PAR TANJA RAHM
Tanja Rahm a passé 3 ans dans différents bordels au Danemark et a quitté la prostitution à l’âge de 23 ans pour devenir psychothérapeute, sexologue et conférencière. Cette lettre est un des 18 témoignages de survivantes de la prostitution figurant dans le livre « Prostitution narratives ».
Cher acheteur de sexe,
Si vous croyez que j’étais attirée par vous, vous avez tout faux. Je n’ai jamais eu aucun désir de me prostituer, pas une seule fois. La seule chose à laquelle je pensais en me prostituant, c’est de gagner de l’argent, et vite. Ne confondez pas ça avec « argent facile », ça n’est jamais facile. Rapide, oui. Parce que j’ai vite appris tous les trucs pour vous faire jouir aussi vite que possible, afin que je puisse vite me libérer de votre corps sur le mien, ou sous le mien, ou derrière le mien.

Et non, vous ne m’avez jamais excitée pendant l’acte. J’étais une grande actrice. Pendant des années, je me suis entraînée gratuitement à simuler. En fait, je faisais plusieurs choses à la fois. Parce que, pendant que vous étiez sur le lit, mes pensées étaient ailleurs. Là où j n’avais pas à me confronter à vous en train de détruire ma dignité, sans même que vous consacriez 10 secondes à envisager la réalité de la situation, ou même me regarder dans les yeux.
Si vous pensiez que vous me rendiez service en me payant pour 30 minutes ou une heure, vous vous trompez. Ce que je préfère, c’est que vous partiez le plus rapidement possible. Vous pensiez être mon sauveur parce que vous m’avez demandé : « qu’est-ce qu’une jolie fille comme toi fait dans un endroit pareil ? » mais vous avez perdu votre auréole quand vous m’avez demandé de me mettre sur le dos et quand vous avez exploré tout mon corps avec vos mains. En fait, j’aurais préféré que vous vous allongiez et me laissiez faire mon travail.
Si vous pensez que vous avez prouvé votre masculinité en me faisant jouir, vous devez savoir que j’ai simulé. J’aurais mérité un Oscar tellement je simulais bien. J’ai tellement bien simulé que la réceptionniste est presque tombée de sa chaise tellement elle riait. Mais qu’est-ce que vous croyez ? Vous étiez le numéro trois, ou cinq, ou huit ce jour-là.
Est-ce que vous pensez vraiment que cela m’excite mentalement ou physiquement d’avoir des rapports sexuels avec des hommes que je n’ai pas choisis ? Jamais. Mes organes génitaux me brûlaient à cause du lubrifiant et des préservatifs. Et j’étais fatiguée. Tellement fatiguée que je devais faire attention à ne pas fermer les yeux sinon je me serais endormie pendant que je continuais à gémir en pilotage automatique.
Si vous pensez que vous payez aussi pour que je parle avec vous et que je m’intéresse à vous, vous vous illusionnez. Vos excuses ne m’intéressent pas, je me fiche que les rapports sexuels soient douloureux pour votre femme et que vous ne puissiez pas vous passer de sexe. Ou de toute autre de vos excuses pathétiques pour acheter du sexe.
Quand vous avez cru que je vous comprenais et que j’avais de la sympathie pour vous, je vous mentais. Je n’avais que du mépris pour vous, et en même temps, vous détruisiez quelque chose en moi. Vous m’avez fait douter des hommes et penser qu’ils sont tous aussi cyniques et déloyaux que vous.
Quand vous me complimentiez sur mon apparence, mon corps ou mes talents sexuels, j’aurais aussi bien pu vomir sur vous. Vous êtes incapable de voir qu’il y a une personne derrière le masque. Vous ne voulez voir que ce qui confirme votre illusion d’une bête de sexe insatiable.

