ANATOMIE DE L’ENFER, L’ORGANISATION DES NOUVELLES FORMES DE TRAITE

                                Interview par Christine Dalloway

 

CD : Vous connaissez le taux de récidive suite à ces stages ?

FB : On n’a pas d’informations là-dessus. En théorie, on ne peut faire qu’un seul stage. S’il y a récidive, c’est alors considéré comme un délit avec une inscription au casier et une amende plus forte. Je pense que, comme dans d’autres pays où on organise des stages clients, il y aura de la récidive, il ne faut pas se leurrer. A l’issue du stage, on demande aux participants de remplir un questionnaire et la plupart disent que leur vision a évolué, qu’ils ne récidiveront pas, en général c’est plutôt positif. Alors, effectivement ce n’est que leur parole, ça n’engage qu’eux, et je ne sais pas ce qu’il en reste au bout d’une semaine ou de 15 jours. Mais je pense qu’un bon nombre d’entre eux sont touchés, ébranlés par l’ensemble de la démarche : ils ont été arrêtés, et, pour beaucoup d’entre eux, c’est la première fois qu’ils sont interpellés ; ensuite, ils ont été convoqués au tribunal, la déléguée du procureur leur a expliqué la loi et les a avertis qu’ils allaient être convoqués au stage, après, il y a le courrier de convocation, qui peut arriver au domicile et provoquer des drames familiaux… Tout ça mis bout à bout, certains arrivent au stage déjà un peu ébranlés, ils veulent vite passer la journée, et disent vouloir ne pas repasser devant le tribunal. Cela dit, des études à l’étranger montrent des taux de récidive importants, même après ce type de stage, notamment aux USA. Après 3 ans d’application de la loi,  je dirais que les stages sont intéressants car on y forme les gens à l’abolitionnisme, aux réalités de la prostitution, c’est le côté positif. Le côté négatif, c’est qu’on voit peu de clients, et que les peines ne sont pas assez dissuasives, les mentalités n’évoluent pas pour le moment.

 

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CD : Dans le quartier rouge de Leeds (Angleterre), certains témoins disent que les clients sont des hommes issus des classes moyennes et supérieures, des privilégiés, qui abusent de jeunes filles et femmes issues des classes populaires, défavorisées, est-ce un phénomène qu’on observe dans la prostitution des cités ? Ou est-ce plus complexe que ça ?

FB : Je ne peux pas déduire cela de ce que je vois lors des stages. Nous n’avons pas n’importe quels clients en stage : ils sont sélectionnés par les délégués du procureur, ils doivent comprendre suffisamment bien le français, il faut aussi être solvables… Il y a un certain nombre de critères à remplir pour assister au stage, ce qui en élimine certains. Mais, après, on a tous les profils, tous les âges avec une concentration autour de 40-50 ans. Ce sont des hommes plutôt en activité mais pas que. Plutôt tous types d’activités : artisanat, transport, chef d’entreprise, on a eu des éducateurs, il y a vraiment de tout. Je n’ai pas eu connaissance de cas de clients qui ont sollicité volontairement des personnes mineures en situation de prostitution, en tout cas pas en le sachant. Ils prétendent toujours ne pas savoir avoir eu affaire à des mineures. Ils sont plutôt interpellés par rapport à la prostitution de rue, mais ça peut être à la sortie d’une chambre d’hôtel ou d’un immeuble, les interpellations ont surtout lieu dehors : au bois de Boulogne, au bois de Vincennes, à Belleville et à Porte Dorée. Ce sont les 4 principaux lieux de verbalisation des clients que nous recevons en stage, à hauteur de 90%.

CD : La prostitution en ligne reste en dehors des radars de la police ?

FB : A ma connaissance, nous n’en avons pas eu, mais peut-être que certains d’entre eux se sont renseignés et ont pris contact via un site ou une annonce. Je n’ai pas les moyens de le savoir. En revanche, on sait que la police surveille le net. Après, est-ce qu’on peut être interpellé via une sollicitation sur un site ? Pas à ma connaissance. En revanche, dans le cadre d’une enquête, on peut ressortir l’adresse IP du client et vérifier si le client a appelé le numéro visible sur l’annonce en ligne, c’est tout ce que la police peut faire.

