PAR CHRISTINE DALLOWAY

 

Au sortir de l’épidémie de COVID-19, alors que la vie semble reprendre peu à peu, il reste dans le pays comme un étrange climat de souffrance et d’amertume, comme un mal-être qui ne passe pas, qui se manifeste dans les rares moments où les violences faites aux femmes sont mentionnées dans les médias ou dans les commentaires blessés de certaines sur les réseaux sociaux.

Les femmes, les invisibles, où étaient-elles pendant la crise ? Pas sur les plateaux de télévision à pérorer, pas sur le devant de la scène, non, les femmes étaient au charbon, au fond de la mine du travail du « care ».Elles étaient dans les hôpitaux, les EHPAD, chez les personnes vulnérables; les femmes ont porté le pays en silence et à bout de bras, au mépris de leur propre santé et de leur sécurité. Elles ont cousu pour faire des masques quand il n’y en avait pas, pallié à l’incurie du gouvernement, tenu leurs foyers, se sont occupées de leurs enfants. Elles ont trimé pour que le pays continue de vivre, d’avancer, d’exister, sans ergoter ni se mettre en avant. Avec dignité et modestie, elles ont travaillé, efficaces et discrètes, elles ont maintenu la tête du pays hors de l’eau pendant la marée du COVID-19.

 

SOIGNE

Les injustices faites aux femmes sont légion en temps normal, même pour celles qui ne sont pas directement victimes de violences, le quotidien reste pénible et compliqué. Tout d’abord, dans la sphère professionnelle, les femmes sont surreprésentées dans les professions dites du « care » (soins aux personnes) ainsi que dans le secteur des services en général. 90% des caissières sont des femmes, c’est aussi vrai pour 87,7% des infirmières, 90% des aides-soignants et 70,5% des agents d’entretien. Ces métiers sont mal rémunérés, les femmes qui les exercent touchent des salaires faibles, ce sont aussi des métiers qui bénéficient d’une faible reconnaissance sociale : dévalorisés voire méprisés, ils sont pourtant cruciaux pour le fonctionnement social. (1) Les métiers du « care » sont pénibles, les horaires y sont en général atypiques, ils font souvent l’objet de contrats précaires. Les femmes sont nombreuses dans les rangs des pauvres en temps normal : une mère de famille célibataire sur 4 qui travaille est pauvre, et les femmes gagnent en moyenne 22% en moins que les hommes. (2)

Le quotidien des femmes est donc bien sombre en règle générale, mais l’épidémie de COVID-19 est venue aggraver une situation déjà pénible d’ordinaire.L’épidémie a d’abord fait baisser le niveau de vie des femmes, elles ont aussi été surexposées au virus de par leur activité professionnelle et leur quantité de travail domestique a fortement augmenté. (1)

L’état a demandé au personnel soignant féminin des efforts inouïs sans pour autant les protéger correctement (il y avait pénurie de masques et de vêtements adaptés), ni leur donner la parole dans les instances de gestion de la crise sanitaire où elles étaient sous-représentées. (3)

Côté santé, étant donné que les ressources publiques ont été redéployées dans le contexte d’urgence sanitaire, cela a réduit l’offre de soins en matière de santé sexuelle, reproductive et maternelle, ce qui peut être à l’origine d’une augmentation des grossesses non désirées, surtout chez les adolescentes. (4)

Le confinement est venu accentuer les inégalités préexistantes au sein des couples, surtout concernant le partage des tâches domestiques. Pour les familles défavorisées vivant dans de petits espaces, le risque pour la santé des femmes était accru. (2)

Autre sujet épineux : la charge mentale (soit le temps consacré à organiser tout ce qui se situe dans la sphère domestique), si d’ordinaire elle pèse plus lourdement sur les femmes, le confinement a encore aggravé la situation, les témoignages de femmes épuisées mentalement se sont accumulés sur les réseaux sociaux, révélant une détresse morale importante. En plus de la charge émotionnelle qui consiste à veiller au bien être de chacun dans le foyer, les femmes ont vu leur charge mentale croître pendant cette période, au point d’approcher le point de rupture pour beaucoup d’entre elles.

 

FRONTS

Dans 75% des ménages, les hommes sont mieux rémunérés que les femmes, ce qui contribue globalement à dévaloriser le travail féminin.Pendant le confinement, la flexibilité du travail induite par les possibilités de télétravail a pu consolider les divisions classiques entre hommes et femmes du travail, les hommes se consacraient plus à leur carrière, les femmes supportant la majeure partie du travail domestique.(5)

Les violences sexistes sont, hors période d’épidémie, source de souffrances quotidiennes pour les femmes, le contexte de pandémie a rendu encore plus terrible le vécu de ces femmes déjà fragilisées.

En ce qui concerne les violences conjugales, le confinement, qui implique une plus grande promiscuité avec l’agresseur, ainsi que l’isolement, constitue un facteur de risque d’augmentation des violences conjugales, de nombreuses associations craignaient une hausse des suicides forcés, de féminicides déguisés en suicide, de décès causés par des violences conjugales; il faudra attendre encore un peu pour avoir les chiffres permettant de faire le bilan de cette période au point de vue violences domestiques.

