Par Francine Sporenda

Francine Sporenda a étudié en licence et maîtrise à l’université Paris 3. Après un passage dans le journalisme, elle a repris ses études aux Etats-Unis pour un Master et un Ph.D.(doctorat), avec une spécialisation en histoire des idées politiques. Franco-américaine, elle a enseigné comme maître de conférences à l’école de sciences politiques de la Johns Hopkins University. 

Le papa-poule, nouvelle icône médiatique : dans la presse people, dans les pubs, on voit ces photos attendrissantes : des hommes jeunes, exhibant tous les signes extérieurs de virilité—barbe, biceps, pectoraux—tiennent dans leurs bras un nouveau-né, peau contre peau, dans une pose de vierge à l’enfant jusqu’ici exclusivement féminine.

On nous affirme que les jeunes pères font désormais tout ce que font les mères, que changer les couches et donner le biberon n’ont plus de secret pour eux, que ce sont eux qui se lèvent la nuit si leur bébé pleure. On les montre poussant un landau dans un jardin public, échangeant des tuyaux puériculture avec les mères qui y promènent leur progéniture. Ils regardent stoïquement Tchoupi à la télé avec le petit dernier, discutent notes avec l’institutrice et maladies infantiles avec le pédiatre, essuient sans s’énerver la bouillie recrachée sur leur cravate : les nouveaux pères sont merveilleux, il faut s’extasier et les complimenter sans fin parce qu’ils font ce que les mères font depuis des siècles, sans que personne ne remarque leur travail ;  les mères font des choses pour leur enfant, c’est normal, les pères font des choses pour leur enfant, c’est admirable. Ces images idylliques donnent l’impression que l’égalité homme-femme est atteinte, tant pour ce qui est du soin des enfants que des tâches domestiques indispensables à la gestion d’une famille et de la charge mentale qu’elles impliquent.  

PARTAGE DES TACHES DOMESTIQUES ET FAMILIALES DANS LE COUPLE

Derrière cette image à l’eau de rose de la nouvelle paternité, qu’en est-il vraiment ? En matière de soin des enfants, des tâches domestiques et de la charge mentale qu’elles impliquent, le partage des tâches 50/50 entre les pères et les mères est-il désormais un fait accompli, ou est-ce une illusion?  Pour savoir ce qu’il en est vraiment, il faut confronter ces images ripolinées aux statistiques établies sur ces activités.

Tout d’abord, les chiffres sur le partage des tâches familiales et ménagères indiquent bien une légère augmentation du temps que les hommes en couple consacrent à ces tâches—de quelques minutes en 30 ans–mais le temps qu’y consacrent les femmes a aussi augmenté, si bien que le pourcentage respectif des tâches exécutées par les hommes et les femmes en couple n’a pratiquement pas changé : les femmes continuent à assumer environ 70% de ces tâches et y consacrent plus de deux fois plus de temps que leurs partenaires masculins par semaine—pour le soin des enfants, en moyenne 95 minutes par jour pour les femmes et 41 pour les hommes selon l’INSEE (1). Le temps consacré hebdomadairement aux soins des enfants et du ménage par les mères de plusieurs enfants peut aller jusqu’à 35 heures—soit un travail à plein temps :  l’expression « double journée » utilisée pour les mères qui travaillent est donc parfaitement justifiée.

A cette différence quantitative s’ajoute une différence qualitative : les activités dans lesquelles les pères s’impliquent avec leurs enfants sont essentiellement les jeux, les activités sportives, la lecture: tout ce qui se rapproche des loisirs et de l’éducation. Les soins aux enfants proprement dits (les nourrir, habiller, baigner etc.), leur suivi scolaire et médical, les tâches ménagères nécessaires à la bonne marche d’une maison—ménage, lessive, courses, cuisine –et leur organisation logistique restent encore majoritairement l’apanage des femmes. Et pour ce qui est de la charge mentale, c’est la mère, vue comme disponible en permanence, que l’institutrice appelle si l’enfant est malade ou a des difficultés scolaires, c’est la mère qui assiste aux réunions de parents d’élèves, c’est la mère qui prend soin de l’enfant quand il est malade, et l’investissement en temps des femmes est d’autant plus important que l’enfant est jeune : les hommes ne demandent pas de congé pour prendre soin d’un enfant malade. C’est 8 fois sur 10 la mère qui se lève la nuit quand l’enfant pleure, et un père sur deux ne se lève jamais (2). On note aussi que le « parentage » des hommes est rarement autonome : il s’agit « d’aider » la mère, mais c’est elle qui continue à assumer l’organisation des soins et des corvées, les hommes ne prennent pas l’initiative et interviennent généralement en sa présence et sous sa direction : ils n’assument pas la charge mentale.

Les excuses habituellement avancées quand on oppose ces données factuelles aux protestations égalitaires des nouveaux pères autoproclamés sont habituellement qu’ils n’ont pas le temps nécessaire pour se consacrer à ces tâches, que leur travail est trop exigeant et ne le leur permet pas, ou qu’ils n’ont pas les compétences : ils voudraient bien mais ils ne peuvent pas. Est-ce que les hommes sont vraiment désireux de s’impliquer davantage dans le soin et l’éducation de leurs enfants ? C’est ce qu’ils disent, et certains peuvent être sincères—mais la réalité des faits ne confirme pas ces déclarations : sont-ils vraiment prêts à accepter l’investissement de temps et les tâches ingrates et répétitives que ça implique ?  

