Néo-libéralisme & Ubérisation de la prostitution :

Interview de Rae Story

Par Francine Sporenda

 

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Rae Story a été active dans la prostitution pendant 10 ans et est maintenant une auteure et  blogueuse critique de l’industrie du sexe, et en particulier du mouvement « Rights not Rescue » (NDLT  mouvement qui propose que les prostituées veulent des droits et ne veulent pas être « sauvées »). Elle soutient la création de structures d’aide et de services non religieuses pour les personnes désireuses de quitter la prostitution. Elle est contre la décriminalisation intégrale et les tentatives concomitantes de légitimer culturellement la prostitution et son industrialisation croissante. Vous pouvez trouver son blog ici https://inpermanentopposition.wordpress.com/  

 

 

FS : Sur la base de ce qui est arrivé dans votre vie avant votre entrée dans la prostitution, considérez-vous que vous avez choisi d’y entrer ? Que pensez-vous de cette notion de la prostitution comme choix en général ?

RS : C’était un choix, mais seulement dans la mesure où le fait de s’engager dans une relation violente — avant que vous compreniez les paramètres de cette relation –est un choix. Ou de commencer à prendre de l’héroïne et de devenir toxicomane est un choix. En fait, ces situations ont quelque chose de commun avec la prostitution : les personnes manipulatrices commencent souvent par du « love bombig » (NDLT bombardement d’amour, période où on multiplie les égards et les  démonstrations d’amour envers une personne qu’on veut séduire) sur leur nouvelle victime afin de gagner sa confiance puis font succéder à ce déversement d’amour et d’attention des comportements de retrait (maltraitance, abandon et cruauté) et ne reviennent à ces comportements d’amour initiaux que pour ne pas s’aliéner complètement leur victime. Le même processus a lieu dans la toxicomanie et on peut démontrer qu’il se produit aussi dans la prostitution.

Pour de nombreuses personnes, dont moi, quand vous commencez la prostitution, l’argent que vous gagnez rapidement (mais pas facilement) vous euphorise. Le sadisme et les humiliations qui font partie de cette activité s’installent en vous insidieusement au fil des années et se mêlent à cette euphorie de l’argent gagné rapidement. Ce qui fait que vous continuez à oublier la réalité de la situation et que vous retournez à la prostitution.

La vaste majorité des femmes que j’ai rencontrées (en fait probablement la totalité) étaient issues de milieux économiquement défavorisés et donc l’attrait de cet argent rapide était bien plus fort pour elles que pour des femmes issues de milieux aisés ou fortunés.

A quoi il faut ajouter le fait, que à première vue, la prostitution offre des gains élevés pour des qualifications professionnelles faibles (en fait, les aptitudes requises sont nulles) ainsi qu’une grande flexibilité. Et pourtant, au Royaume-Uni, il y a peut-être 100 000 femmes qui font ça, et beaucoup d’entre elles sont étrangères et trafiquées. Pourquoi si peu de « volontaires » comparativement ? Il est aussi possible que le fait d’avoir été exposée à des relations sans affect ou dysfonctionnelles au début de votre vie puisse vous « préparer » à la prostitution, de la même façon que cela « prépare » à la toxicomanie. Dans mon expérience, toutes les femmes que j’ai rencontrées non seulement venaient de milieux socio-économiques défavorisés mais elles avaient aussi de la violence, de l’abandon et de la dysfonctionnalité dans leurs trajectoires de vie.

 

 

FS : C’est une notion admise que les femmes prostituées, étant les premières concernées, sont celles que l’on devrait écouter sur la question de la légalisation. Mais vous écrivez « méfiez-vous de la parole des « travailleuses du sexe ». Pourquoi devrait-on se méfier ? Et est-ce que vous considérez (comme Julie Bindel) que le fait d’être ou d’avoir été prostituée ne signifie pas nécessairement que vous proposerez la meilleure législation pour la société sur le long terme ?

RS : Oui, c’est ce que je pense, d’une certaine façon. Première chose, pourquoi se méfier ? L’observation selon laquelle la voix des personnes engagées dans la prostitution devrait être entendue est une bonne chose, mais le problème est que cette notion évidente a muté en quelque chose de plus problématique. Que votre opinion soit entendue, ce n’est pas la même chose que : « vous devez être d’accord avec moi et accepter ce que je dis sans aucun examen ni questions ». Ce n’est pas une façon intellectuellement sérieuse de procéder. Le fait d’être impliquée dans l’industrie du sexe est souvent brandi comme une arme pour réduire au silence l’opposition au lieu de  répondre par un discours rigoureux. Dans les médias, j’ai vu des personnes engagées dans l’industrie du sexe dire aux féministes radicales des choses comme : « arrêtez de parler à ma place, je suis une travailleuse du sexe »–même si leur opinion a été entendue et qu’on leur a répondu. En fait, on peut dire que les prostituées ont beaucoup plus de visibilité dans les médias que n’importe quelle autre profession et peuvent y exprimer leurs pensées et leurs sentiments sur elles-mêmes. Alors que les femmes de ménage, les personnels de service et autres ne sont pas du tout considérés comme intéressants politiquement. Franchement, l’idée que les prostituées sont réduites au silence est ridicule.

Dans tous les cas, avoir une opinion tirée de votre expérience individuelle et considérer que c’est la seule opinion acceptable est énormément problématique parce qu’au final, les lois sur la prostitution sont une forme de politique économique et sociale, pas juste une question personnelle. En Grande-Bretagne, ces lois ont été élaborées de façon à ce que cette activité continue à être considérée comme une transaction privée, à légaliser l’acheteur et le vendeur mais pas le proxénète et à interdire que cette activité ait lieu dans les lieux publics (sollicitation). Et maintenant, les porte-paroles de l’industrie du sexe utilisent le langage des droits individuels pour justifier la prostitution de la même façon qu’on argumente en faveur du droit au mariage pour les homosexuels. Ils présentent le fait d’être une « travailleuse du sexe » comme si c’était une identité analogue à l’orientation sexuelle et comme si le fait de décriminaliser la prostitution avait pour but de permettre à ces personnes de vivre leur sexualité personnelle.