La réponse du gouvernement à l’augmentation des violences intra-familiales a été de proposer aux victimes de pouvoir aller chercher de l’aide auprès des pharmaciens, et de créer des points d’accueil pour victimes de violences près des supermarchés. Qu’on se mette un instant à la place d’une victime de violences, ayant ou pas charge d’enfant, ladite victime n’ayant pour seule possibilité que d’aller implorer l’aide du pharmacien ou de se rapprocher du supermarché du coin, il est clair que ces propositions gouvernementales sont aussi ridicules qu’inadaptées : les violences conjugales requièrent l’intervention de professionnels formés dans un lieu d’accueil décent. Le gouvernement a également promis de créer un fond dédié aux victimes d’un million d’euros et de financer 20000 nuitées d’hôtel, mais pour le moment, on n’en a toujours rien vu. Il s’est aussi contenté d’insister sur le fait que la règle d’éviction du conjoint violent devait s’appliquer, même si dans les faits elle l’est rarement, alors qu’elle existe depuis longtemps. Les associations qui accompagnent ordinairement les victimes de violences ne pouvaient plus les accueillir dans leurs locaux, elles ne pouvaient qu’utiliser le téléphone pour maintenir le contact avec elles.

Avant le confinement, les centres d’hébergement étaient déjà saturés, la situation a dû s’aggraver au cours de l’épidémie. D’habitude, il n’y a que 5 000 places d’hébergement en France, malgré les préconisations du Haut Conseil Pour l’Egalité qui demande 11 000 place supplémentaires.Après le Grenelle de novembre 2019, le gouvernement n’a créé que 1 000 places d’hébergement, qui ne sont d’ailleurs toujours pas effectives à ce jour.

 

SANTE

Pour les personnes prostituées, cette période de confinement a été particulièrement atroce, les médias ont fait écho tout au long de la crise à un discours dépourvu de tout recul, en parlant des personnes prostituées comme de « travailleuses du sexe », terminologie qui ne fait que renforcer la normalisation de la prostitution.  Les partisans de réglementarisme ont vaguement parlé de « soutenir la profession », ce qui n’a pas beaucoup de sens vu que les personnes prostituées se voient confisquer la majeure partie de leurs revenus par les proxénètes et les réseaux de la traite, elles n’ont aucune possibilité de justifier d’un revenu légal pour obtenir un revenu de remplacement.(6)

Ce qui ressort en cette fin d’épidémie, c’est que les mesures de confinement ont renforcé les inégalités ordinaires entre hommes et femmes, mais ont aussi aggravé les violences que subissaient les femmes avant le confinement. La crise a mis en évidence le caractère indispensable du travail féminin, le pays entier n’aurait pu survivre à la crise sans le travail titanesque abattu par les femmes, nous pouvons constater une fois de plus que les femmes accomplissent un travail vital pour l’ensemble de la société, mais que ledit travail est mal rémunéré voire pas du tout. Nous pourrions le déplorer et laisser les choses reprendre leur cours, mais dans ce cas, nous n’aurons rien tiré de la crise, les femmes auront souffert pour rien une fois de plus.

Néanmoins, il y a une autre possibilité, il est envisageable de tirer parti d’un point de vue féministe et militant de cette crise qui a fait ressortir plus que jamais le caractère indispensable du travail des femmes, en s’emparant de ces sujets et en lançant des actions fortes. Cela requiert de la mobilisation, de l’organisation, mais n’a rien d’impossible. Nous sommes face à un choix : nous pouvons nous contenter de « récompenses symboliques » qui ne sont rien d’autre que de la monnaie de singe, ou nous battre politiquement pour une amélioration concrète de nos conditions de vie. Les opprimés n’ayant jamais été libérés du fait de leurs oppresseurs, aux femmes de se saisir de cette opportunité pour gagner plus de droits, la situation se prête à une révolution féministe.

Bibliographie

 

  1. « Face au coronavirus et au confinement, pourquoi les femmes paient un si lourd tribut », de Sandra Lorenzo, 16/05/20, Huffington Post.

https://www.huffingtonpost.fr/entry/face-au-coronavirus-et-au-confinement-pourquoi-les-femmes-paient-un-si-lourd-tribut_fr_5eb2a7d9c5b6cd82

  1. Covid-19 : le virus des inégalités, Oxfam France, 10 avril 2020.

https://www.oxfamfrance.org/inegalites-et-justice-fiscale/covid-19-le-virus-des-inegalites/

  1. « face au coronavirus, les femmes davantage en première ligne que les hommes », Rachel Knaebel, 16 mars 2020, Bastamag.
  2. « Femmes et hommes ne sont pas égaux face au Coronavirus » de CarenGrown et Carolina Sanchez Paramo, worldbank.org, 20 avril 2020.

https://blogs.worldbank.org/fr/voices/femmes-et-hommes-ne-sont-pas-egaux-face-au-coronavirus-covid-19

  1. « Coronavirus, pendant le confinement, la charge mentale des femmes explose » 16/05/20

https://www.novethic.fr/actualite/social/droits-humains/isr-rse/coronavirus-la-charge-mentale-des-femmes-explose-avec-le-confinement-148426

  1. « le confinement, une séquestration légale pour les femmes victimes de violences conjugales », Justine Rodier, 30 mars 2020, Slate.

http://www.slate.fr/story/189015/coronavirus-epidemie-confinement-risque-intensifier-violences-conjugales

  1. « covid-19 : ne laisser personne sous le seuil de pauvreté, pendant et après l’épidémie » de Claudine Legardinier, prostitution et société, avril 2020

http://www.prostitutionetsociete.fr/actualites/actualites-france/article/covid-19-ne-laisser-personne-sous-le-seuil-de-pauvrete-pendant-et-apres-l