Pour justifier leur moindre investissement auprès de leurs enfants, ils disent craindre qu’une implication paternelle accrue leur nuise professionnellement : le monde impitoyable de l’entreprise requiert d’eux un engagement total, le présentéisme est de règle, et ceux qui ne s’y conforment pas sont rapidement laissés sur le bord de la route. Plus secrètement, ils craignent que l’exécution de tâches aussi peu valorisées, socialement déconsidérées, ne leur fasse perdre leur statut de dominant: se charger des corvées dont les mères se chargent est vu comme féminisant et ruinerait leur image virile. Mais le fait que celles-ci assument ces tâches méprisées depuis des millénaires ne semble pas leur poser problème : ils veulent bien être de bons pères –éduquer, transmettre leur expérience, protéger– mais pas se ravaler au rang de bonne d’enfants ; en fait, profondément, ils ont peur d’être traités comme on traite les femmes. C’est-à-dire, entre autres, de devoir fournir des milliers d’heures de travail non seulement peu considéré mais non rémunéré : travailler gratuitement n’est pas une habitude masculine.

 Ils arguent aussi que c’est leur manque de compétence qui pousse les mères à exécuter ces tâches à leur place, que ce sont les mères elles-mêmes qui refusent de les laisser s’en occuper. Mais la compétence s’acquiert par la pratique, et on peut objecter que ce manque de compétence est souvent cultivé délibérément pour leur permettre de se défiler, en particulier face aux soins astreignants et peu gratifiants que requièrent les nourrissons. Un ingénieur se prétendra incapable de programmer correctement une machine à laver, un Bac +8 se déclarera inapte à vérifier la bonne température d’un biberon : « tout le monde veut l’égalité mais personne ne veut descendre la poubelle ».

Des féministes observent que si les associations de pères réclament une égalité absolue entre pères et mères pour la garde des enfants au moment de la séparation, ils semblent être peu intéressés par le partage égal du soin des enfants pendant la période de vie commune. Et lorsqu’ils obtiennent la garde principale ou partagée, Jacqueline Phélip souligne que la plupart des pères continuent à ne pas s’occuper des enfants eux-mêmes et laissent habituellement ce soin à leur mère, à leur nouvelle compagne ou à une nounou (3).

En fait, l’argumentaire selon lequel les pères n’ont pas la possibilité matérielle de s’investir davantage dans le soin de leurs enfants est basé sur l’acceptation implicite de biais de genre : d’abord, que leur travail, parce que généralement mieux payé, serait plus important que celui de leur compagne : le travail d’un cadre serait plus important que celui d’une infirmière ou d’une prof de lycée. C’est ignorer volontairement que si les femmes sont moins bien payées, c’est (entre autres) parce qu’elles acceptent de s’arrêter de travailler pendant 3 ans, ou ne travaillent plus qu’à mi-temps, ou refusent une promotion impliquant des horaires plus longs pour s’occuper de leur bébé. Et si elles acceptent ainsi de réduire leurs revenus et de sacrifier leur carrière, ce n’est pas de gaieté de cœur ; c’est parce que le père déclarant forfait pour les raisons ci-dessus, elles n’ont pas d’autre option : personne d’autre ne s’occupera de leur nouveau-né si elles ne le font pas elles-mêmes.  

Ce serait une réalité inchangeable à laquelle il faudrait nécessairement s’adapter : vu que les femmes n’ont ni les belles carrières ni les gros salaires des hommes, c’est elles qui doivent assumer les soins des enfants. Adopter ce point de vue, c’est s’incliner devant ces discriminations sexistes et les reconduire ; on dit aux femmes : la rationalité économique veut que ça soit vous qui vous occupiez des enfants parce que votre salaire est inférieur à celui du père—mais on oublie de mentionner que si vous avez un salaire de 25% inférieur à celui du père, c’est justement parce que vous vous occupez des enfants. C’est un des nombreux cercles vicieux dans lesquels le système patriarcal enferme les femmes : elles n’ont pas des salaires égaux à ceux des hommes parce qu’elles s’occupent des enfants, et elles doivent s’occuper des enfants parce qu’elles n’ont pas des salaires égaux à ceux des hommes.

 Si les femmes abandonnent un travail trop prenant, renoncent à une promotion, choisissent de passer à mi-temps quand elles ont un enfant, qui devient alors leur priorité et autour duquel toute leur vie et leur emploi du temps doivent être réorganisés, les hommes n’acceptent qu’exceptionnellement de tels sacrifices professionnels quand ils deviennent pères, eux ne sont pas tenus de faire passer l’enfant avant le travail, eux n’acceptent pas des horaires réduits, un mi-temps, le refus d’une promotion pour prendre en charge un nouveau-né : la paternité n’est pas centrale à la virilité, et contrairement à la maternité, il est socialement accepté qu’elle implique peu d’obligations.  Il n’y a qu’environ 2% de « pères au foyer » en France (4).

Et même, contrairement aux femmes pour qui la naissance d’un enfant signifie presque toujours perte salariale et stagnation de carrière (on appelle « mommy gap » la différence de 10%, à âge et cursus similaire, entre les mères et les femmes sans enfants), les pères voient au contraire leur carrière et leur salaire boostés par leur accession à la paternité : vus comme stables, sérieux et responsables, être père améliore leur image professionnelle, tandis que la maternité fait percevoir les femmes comme moins motivées professionnellement, moins disponibles et moins compétentes.

 La compétence maternelle, il suffit de pratiquer pour l’acquérir, comme on vient de le rappeler. Lorsqu’ils deviennent parents, hommes et femmes sont pareillement incompétents. Les nouvelles mères acquièrent cette compétence en arrêtant de travailler, au moins pendant leur congé maternité : en consacrant le temps ainsi libéré à cet apprentissage, elles apprennent tout ce qu’elles doivent savoir pour prendre soin d’un enfant. Derrière cet alibi de la compétence féminine se profile ce vieux préjugé sexiste : que les soins des enfants et les corvées domestiques seraient « naturelles » pour les femmes.