CG : Techniquement c’est faisable. Il y a eu à Arras une affaire de démantèlement de réseau de prostitution sur internet, où la police a également interpellé des clients, donc c’est faisable.

FB : Si aujourd’hui, on n’a pas les moyens de le faire, on va le payer très cher, parce que tout va se déporter sur internet. Ce n’est pas du fait de la loi d’ailleurs. Il n’y a pas qu’en France que la prostitution s’est déportée en ligne. C’est le fait de l’évolution de la société, de notre comportement et de notre utilisation du web.

CD : Les gens, avec le côté dématérialisé en ligne, n’ont peut-être pas conscience d’être réellement en infraction ?

FB : Les personnes prostituées se sentent peut-être plus à l’abri en ligne. Elles peuvent avoir l’impression de choisir leurs clients, ne pas se sentir concernées par l’exploitation. Du coup, elles se disent : « Je n’ai pas peur ». Mais ça ne fonctionne pas puisqu’on ne sait jamais qui est en face : même après avoir discuté, même après avoir fréquenté un client pendant des années, celui-ci peut devenir violent et un jour tuer la personne prostituée, ça ne marche pas. Les risques sont toujours énormes, même en ligne.

 

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CD : Pouvez-vous nous parler de la façon dont ces jeunes proxénètes recrutent des clients (sites d’annonces en ligne), comment ils organisent les rencontres (Airb&b, chambres d’hôtels réservées avec des numéros de cartes bancaires frauduleux récupérés sur le dark net), quels procédés ils emploient pour recruter et garder des jeunes filles sous leur contrôle ?

CG : Je pense que le recrutement est basé sur le modèle « loverboy » : on commence par la séduction, on amène les jeunes filles à progressivement accepter des choses inacceptables, la violence peut intervenir dans un second temps. Après, c’est la spirale et il n’y a plus moyen de revenir en arrière.

FB : On les tient avec les addictions : drogues, alcool, médicaments… De toute façon, le corps rejette la prostitution ; pour qu’il accepte, il faut prendre des substances. Ils ont bien observé ce que les autres proxénètes faisaient et reproduisent leurs méthodes.

CD :  Ils sont mimétiques ? Ils ont appris des gros réseaux de traite ?

FB : Oui, bien sûr. Ils refont les mêmes choses et utilisent les mêmes outils de contrainte. Il  y a des cas de violence mais c’est plus souvent psychologique, plus sur la manipulation. Mais il y a aussi des cas de violence physique, par exemple lorsque  le GIGN, en intervention à Gennevilliers, a trouvé une jeune femme attachée à un radiateur, droguée ; elle venait de province et avait été kidnappée dans la rue en arrivant à Paris par une bande à bord d’une camionnette.

CD : C’était une fugueuse ?

FB : Oui, elle s’est retrouvée prostituée comme ça, dans un immeuble à Gennevilliers. Des voisins ont entendu du bruit et ont appelé la police qui a fait des écoutes ; en arrivant, la police a trouvé un matelas et cette jeune femme enchaînée au radiateur. Donc, il y a de la violence. L’ACPE (Agir Contre la Prostitution des Enfants) a aussi observé les phénomènes de fausses publicités sur les réseaux sociaux : des gamines y répondent, puis se met en place une espèce de cycle relationnel qui finit par aboutir à la dépendance ou à la contrainte, systématiquement. On a parlé des sites d’annonces, mais il n’y a pas qu’eux. Il y a des groupes fermés dédiés à la prostitution sur tous les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Snapchat, Telegram, Instagram… Tous les outils sont à un moment ou un autre utilisés, détournés à des fins prostitutionnelles, principalement par les réseaux, en tout cas par les tiers qui postent, qui appâtent.

CD : Pour recruter des jeunes femmes ou attirer les clients ?

FB : Les deux, en fait. C’est pour ça qu’on parle de « prostitution en ligne » ; il n’y a pas d’actes en ligne, Internet est l’outil qui met en relation les victimes et les auteurs, c’est l’interface.

CD : Les proxénètes louent les lieux de prostitution ?

