto), Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence (SWUAV) (Vancouver), Émissaire (Longueuil), FIRST (Vancouver), Maggie’s Toronto Sex Workers Action Project (Toronto), Maggie’s Indigenous Sex Workers Drum Group (Toronto), Migrant Sex Workers Project (Toronto), PEERS (Victoria), Projet Lune (Québec), Prostitutes Involved Empowered Cogent Edmonton (PIECE) (Edmonton), Providing Alternatives, Counselling and Education (PACE) Society (Vancouver), RÉZO, projet travail du sexe (Montréal), Safe Harbour Outreach Project (S.H.O.P.) (St John’s), Sex Professionals of Canada (SPOC) (Toronto), Sex Workers Advisory Network of Sudbury (SWANS) (Sudbury), Stella, l’amie de Maimie (Montreal), Stop the Arrests! (Sault Ste. Marie), Strut! (Toronto), Supporting Women’s Alternatives Network (SWAN)(Vancouver), HIV Community Link, Shift Program (Calgary), West Coast Cooperative of Sex Industry Professionals (WCCSIP) (Vancouver), Sex Workers of Winnipeg Action Coalition (Winnipeg)

(4)https://www.facebook.com/notes/abolition-de-lindustrie-du-sexe-canada/colonialisme-et-exploitation-sexuelle-des-femmes-des-premi%C3%A8res-nations-au-canada/1982107945379628/

(5) F.L.F. (Front de Libération des Femmes).