On voit ce qui se passe quand les hommes ont la possibilité de prendre en charge les soins aux enfants sans que cela occasionne une perte de revenus pour eux : depuis 2021, les hommes ont droit légalement à un congé paternité d’une durée maximum de 28 jours, avec 5 jours calendaires obligatoires après la naissance (et reçoivent pendant ce congé une indemnité journalière calculée sur la base de leurs 3 derniers mois de salaire) mais environ 30% des pères ne prennent que les jours obligatoires. Ils peuvent avoir de bonnes raisons pour ça : emploi précaire, ancienneté dans l’entreprise insuffisante etc.—mais les femmes font face aux mêmes problèmes—et s’arrêtent néanmoins de travailler pour leurs enfants.

Quant au « congé parental d’éducation », d’une durée d’un an, renouvelable deux fois jusqu’à un total de 3 ans, il peut être pris indifféremment par le père ou la mère s’ils travaillent dans le privé et ont un an d’ancienneté à la date de la naissance de l’enfant (il débute à la fin du congé paternité ou maternité, et pendant ce congé parental, l’employeur ne rémunère plus le parent, mais celui-ci reçoit alors diverses allocations en remplacement de son salaire–la PAJE payée par la CAF, plus l’allocation PrePaRe) ; mais seulement un peu plus de 1% des pères le prennent, tandis que près de 98% des bénéficiaires de ce congé parental qui s’arrêtent de  travailler pendant plusieurs mois ou années après une naissance sont des femmes (5).

SEPARATION

L’épreuve de vérité qui teste la sincérité des excuses des pères soi-disant désireux d’en faire plus pour leurs enfants mais qui en seraient empêchés par les mères ou l’impitoyable struggle for life qui règne dans l’univers de l’entreprise, c’est le moment du divorce ou de la séparation.

Si les chiffres du divorce ne progressent plus au rythme d’il y a vingt ou trente ans, c’est d’abord parce que de moins en moins de gens se marient : l’union libre, autrefois appelée concubinage, a remplacé le mariage pour les tranches d’âge les plus jeunes. Mais les unions libres sont encore plus fragiles que les mariages : si le pourcentage de mariages qui se terminent par un divorce est de 46%, plus de la moitié des concubin.es se séparent après seulement 4 ans de vie commune (6).  Sur les 550 000/600 000 couples cohabitants qui se forment chaque année, plus de la moitié sont en concubinage. Si les couples concubins ont en moyenne moins d’enfants que les couples mariés qui divorcent, leurs enfants sont généralement plus jeunes lors de la séparation.

Qui a la garde des enfants lors d’une séparation ou d’un divorce, comment cette décision est-elle prise et quels sont les différents régimes de garde prévus par la loi ? Pour mieux comprendre ce qui se passe lors de la séparation d’un couple avec enfant(s), marié ou concubin, il est nécessaire de revenir sur ce que prévoit la loi dans ce genre de situations, principalement réglées par la loi du 4 mars 2002 qui a substitué le principe de l’ « autorité parentale conjointe » à celui de l’autorité paternelle et régulé la pratique de la résidence alternée (mode de garde que les associations de pères voulaient faire admettre comme option par défaut en cas de séparation). Cette loi a d’ailleurs été surnommée « Loi SOS Papas » parce qu’elle a été passée sous la pression des associations de pères, à l’initiative de Ségolène Royal qui, avant la rédaction du projet, a reçu plusieurs de ces associations et s’est montrée sensible à leurs arguments.

Dans un peu plus de 80% des cas, il y a accord préalable à l’amiable sur la garde entre les deux conjoints, et le JAF (juge aux affaires familiales) n’intervient que pour entériner leur décision. Si la séparation est conflictuelle et que les conjoints ne peuvent trouver un terrain d’entente en ce qui concerne la garde des enfants, le JAF intervient, et il lui revient de fixer le montant de la pension alimentaire, la résidence de l’enfant, le droit de visite et d’hébergement et ses modalités et les éventuelles mesures de protection nécessaires pour protéger la femme d’un conjoint violent.

Lors de leur campagne pour une réforme du droit régissant les divorces et séparations, les associations de pères ont fait valoir que, jusqu’ici, la loi se montrait injuste envers les pères en accordant très souvent aux mères la garde principale des enfants assortie d’un simple droit de visite et d’hébergement (souvent un week end sur deux et la moitié des vacances scolaires) pour le père. Cette décision était motivée par le fait que, dans le couple parental, c’était habituellement la mère qui était la principale pourvoyeuse de soins à l’enfant et donc sa « figure d’attachement principale », et qu’à ce titre, toute séparation mère-enfant (particulièrement si celui-ci était petit–moins de 6 ans) entraînerait un trauma pouvant provoquer divers troubles psychologiques et de comportement chez lui (angoisse d’abandon, crises de panique, cauchemars, mutisme, énurésie, agressivité etc.).

Selon les associations de pères, ces répercussions sur la santé de l’enfant devaient s’effacer devant ce qui devait passer avant toute autre considération : mettre fin à ce système « matriarcal», forcer une justice « misandre » et « féminisée » à respecter strictement le « droit à l’enfant » des pères et instaurer une parfaite égalité juridique entre eux et les mères en ce qui concerne leurs droits parentaux : un partage de l’enfant 50/50, comme s’il s’agissait de biens indivis, de meubles ou d’un compte bancaire à diviser également entre époux suite à un divorce.  Pour justifier ces revendications, ils ont avancé en particulier l’importance pour l’enfant d’avoir accès à ses deux parents.

Le moyen principal d’instaurer cette égalité, préconisé par ces associations de pères et que privilégient désormais les juges aux affaires familiales lorsque la séparation est complexe ou conflictuelle, est le système de la résidence alternée ou garde alternée. Si les associations de père exigent (et font pression sur les législateurs dans ce sens) pour que ce système soit l’option « par défaut » valable dans toutes les situations de séparation, il est important d’en comprendre les raisons.