FB : Ce sont eux qui louent, ce sont des réseaux, ils se calquent sur les réseaux classiques de la traite, chacun a son rôle : prise de rendez-vous, réservation d’hôtels…

CD : Pourquoi ces réseaux-sont-ils difficiles à traquer par la police ?

CG : Il y a un nombre croissant d’affaires depuis 2014, il y a un effort réel, mais un manque de moyens.

FB : La France est de loin le pays en Europe qui démantèle le plus de réseaux. Le problème c’est l’échelle : l’échelle des moyens humains et des moyens financiers, qui sont mis en œuvre et qui sont insuffisants. Quand je suis en stage, je prends souvent l’exemple de la NASA. La NASA a un budget, et, avec ce budget-là, elle surveille 20% du ciel pour nous protéger des astéroïdes. Pour la police en France quand elle lutte contre le proxénétisme, c’est un peu le même principe : elle surveille le net mais jusqu’à un certain point, pas l’ensemble du net, par manque de moyens.

 

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CG : Les enquêtes sont très longues : le démantèlement d’un réseau demande des mois de surveillance, d’observations, d’écoutes, cela réclame des moyens humains et financiers. Nous sommes un des pays d’Europe avec les lois les plus strictes contre le proxénétisme.

CD : Ces jeunes, lorsqu’ils sont jugés, disent considérer le sexe comme une marchandise, un bien de consommation comme un autre. Pourquoi, selon vous, perçoivent-ils les choses de cette manière (influence de la pornographie…) ?

CG : On en revient un peu à la 1ère question, ce qui fait que les jeunes filles acceptent c’est qu’il y a cette banalisation, cet attrait de l’argent, cette facilité, pour eux il n’y a pas réellement proxénétisme.

FB : Peut-être que certains d’entre eux entendent le mot prostitution au tribunal pour la première fois…

CD : Quel est l’impact d’après vous de la mise en avant de trajectoires telles que celle de Zahia Dehar ? Les médias peuvent-ils modifier le comportement des jeunes en créant ainsi des « icônes » de la prostitution ?

FB : Clairement oui.

CG : C’est sûr, oui, Zahia (Dehar) ou Emma Becker…

FB : Zahia (Dehar) incarne des tas de choses malgré elle, je ne l’accuse pas, elle n’y est pour rien. Mais quand même, elle a été beaucoup identifiée par les médias comme quelqu’un qui a eu une trajectoire de réussite sociale, via un passage d’un certain temps par la case exploitation sexuelle volontaire, luxueuse… Ribéry, Benzema, les footballeurs…

CG : C’est une phase de sa vie qui est associée à un milieu de fêtes, les boîtes de nuit, les footballeurs… Pour les médias, ce n’est pas l’image de l’exploitation.

FB : Sauf que, déjà à cette époque, il y avait derrière des organisateurs, des réseaux. Elle n’a rien fait comme ça, toute seule, de son plein gré. Mais ça on n’en parle pas tellement, on retient seulement qu’elle a maintenant sa marque de vêtements, qu’elle a fait l’actrice.

CD : Elle a été conviée sur les radios du service public.

 

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FB : De la même façon, les journalistes adorent inviter des femmes comme Emma Becker ou Zahia (Dehar) pour parler de la prostitution. Quand nous avons présenté à la presse notre étude d’évaluation locale de la mise en œuvre de la loi d’avril 2016, nous avons expliqué notre méthodologie, les sociologues qui ont réalisé l’étude ont présenté leurs résultats… Mais, parmi les 6 journalistes présents, l’un d’entre eux nous a demandé de lui raconter des anecdotes croustillantes… Je trouve ça symptomatique : les médias ne sont pas à la recherche de la vérité, ils sont à la recherche de l’audience, à la recherche de lecteurs…

Le milieu culturel va continuer comme ça, il va continuer de préférer récompenser un film comme « L’Apollonide », où on explique que le réglementarisme c’était quand même pas mal… Plutôt que de montrer la réalité du système prostitutionnel : la torture, la violence contre des gamines… Ça n’intéresse personne. Les gens sont plus réceptifs quand il s’agit d’écouter une jeune femme qui écrit, qui vient sur les plateaux télé dire qu’elle a été contente d’être en prostitution, que ça lui permis de se libérer sexuellement… Donc, oui, ça va continuer comme ça…