Vous ne m’avez jamais dit ce que j’avais envie d’entendre, seulement ce que vous aviez envie d’entendre. Vous avez dit ce qu’il fallait pour préserver votre illusion et pour éviter de vous demander comment j’en étais arrivée là à 20 ans. En fait, vous n’en avez rien à faire. Parce que vous aviez un seul but, et c’était de manifester votre pouvoir en me payant pour utiliser mon corps comme ça vous plaisait.
Quand une goutte de sang est apparue sur le préservatif, ce n’était pas parce que mes règles arrivaient, mais parce que mon corps est une machine, et que je ne peux arrêter la machine à cause de mes règles, alors je mets une éponge dans mon vagin quand j’ai mes règles. Pour pouvoir continuer à « travailler ».
Et non, je ne suis pas rentrée chez moi après que vous êtes parti. J’ai continué à « travailler », disant au prochain client exactement ce que je vous ai dit. Vous étiez tous tellement obsédés par vos pulsions sexuelles qu’un petit peu de sang menstruel ne vous a pas arrêtés.
Quand vous veniez avec des objets, de la lingerie, des costumes ou des sex toys, et que vous vouliez jouer à jeux de rôles érotiques, mon pilotage automatique prenait le contrôle. Vous me dégoûtiez, vous et vos fantasmes de malade. Même chose quand vous souriiez et me disiez que j’avais l’air d’une fille de 17 ans. Ca ne m’aidait pas vraiment que vous ayez vous-même 50 ans, 60, 70 ou plus.
Quand vous transgressiez régulièrement mes limites en m’embrassant ou en insérant vos doigts en moi, ou en enlevant votre préservatif, vous saviez parfaitement que ce que vous faisiez violait les règles. Vous testiez ma capacité à dire non. Et vous aimiez ça.
Quand je ne refusais pas clairement ou que je choisissais d’ignorer, vous recommenciez pour réaffirmer le pouvoir que vous aviez sur moi et me faire comprendre que vous pouviez franchir mes limites quand vous voulez.
Quand je vous ai envoyé promener et que je vous ai dit que je ne vous accepterai plus comme client si vous ne respectiez pas les règles, vous m’avez insultée, moi et ma condition de prostituée. Vous vous êtes comporté de façon condescendante, grossière et menaçante. Que vous achetiez du sexe, ça en dit long sur vous, votre humanité et votre sexualité. Pour moi, c’est un signe de faiblesse, même si à vos yeux c’est un signe de pouvoir et de statut social.

Vous pensez que vous avez des droits. C’est pour ça que les prostituées existent, n’est-ce-pas ? Mais elles n’existent vraiment que parce que des hommes comme vous sont un obstacle aux relations saines et respectueuses entre les hommes et les femmes. Les prostituées existent seulement parce que des hommes comme vous pensent qu’ils ont le droit de satisfaire leurs pulsions sexuelles en louant les orifices corporels d’autres personnes.
Les prostituées existent parce que vous et vos pareils pensez que votre sexualité exige l’accès au sexe quand ça vous chante. Les prostituées existent parce que vous êtes misogyne et parce que vous vous souciez davantage de vos besoins sexuels que de relations dans lesquelles votre sexualité pourrait vraiment s’épanouir.
Que vous achetiez du sexe, ça révèle que ce qui est au coeur de votre propre sexualité vous échappe. Je vous plains, réellement. Vous êtes tellement médiocres que, pour vous, la sexualité se réduit à éjaculer dans le vagin d’une personne inconnue. Et si vous n’en avez pas une sous la main, il y en a une autre au coin de la rue que vous pouvez payer pour vous vider dans un préservatif à l’intérieur de son corps.
Quel homme mesquin et frustré vous devez être. Un homme incapable de créer des relations intimes et profondes, dans lesquelles la connexion serait plus profonde que votre éjaculation.

Un homme qui exprime ses sentiments en éjaculant, incapable de les verbaliser, et qui préfère les diriger vers ses organes génitaux pour s’en débarrasser. Quelle masculinité pathétique. Un homme vraiment sûr de sa virilité ne se dégrade pas en achetant du sexe.
En ce qui concerne votre humanité, je crois qu’il existe du bien chez tous les humains, même chez vous. Je sais que tout au fond de vous, vous avez une conscience. Que vous vous êtes sans doute demandé si ce que vous faites était éthique et moralement justifiable. Je sais aussi que vous défendez vos actions et que vous pensez probablement que vous m’avez bien traitée, que vous avez été correct, jamais méchant, que vous n’avez jamais violé mes limites ou n’avez jamais eu l’intention de le faire. Mais en fait, vous refusez toute responsabilité, vous ne voulez pas regarder la réalité en face. Vous vous illusionnez en pensant que les personnes que vous achetez ne sont pas achetées, pas contraintes à se prostituer.
Peut-être même pensez-vous que vous m’avez rendu service et m’avez fait passer un moment agréable en bavardant avec moi du temps qu’il fait ou même en m’ayant fait un petit massage avant de me pénétrer. Vous ne m’avez pas rendu service. Tout ce que vous avez fait a été de confirmer que je ne valais pas plus que ça. Que j’étais une machine dont la fonction première était de laisser les hommes exploiter ma sexualité.
J’ai de nombreuses expériences de la prostitution, c’est ce qui me permet de vous écrire cette lettre. Mais c’est une lettre que j’aurais préféré ne pas écrire. Et ce sont des expériences que j’aurais préféré éviter. Bien sûr, vous vous considérez comme un de ces « gentils clients ». Mais il n’y a pas de gentils clients. Juste des clients qui confirment la vue négative que les prostituées ont d’elles-mêmes.
Traduction par Francine Sporenda
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