LA RESIDENCE ALTERNEE

 A première vue, l’instauration de l’égalité de droits entre pères et mères peut paraître une réforme positive à laquelle les féministes devraient souscrire sans hésitation (des associations de pères ont même fait valoir le caractère « pro-féministe » de cette législation). Mais les féministes savent d’expérience que, quand on prétend traiter également deux catégories sociales entre lesquelles règnent des inégalités majeures, on ne fait qu’accentuer ces inégalités.

Dans le cas des 81% des situations de séparation avec enfants qui se règlent par un accord à l’amiable entre les parents, c’est le plus souvent la mère qui obtient la garde principale, (dans environ 71% des cas), celle-ci n’étant demandée que par 10 à 12% des pères ; dans ce cas, le rôle du JAF est simplement d’entériner cet accord parental (7). En cas de séparation conflictuelle ou complexe, comme on l’a souligné, c’est le JAF qui prend la décision réglant la garde des enfants, et il est habituellement considéré que la garde alternée est la solution à retenir dans ce type de contexte. Les associations de pères ont accusé les juges aux affaires familiales, majoritairement des femmes, d’être partiales en faveur des mères et de leur attribuer préférentiellement la garde principale des enfants, sans tenir compte des souhaits des pères. Or non seulement il n’y a qu’environ 10% des pères qui demandent la garde principale, mais dans ce cas, comme le mettent en évidence les chiffres ci-dessus, leurs requêtes sont habituellement satisfaites. Quand ils demandent la garde alternée, ils sont 18,8% à la demander et 17,3% à l’obtenir (8), selon les chiffres du ministère de la Justice. Et les chiffres officiels précisent que 93% des demandes des pères sont satisfaites à l’issue des procédures conduites par le JAF (9).

Il est donc faux de prétendre que les pères sont injustement discriminés par rapport aux mères en ce qui concerne la garde des enfants par une justice « excessivement féminisée ». Les données statistiques ci-dessus mettent en évidence que, si les pères obtiennent moins souvent la garde des enfants que les mères, c’est tout simplement parce qu’ils ne la demandent pas. Par contre, ce qu’ils demandent en matière de garde, les JAF le leur accordent presque toujours. En bref : ils ne demandent pas la garde et quand ils la demandent, ils l’obtiennent.

Le fait que la garde alternée soit presque toujours demandée par les pères et leur soit presque toujours accordée induit des discriminations majeures envers les mères : les hommes n’ont la garde alternée que s’ils la demandent, s’ils ne la demandent pas, elle ne leur est pas imposée. Ils ont le choix : ils peuvent assumer leur parentalité s’ils le veulent et la refuser s’ils ne le veulent pas. Ce choix, les mères ne l’ont pas : quand le JAF prend une décision de garde alternée sur la demande de leur ex, elles sont contraintes de l’accepter : double standard majeur alors qu’avant la loi de 2002, la garde alternée ne pouvait être imposée à aucun des parents.

Autre façon dont la garde alternée discrimine les femmes : dans la prise de décision du JAF, il n’est pas tenu compte de l’investissement respectif des conjoints dans le soin matériel et affectif de leurs enfants lorsqu’ils cohabitaient; or habituellement, pendant la période de vie commune, la mère passe beaucoup plus de temps à s’occuper d’eux que le père. Que le père ne se soit pas du tout impliqué dans le soin et l’éducation de ses enfants quand il vivait avec leur mère ne constitue pas un obstacle pour en obtenir la garde.

La garde alternée n’est pas davantage favorable au bien-être général des enfants parce qu’il n’est pas tenu compte, ou très insuffisamment, de leur construction psychologique et de leur besoin de stabilité et de sécurité affective et matérielle : il est aberrant de pratiquer une alternance hebdomadaire de résidence entre le père et la mère pour un bébé qui est encore allaité, comme cela s’est produit (des exemples sont donnés dans les livres de Jacqueline Phelip cités en bibliographie). Même quand l’enfant est plus âgé, il faut aussi parler du déracinement entraîné par le fait d’avoir deux maisons, d’être toujours en voyage, chargé de sacs et de valises (au risque d’oublier souvent des affaires personnelles chez l’autre parent), de ne se sentir nulle part vraiment chez soi, toujours « en visite ». La résidence alternée est un système qui prioritise les droits des pères sur l’enfant—aux dépens du droit de l’enfant à un environnement familial stable, sécurisant et protecteur.

Des pédopsychiatres voient débarquer dans leur cabinet des enfants traumatisés par ce perpétuel va-et-vient entre deux résidences et deux parents: insécurité, angoisse d’abandon, crises de panique suite à la séparation d’avec leur figure d’attachement principale–habituellement la mère– pleurs et cris au moment du transfert de l’enfant, perte de repères, énurésie, cauchemars, agressivité,   etc. Si la garde alternée est demandée par les pères, la plupart des enfants n’en veulent pas, le problème étant que leur point de vue est peu entendu.

 Enfin, imposer la résidence alternée en cas de situations conflictuelles, et même la voir comme un moyen d’y porter remède est une absurdité criante. Par quelle aberration prétend-on forcer deux ex-conjoints séparés qui sont à couteaux tirés—la femme souvent parce qu’elle a été victime de violences (les violences conjugales représentent 50 à 60% des motifs de séparation) (10), l’homme parce qu’il est furieux d’avoir été quitté—à faire abstraction de leurs griefs, de leur ressentiment voire de leur haine et à restaurer le minimum d’entente et de communication entre eux indispensables pour prendre d’un commun accord les décisions concernant l’éducation de leur(s) enfant(s) ? Comment ne pas voir qu’il est traumatisant pour un enfant de grandir dans cette atmosphère d’hostilité et d’affrontements constants entre ses parents, de chamailleries sans cesse renouvelées à l’occasion de la moindre décision le concernant, de se retrouver dans un conflit de loyauté permanent, tiraillé à hue et à dia entre eux, pion et enjeu d’une guerre qui le dépasse et où il est néanmoins sommé de prendre parti ?  