CD : Ces femmes qui se disent autrices, actrices, ne donnent-elles pas une sorte de validation intellectuelle au système réglementariste ? Comme pour montrer que le système prostitueur n’est pas un système d’exploitation, qu’il s’agit de liberté sexuelle, avec un dévoiement de cette notion…

CG : Je pense qu’aujourd’hui, même si c’est une vision un peu optimiste, on est dans un moment d’équilibre. Le Conseil Constitutionnel a quand même maintenu la loi d’avril 2016 en l’état. Donc il y a une espèce de tension qui se joue, parce qu’il y a la loi d’un côté, et que de l’autre côté, on met en avant un discours de liberté, d’instrumentalisation de son propre corps, du type « On fait ce qu’on veut ». Qui sera peut-être suivi d’un débat sur la GPA, qui sera aussi assez dangereux pour nous… C’est un moment d’équilibre, espérons que cela évolue dans le bon sens.

CD : Les clients de la prostitution infantile/ prostitution des mineurs sont des violeurs d’enfants, que risquent-ils actuellement au regard de la loi ? Est-ce que la justice les contraint à assumer leur responsabilité dans cette forme d’exploitation, de traite humaine ?

FB : Les peines prévues sont lourdes… La minorité est considérée comme une circonstance aggravante : si l’enfant a moins de 18 ans, c’est un délit, le client risque jusqu’à 7 ans de prison. Si l’enfant a moins de 15 ans, on passe à 10 ans de prison, 100 000 euros d’amende.

CD : Ces peines sont-elles appliquées ?

FB : Je n’ai pas eu connaissance de cas de clients qui ont été condamnés à 10 ans de prison. S’il y en avait eu, la presse en aurait parlé.

CG : Il y a eu plusieurs clients condamnés pour recours à la prostitution de mineurs en 2015 à Bordeaux. 18 clients qui ont eu des peines de 3 mois à 2 ans de prison avec sursis. Mais, depuis, je n’ai rien vu passer de tel.

CD : Il y a quand même des adultes dotés de moyens financiers qui achètent ces enfants, quelle est la réponse de la justice ? Quid des clients ?

FB : Les dernières estimations de L’ACPE font état de 4 000 mineur-e-s prostitué-e-s en France. Il y a une vraie volonté de pousser, par contre, les politiques à mettre en place un observatoire afin de mesurer plus précisément ce phénomène mais, pour l’instant, je ne sais pas où ça en est.

CG : Si on considère les dernières années, il y a eu un progrès. Il y a quelque temps, les pouvoirs publics disaient qu’il n’y avait pas de prostitution des mineurs, que la prostitution des mineurs n’existait pas. L’ACPE seule dénonçait le phénomène. Là, il y a eu une évolution positive, les pouvoirs publics reconnaissent aujourd’hui l’existence du phénomène et s’inquiètent de son développement. Il faut voir l’aspect positif. Mais cela dit, pour les clients, il ne se passe rien.

CD : Les sanctions pénales prévues ne sont pas mises en œuvre ?

FB : Ce n’est pas la priorité. Après, des moyens sont mis œuvre pour lutter contre la pédo criminalité. C’est-à-dire que les policiers infiltrent les chat rooms en se faisant passer pour des mineurs, ils discutent et très rapidement ça mord… Des gens abordent ceux qu’ils prennent pour des enfants. Et ça les policiers ne laissent pas passer.

CD : La réponse pénale est encore en construction ? Pourquoi ?

FB : C’est difficile de s’exprimer pour la justice à la place des magistrats. Nous avons le sentiment, en tant que structure associative, que les sanctions de l’exploitation sexuelle sont globalement faibles. On s’est aperçus qu’il y a plutôt une tendance à l’augmentation des peines, ça ressort d’ailleurs dans certains procès où la Fondation Scelles est partie civile. Malgré tout, j’ai tendance à dire qu’on est dans un pays qui n’est ni la Chine, ni les Etats Unis, on a un certain esprit humaniste de rédemption ou, en tout cas, il me semble qu’on veut donner sa chance. Donc un mineur proxénète, par exemple, on ne veut pas détruire sa vie, on va le condamner, mais on va aussi essayer de trouver des solutions. C’est un peu ce que je perçois, c’est personnel.