POURQUOI LES PERES DEMANDENT LA GARDE ALTERNEE

On commence à entrevoir pourquoi la garde alternée comme option par défaut est réclamée avec insistance par les associations de pères : elle leur apporte de multiples avantages tant matériels que politiques.

Loin de réconcilier les conjoints après une séparation conflictuelle, la garde alternée, en les obligeant à rester en contact à cause des enfants, aggrave l’hostilité entre eux et permet à l’homme violent de continuer à exercer des pressions, des violences physiques et/ou psychologiques et une emprise sur son ex-compagne, en instrumentalisant les enfants à cet effet. Le contrôle masculin sur la mère continue de s’exercer, avec l’aide de la justice, en particulier avec la loi qui interdit à celle-ci de déménager loin de la résidence paternelle, même si sa survie économique en dépend (par exemple si elle est au chômage et a trouvé un job qui l’oblige à changer de ville) afin que l’enfant et le père n’aient pas à parcourir de longues distances entre les deux résidences. Pour les mêmes raisons, la mère ne peut pas changer l’enfant d’école, l’emmener en vacances sans autorisation du père. Dans la mesure ou un père dont les violences ont été constatées lors du divorce peut néanmoins bénéficier de la garde alternée, la remise d’un enfant d’un parent à l’autre lui donne l’occasion de continuer ces violences (des femmes ont été agressées par leur ex lors d’une remise d’enfant). Encore plus dangereux pour les mères séparées d’un conjoint violent: l’obligation légale de la remise d’enfants implique que la mère doit lui communiquer son adresse. S’il veut l’épier, la harceler et l’agresser, il sait où la trouver, et c’est la justice qui l’en informe ; c’est ainsi que, même chez elle, la mère est en insécurité permanente. Si ces violences se prolongent et sont exercées aussi sur l’enfant (des pères ont agressé sexuellement leur enfant pour se venger de la mère), et si celle-ci refuse de le remettre au père selon le calendrier prévu pour le protéger, elle peut se voir poursuivie en justice pour non-présentation d’enfant.  

La garde alternée permet surtout aux pères, puisqu’ils sont censés partager le coût d’entretien de l’enfant à égalité avec la mère, de ne pas lui payer de pension alimentaire (dans la plupart des cas)—et cette mesure est doublement discriminatoire pour les femmes, puisque, ayant des salaires en moyenne de 25% inférieurs à ceux des hommes, voire bien plus en cas de mi-temps ou de chômage ou RSA , elles sont néanmoins tenues de contribuer 50/50 aux dépenses d’entretien de l’enfant. Elle leur donne aussi accès à d’autres intéressants avantages financiers : l’association « Abandon de famille tolérance zéro » signale que « la double résidence administrative implique nécessairement la redistribution des allocations familiales, une réévaluation du quotient familial (c’est-à-dire des déductions fiscales NDLR) et risque d’impacter leur retraite » (la retraite des femmes est en moyenne de 40% inférieures à celles des hommes en France, suite en particulier aux arrêts de travail dus aux maternités (11).  

 Car ce qui intéresse les associations de pères, ce n’est pas l’enfant en soi mais leur droit sur lui, en tant qu’il leur procure les avantages ci-dessus et est l’instrument qui leur permet de perpétuer leur contrôle coercitif sur la mère, de se venger d’elle et de lui pourrir la vie pendant des années. Vengeance qui peut aller jusqu’à lui enlever son enfant : désenfantement par placement de l’enfant, avec la complicité de la justice, voire infanticide : quel meilleur moyen de faire souffrir la mère que de s’en prendre à son enfant ?

D’ailleurs, pour vérifier cette affirmation, il suffit de consulter les statistiques portant sur le maintien des liens père-enfant après une séparation :  32,4% des enfants de parents séparés âgés de 15 à 34 ans ne voient jamais leur père (sans parler de ceux qui le voient rarement (12). Certes il peut y avoir des cas de force majeure dans ces pertes de contact mais cette statistique cadre mal avec l’image du papa-poule dont l’amour pour son enfant est si fort qu’aucun obstacle ne peut l’arrêter.

La loi de 2002, en modifiant les conditions jusque-là purement consensuelles du choix de la garde alternée et en l’imposant aux mères si le père la demande, a accordé la priorité aux droits des pères aux dépens de ceux de l’enfant et de la mère. En obligeant les mères à rester en contact avec un ex violent, elle les met en danger. Passée au nom de l’égalité, elle aggrave l’inégalité économique des mères par rapport aux pères (heures de travail maternel non rémunéré plus longues, participation égale aux dépenses d’entretien de l’enfant malgré des revenus habituellement inférieurs aux revenus masculins). Elle permet aux pères de s’investir dans l’éducation de l’enfant s’ils le désirent, et les en dispense s’ils ne le souhaitent pas ; la mère, elle, n’a pas le choix, elle doit « s’y coller ». 

MERES SOLOS EGALE PAUVRETE

Ce qui interroge aussi par rapport à la réalité du papa-poule, c’est l’accroissement constant et important du nombre de mères solos et la situation matérielle difficile que ce statut entraîne pour elles: 82% des parents solos sont des mères et 45% de ces mères vivent sous le seuil de pauvreté (13). En plus des inégalités salariales rappelées ci-dessus, la séparation en soi est facteur d’appauvrissement pour les femmes : la perte de revenus des mères après un divorce est en moyenne de 35% si elles ne reçoivent pas d’aide de l’Etat (14). Par contre, pour les hommes, divorce est synonyme d’augmentation de revenus, et le plus souvent, ce sont eux qui gardent la résidence principale du couple (pour environ 50% d’entre eux) alors que 37% des mères solos doivent vivre en logement social (15). Ils sont aussi moins souvent qu’elles au chômage (16).

Et le nombre des mères solos progresse régulièrement: en 1980, les familles monoparentales ne représentaient que 10% de l’ensemble des familles ; en 2020, 25% des enfants vivaient avec un seul parent (17).

Une des raisons pour lesquelles les mères solos sont pauvres, c’est que lorsqu’elles ont la garde principale des enfants, le père doit leur payer mensuellement une pension alimentaire pour leur entretien. Or cette pension, généralement insuffisante (en moyenne, 172 Euros par mois pour un premier enfant en 2022) n’est pas payée ou très irrégulièrement dans presque 50% des cas (18). En cas d’impayés, une loi récente permet à la mère de demander à la CAF et la MSA de prélever automatiquement le montant de cette pension sur le compte bancaire du père et de le transférer sur son compte si le père a été défaillant pendant au moins deux mois mais au prix de formalités administratives si complexes et si lentes et requérant un tel volume de paperasserie que certaines mères découragées renoncent à exiger ce prélèvement malgré des dizaines de milliers d’Euros d’impayés.

Des mères discriminées au niveau professionnel et salarial par rapport aux hommes, contraintes à un mi-temps ou à sortir complètement du marché du travail pour les problèmes de crèche évoqués ci-dessus se voient ainsi dans l’obligation, en outre du surplus de travail de soin des enfants non rémunéré qu’elles fournissent, de compenser par leurs maigres revenus (RSA, allocation chômage, aides sociales) le non-paiement de la pension alimentaire par les pères. Dans la mesure où c’est à cause des enfants que les mères ne peuvent pas travailler à plein temps, voire pas du tout si les enfants sont jeunes, il n’est pas équitable de faire peser sur elles les mêmes obligations financières que le père, alors qu’elles ont des revenus très inférieurs : la loi de 2002, en prétendant traiter également des individus entre lesquels existent des inégalités économiques flagrantes, n’a fait, prévisiblement, qu’accentuer ces inégalités.

En dernière analyse, le système de la garde alternée est une bonne affaire pour les pères : elle leur permet de garder des droits sur l’enfant et sur la mère—tout en étant libérés de leurs obligations, en particulier de celle qui légitimait traditionnellement la puissance paternelle: le rôle de gagne-pain, de provider (pourvoyeur) financierpour les enfants. Ce rôle est désormais transféré en partie ou totalement à la mère qui non seulement ne reçoit pas de pension alimentaire, fournit plus de travail de care que le père mais est censée financer l’entretien de l’enfant à égalité avec lui.

Comment peut-on croire à l’amour paternel soi-disant indéfectible des pères à la lumière du nouveau phénomène social que constitue la pauvreté de ces femmes de plus en plus nombreuses qui élèvent leur enfant sans son père ? Comment ces soi-disant « papas-poules » peuvent-ils accepter que leurs enfants grandissent dans la pauvreté ? Comment peuvent-ils se désintéresser du handicap en matière d’éducation, d’opportunités professionnelles etc. que de telles situations de pauvreté impliquent pour eux ?

RIPOSTE PATRIARCALE

L’image à l’eau de rose des papas-poules cache en fait un désengagement financier majeur des pères actuels par rapport à la génération des pères des années 50 : quand ils sont en couple, leur femme travaille et consacre une partie importante de ses revenus aux dépenses communes du couple (loyer, alimentation, chauffage, électricité etc.), à son propre entretien et à celui de leurs enfants, en plus des soins non-rémunérés qu’elle leur consacre, ainsi qu’à son conjoint. Alors que leurs grands-pères prenaient totalement en charge l’entretien de leurs enfants et de leur épouse, à vie (les divorces étaient rares à l’époque), les pères actuels, tant pendant leur période de vie en couple qu’après la séparation, n’assument plus l’entretien de leurs enfants et de leur épouse—mais continuent néanmoins à bénéficier des heures de travail ménager et familial non rémunérées et de durée inchangée fournies par celle-ci. Bien sûr, il existe des exemples d’authentiques papas-poules mais ce sont des cas individuels qui n’ont aucune réalité statistique.

C’est ainsi que deux évolutions sociales favorables aux femmes, le fait qu’elles divorcent (et qu’elles initient dans environ 80% des cas la séparation) et leur arrivée en masse dans le monde du travail, en un effet boomerang typique des stratégies néo-patriarcales, ont permis aux pères de se désengager de leurs responsabilités traditionnelles, tandis que les mères devaient continuer à assumer les leurs– tout en se chargeant de celles des pères (19). Dans le cas du père des années 50, on pouvait présenter le mariage comme un échange : le mari entretenait sa femme et ses enfants, et en retour bénéficiait de son travail ménager, reproductif/maternel, émotionnel et sexuel non-rémunéré. De nos jours, les pères se sont largement libérés de leurs obligations financières—tout en continuant à bénéficier des services gratuits de leur épouse, qui elle doit tout assumer:  travail domestique gratuit et travail professionnel salarié.