J’ai assisté à un procès par contre typiquement de traite. Dans le box des accusés, il y avait 3 Nigérians, dont une jeune femme qui avait été à la fois victime et auteure. Comment faire ? Ce n’est pas simple, je ne suis pas juge et je pense que j’aurais du mal à l’être. Dans le discours de cette femme, on comprend bien qu’elle a exploité d’autres femmes, mais il faut voir son parcours, il faut voir ce qu’elle a enduré avant, c’est déjà une survivante, avant d’arriver au statut de mama (proxénète). Alors est-ce qu’on en tient compte ou pas ? Est-ce que c’est le statut d’auteur qui doit prévaloir ? Actuellement, il y a un procès à Lyon, le plus gros procès de réseau nigérian qui ait jamais eu lieu en France, avec des jeunes femmes à la fois dans le box des accusés et partie civile. Là, qu’est-ce qu’on fait ? Pour moi, la question est posée. On ne va pas la condamner à 20 ans, même si elle a exploité d’autres femmes… Je ne le conçois pas. Je ne veux pas dire par là que tous les auteurs sont d’anciennes victimes ; mais tous ces gens-là ont un parcours de vie qui les a amenés là. Alors ça ne les lave pas des faits qu’ils ont commis, il ne s’agit pas d’excuser évidemment. Mais pour qu’un jeune en arrive à trafiquer des gamines, pour lui, c’est peut-être de l’argent facile, mais on peut imaginer qu’il aurait pu avoir une autre construction sociale, où le jeune en question aurait eu un autre parcours. Peut-être qu’il y a aussi tout ça qui se joue dans la faiblesse des condamnations, je ne sais pas. Les clients restent les grands oubliés de l’exploitation malgré la législation.

 

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CD : A votre avis, le phénomène de la traite est-il en train de se transformer ? De se complexifier ? Une traite ayant des sources locales se développant en parallèle aux réseaux classiques de la traite mondialisée ?

CG : Visiblement, dans ce phénomène de proxénétisme de cité, on a une exploitation qui relève de la traite de jeunes filles qui peuvent venir de province, ou d’autres villes, qui sont victimes.

FB : Tout à fait. Après, ça ne veut pas dire que la traite telle qu’on la connaît ait disparu, pas du tout. Selon moi, il n’y a pas de rapport entre l’explosion des flux migratoires et les modifications de la traite, mais la prostitution liée à la traite demeure très importante et encore largement majoritaire. Parmi les 90 parcours de sortie (des hommes, des transgenres, des femmes d’Europe de l’Est, des jeunes Françaises…) qu’accompagne l’Amicale du Nid, on compte quand même plus de 50 Nigérianes. C’est ça le visage de la prostitution en France.  On peut continuer à parler de traite ; le proxénétisme de cité ne représente qu’environ 1/3 de la prostitution en France.

CD : La prostitution classique peut-elle croiser celle des cités, ou est-ce que ce sont des mondes parallèles ? Une jeune femme de banlieue peut-elle se retrouver dans un réseau de traite classique ?

FB : La prostitution nigériane est tenue par des Nigérians, idem pour les Roms, ça reste quand même très ethnocentré, je ne pense pas qu’il y ait d’échanges comme ça.

CD : Ce sont des phénomènes indépendants ?

FB : J’ai du mal à concevoir une porosité entre les deux phénomènes, c’est assez fermé. Le point commun, c’est de frapper les plus fragiles, les plus vulnérables, culturellement, économiquement, familialement. On voit bien dans les témoignages des survivantes de la prostitution que, quels que soient les lieux, les origines, les pays, le discours sur les violences et sur ce qu’elles ont subi est le même. Dans cette violence prostitutionnelle, l’exploitation est universelle, ce que les gamines des banlieues vont subir et vont avoir comme trauma, et les traumas qu’on observe ailleurs se ressemblent.