 Récapitulons : lorsqu’ils se séparent de leur conjointe ou concubine, la majorité des pères ne demandent pas la garde de leurs enfants et préfèrent la laisser aux mères en passant avec elles un accord à l’amiable. La plupart du temps, ce n’est qu’en cas de séparation conflictuelle que des hommes qui, jusque-là s’impliquaient peu dans l’éducation de leurs enfants, s’intéressent soudain à leur progéniture et en réclament la garde, le plus souvent en résidence alternée, parce que ce système les dispense habituellement de payer à la mère une pension alimentaire, pensions pourtant minimes et insuffisantes pour assurer l’élevage de ces enfants dans des conditions décentes. Et leur permet aussi de continuer à exercer un contrôle et des violences sur la mère et de la persécuter au moins aussi longtemps que les enfants sont mineurs. Presque une sur deux de ces mères séparées vit sous le seuil de pauvreté, ce qui évidemment ne procure pas à leurs enfants la possibilité de grandir et de s’instruire dans les conditions les plus favorables. Quand les mères ont droit à une pension alimentaire parce qu’elles assurent la garde principale, presque une pension alimentaire sur deux est impayée, ou très irrégulièrement, et ces mères —si elles ont de la chance et si la CAF est en mesure de prélever ces pensions alimentaires directement sur le compte des pères coupables d’« abandon de famille »– doivent batailler avec cette administration, dans un labyrinthe de paperasserie et de formalités administratives sans fin. Et ce prélèvement n’est pas toujours possible car des pères organisent leur insolvabilité financière ou disparaissent à l’étranger pour ne pas avoir à payer la pension. Incapables de trouver un emploi suite au manque de solutions de garde, ou seulement des emplois à temps partiel mal rémunérés, ces mères confrontées à la désertion financière des pères, cessent de travailler et deviennent totalement dépendantes des aides de l’Etat.  Aux Etats-Unis, on stigmatise volontiers ces « baby mamas » qui « vivent aux crochets du contribuable ». Ce qu’on évite habituellement de mentionner, c’est qu’en fait, ce ne sont pas ces femmes qui vivent « aux crochets du contribuable » mais les pères déserteurs qui abandonnent financièrement leurs enfants.

 Quand on examine les faits et les statistiques, que reste-t-il de l’image du papa-poule ? On peut se demander si cette image n’est pas en réalité une mystification en forme d’inversion patriarcale, une pure stratégie de com, l’écran de fumée voilant dans des flots d’idéalisation complaisante les réalités brutales du désengagement paternel.

LES DROITS MAIS PAS LES DEVOIRS : L’EGALITE INEQUITABLE

L’institution du divorce par consentement mutuel (1975) était censée permettre aux femmes d’échapper au contrôle et aux violences de leurs tyrans domestiques. Mais à chaque fois que l’émancipation féminine avance d’un pas, immédiatement une contre-offensive patriarcale se met en place pour contourner et annuler cette avancée.
Dans le cas du divorce, ce contournement a été effectué avec des résultats exceptionnels grâce à une arme de destruction antiféministe massive: la législation sur la résidence alternée, passée sous la pression des lobbies de pères.
A cause de ces lois, il est devenu impossible pour une femme séparée ou divorcée de s’affranchir définitivement et totalement du contrôle de son ex-mari.

Les situations de garde alternée empêchent en fait toute rupture effective avec un ex abusif: les va-et-vient de l’enfant entre son père et sa mère forcent celle-ci à se retrouver plusieurs fois par semaine en contact physique ou virtuel avec l’homme qu’elle ne veut plus revoir, dont elle a divorcé précisément pour qu’il disparaisse de sa vie. Ces contacts réactivent et répètent les traumas subis durant leur vie de couple, et le coût sur la santé psychologique des mères est considérable. En fait, cette remise en contact forcé de femmes victimes de violences physiques et/ou psychologiques avec leur agresseur s’apparente à une sadisation perverse des mères par la justice, et rappelle, au cas où on l’aurait oublié, que bien que la notion légale de “puissance paternelle” ait été officiellement abolie, le système judiciaire, pour ce qui est des affaires familiales, est toujours de facto régi par la loi des pères.

Enfin, dans ces situations de « séparations hautement conflictuelles », le père instrumentalise l’enfant pour continuer à tyranniser et persécuter la mère–et ce bien au-delà du divorce. La mère se trouve engagée avec lui dans une guerre d’usure où tous les procédés sont utilisés pour que sa vie reste sous l’emprise de son compagnon et continue à se dérouler –comme pendant leur vie de couple–sur le mode d’une suradaptation permanente à ses comportements dominateurs et violents. Tout ce qui concerne l’enfant devient prétexte à affrontements qui permettent au père de réaffirmer son autorité: la vie scolaire de l’enfant, ses activités sportives et culturelles, ses vêtements et ses affaires de classe, ses fréquentations, etc. Toute l’énergie mentale de la mère doit alors être investie pour se protéger de ce harcèlement paternel constant et déjouer les pièges qui lui sont tendus par son ex.

Plus grave encore, des pères maltraitent l’enfant pour se venger de leur ex-femme; certains allant jusqu’au meurtre. Le cas d’enfants tués par leur père suite à une situation conflictuelle avec la mère–ou même si la mère a la garde exclusive, pour ne pas payer la pension– est habituellement qualifié de “drame familial” dans les médias. Mais bien que des pédopsychiatres (Gérard Lopez) estiment le nombre d’infanticides à deux par jour en France, il est impossible de trouver des statistiques officielles sur le pourcentage de ces infanticides commis par des hommes. Et quand la mère se résout à déposer une plainte en justice suite à des violences du père sur l’enfant (ou que son ex la poursuit pour non-présentation d’enfant), sa vie devient totalement judiciarisée et se trouve dévorée par une série de formalités à accomplir sans cesse renouvelées –avocats, expertises, confrontations, témoignages, audiences, etc.   

On constate que face à la diminution de l’autorité masculine dans la famille résultant des avancées féministes, les hommes ont trouvé la parade: : tenir la mère par l’enfant. Celui-ci est assigné au rôle de garde-chiourme involontaire de la prison dans laquelle le système patriarcal cherche à maintenir les femmes parce que c’est lui qui permet que le contact du père avec la mère ne soit jamais rompu, et qu’en conséquence le contrôle marital auquel elle a cru se soustraire en divorçant se perpétue des décennies après la séparation.

L’enfant devient ainsi un élément essentiel dans le dispositif patriarcal qui assure que les femmes divorcées ne puissent jamais s’émanciper de toute autorité masculine. Tandis qu’il est tiré à hue et à dia entre son père et sa mère, sans aucune considération pour son bien-être, l’enfant devient le moyen imparable qui permet au père de restaurer son autorité maritale battue en brèche.
Et si le harcèlement échoue, il reste au père l’option de restaurer cette autorité patriarcale en recourant à deux stratégies radicales: désenfanter la mère avec l’appui de la justice (resuscitant ainsi le droit archaïque qui faisait des enfants la propriété du père puisqu’ils lui revenaient en cas de divorce, ce qui est encore le cas dans certains pays). Ou recourir à la manifestation la plus absolue du pouvoir du pater familias: tuer l’enfant et récupérer ainsi la totalité du pouvoir patriarcal archaïque en réactivant le droit ancestral de vie et de mort des pères sur leur famille.

Le mariage traditionnel fonctionnait sur le schéma économique de l’esclavage (il est d’ailleurs probable que c’est le schéma du mariage qui a servi de modèle à celui de l’esclavage) : entretien matériel contre appropriation du travail et du corps de l’esclave. Mais grâce à la double journée des femmes et au désengagement financier des pères, les hommes modernes se retrouvent ainsi à peu près dans la situation idéale d’un propriétaire d’esclaves qui continuerait à s’approprier le travail de ses esclaves– mais n’aurait plus à payer pour leur entretien. Pourtant, très peu de féministes ont même identifié cette nouvelle configuration des relations hommes-femmes, extrêmement avantageuse pour ceux-ci. C’est comme si les hommes avaient dit aux femmes : « vous voulez travailler et être indépendantes ? Soit mais ne comptez plus sur nous pour financer l’entretien des enfants ». Qui a gagné dans cette évolution ? Le système patriarcal a-t-il régressé—ou a-t-il- simplement muté en inversant à son profit des évolutions a priori favorables aux femmes ?

Notes

1/https://www.milkmagazine.net/societe-qui-sont-les-nouveaux-peres/#:~:text=Ces%20p%C3%A8res%20de%20famille%20qui,auteure%20du%20livre%20Le%20M%C3%A9nage.

2/ https://www.huffingtonpost.fr/life/article/quand-bebe-pleure-la-nuit-78-des-meres-se-levent-plus-souvent-que-leur-conjoint_207752.html?fbclid=IwAR2kFXEPL9aTFVs5biSIIiGBKpD5gIpnYGuzM7OSTy1y5YD8FYj_UvtVdVU

3/Le livre noir de la garde alternée, 63.

4/https://www.doctissimo.fr/html/psychologie/psycho_pour_tous/homme/14421-papa-poule.htm

5/https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/07/moins-de-1-des-peres-prennent-un-conge-parental-malgre-une-reforme-en-2015_6075929_3224.html

6/https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/11/21/les-couples-en-union-libre-plus-jeunes-moins-riches-mais-plus-egalitaires-que-les-couples-maries_5218277_4355770.html#:~:text=Au%2Ddel%C3%A0%20de%2045%20ans,moyenne%20de%2037%2C5%20ans.

7/https://www.justifit.fr/b/guides/droit-famille/la-garde-exclusive-comment-lobtenir/

8/https://www.madmoizelle.com/marche-des-peres-pour-legalite-larbre-de-la-paternite-cache-la-foret-du-masculinisme-1212621

9/https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03144279

10/ Le Livre noir de la garde alternée, 88.

11/ https://www.facebook.com/notes/abandon-de-famille-tol%C3%A9rance-z%C3%A9ro/r%C3%A9si

12/ https://www.lemonde.fr/societe/article/2013/05/23/plus-d-un-enfant-sur-dix-de-couples-divorces-ne-voient-jamais-leur-pere_3416198_3224.html et https://www.theguardian.com/news/datablog/2013/nov/20/non-resident-dads-relationship-children

13/https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681

14/https://www.observationsociete.fr/structures-familiales/couples/separations-un-prix-lourd-a-payer-pour-les-femmes/#:~:text=Une%20s%C3%A9paration%20r%C3%A9duit%20consid%C3%A9rablement%20le,Insee%20(donn%C3%A9es%202010)1.

15/https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681

16/https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681 et https://www.insee.fr/fr/statistiques/5227614

17/https://cartotheque.anct.gouv.fr/media/record/eyJpIjoiZGVmYXVsdCIsIm0iOm51bGwsImQiOjEsInIiOjM1NX0=/

18/https://www.capital.fr/economie-politique/pres-dune-pension-alimentaire-sur-deux-est-non-payee-1328961#:~:text=Une%20famille%20sur%20cinq%20est,des%20pensions%20alimentaires%20seraient%20impay%C3%A9es.

19/https://www.justifit.fr/b/guides/droit-famille/divorce/combien-de-couples-divorcent-en-france/

 Bibliographie

Céline Bessière et Sibylle Gollac, « Le genre du capital, comment la famille reproduit les inégalités ».

Yvonne Knibiehler, « Qui gardera les enfants ? ».

Gérard Lopez, « Enfants violés et violentés. Le scandale ignoré ».

Jacqueline Phelip et Maurice Berger, « Divorce, séparation : les enfants sont-ils protégés ? »

Jacqueline Phelip, « Le livre noir de la garde alternée ».

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