Alors qu’en fait l’objectif de la décriminalisation ou de la légalisation, c’est l’industrialisation de la prostitution :  permettre aux proxénètes riches d’investir leur capital afin de créer des méga-bordels et des méga-chaînes de bordels.

Prostitution : parodie des pro-sexe, site "Mafia.Pro-Sexe.com" - @SAMINT
Prostitution : parodie des pro-sexe, site « Mafia.Pro-Sexe.com » – @SAMINT

D’une certaine façon, ça rappelle la situation légale des corporations aux Etats-Unis : dans ce pays, elles sont considérées légalement comme des personnes et leurs activités financières sont vues comme une forme de « liberté d’expression ». Les milieux d’argent et d’affaires utilisent le lexique des droits individuels, et cette pratique est un élément-clé du projet néo-libéral. Je vois cette stratégie politique des porte-paroles de l’industrie du sexe comme faisant partie de la même culture.

Parce que certaines prostituées soutiennent ce projet libertarien, cela ne veut pas dire que toute la société doit les suivre dans cette impasse. Rappelez-vous aussi que les femmes de droite comme Phyllis Schlafly ont fait campagne aux Etats-Unis contre le « Equal Rights Amendment » (NDLT texte garantissant constitutionnellement l’égalité des droits pour les femmes) et ont utilisé pour ça l’argument que, si cet acte avait été voté, les femmes aurait été appellées sous les drapeaux en temps de guerre comme les hommes. Elles ont mis en vitrine le souci pour la sécurité des femmes, alors qu’en réalité il s’agissait de préserver les rôles de genre et la domination masculine. Les prostituées pro-décriminalisation ne sont pas le premier groupe de femmes à défendre les idées patriarcales au nom de la sécurité des femmes. Et bien sûr, la notion que les méga-bordels habituellement dirigés par des hommes sont les endroits les plus sûrs pour les femmes est plus que douteuse.

 

 

FS : Vous dites que la nouvelle stratégie des lobbies de la prostitution est de se présenter comme des progressistes et des opprimés, alors qu’ils défendent des valeurs régressives, intimident et harcèlent systématiquement les survivantes de la prostitution pour les faire taire. Pouvez-vous nous en dire plus sur le comportement de ces gens envers les survivantes ? Quelles sont les stratégies qu’ils utilisent pour les réduire au silence ?

RS : Comme je l’ai dit plus haut, il y a un langage dans le débat qui recadre les personnes engagées dans la prostitution comme ayant une « identité » prostitutionnelle identique à une ethnicité ou à une sexualité.  « Combattre » pour la décriminalisation devient ainsi une cause humanitaire, une question de droits humains, et pas une question de droits du business. Et c’est efficace, parce que ceux qui ne sont pas d’accord avec eux peuvent alors être traités de réactionnaires ou de SWERFS (Sex Workers Exclusionary Radical Feminists). De quoi exactement ils prétendent être exclus, je n’en ai aucune idée.  En fait, la prostitution est une réalité matérielle liée aux circonstances et aux inégalités économiques et de genre, pas une question de politique personnelle—et la revendication d’une décriminalisation totale ne procède que du « droit » du business à se développer sans intervention de l’Etat et sans considération pour l’intérêt collectif.

Le terme lui-même de « sex worker » est un terme politique et pas juste un descriptif. Il est utilisé pour légitimer l’industrie du sexe comme transaction moralement neutre : utiliser ce terme, c’est comme de référer aux individus exploités dans des sweatshops sous l’appellation de « travailleurs du textile ». Ce qui permet à ceux qui dirigent des bordels de se présenter comme « travailleurs du sexe » et de prétendre appartenir à la même catégorie que celles qui ont réellement affaire à des bites malodorantes d’hommes âgés pour gagner leur vie. Et même les pornographes et les photographes « de charme » peuvent revendiquer cette appellation.

L’usage détourné du langage des droits humains et l’utilisation du concept de « travailleuses du sexe » est une forme de manipulation politique. N’importe quelle personne qui est d’accord avec eux et qui a un vague lien avec l’industrie du sexe peut être baptisée « travailleur du sexe », ce qui donne ipso facto plus de valeur à son opinion. Et toute personne liée à l’industrie du sexe qui n’est pas d’accord avec eux doit être discréditée d’une façon ou d’une autre. Et c’est là que ça devient vicieux : à chaque fois que j’ai été confrontée à un avocat de l’industrie du sexe, la véracité de mon témoignage a été vaguement mise en cause, ou j’ai carrément été traitée de menteuse. La plus insidieuse de ces accusations étant que les problèmes psychologiques dont je souffre étaient le résultat de défaillances ou de faiblesses personnelles et ne sont pas endémiques dans cette industrie.

C’est là une forme de gaslighting politique qui pathologise celles qui contestent l’oppression ou l’inégalité. L’exemple le plus grave de ça, c’est la méthode qui était utilisée pour pathologiser les esclaves qui essayaient de s’échapper. Leur servitude était considérée comme inhérente à leur identité et essayer d’échapper à cette identité était considéré comme une maladie. Ces gens ne sont progressistes ni en théorie ni en pratique.

 

 

FS : Dans votre article « The Middle Classing of Prostitution », vous dites qu’il y a une nouvelle tendance dans le discours pro-prostitution : présenter la prostituée comme une femmes d’affaire « empowered » et rationnelle vendant sa marchandise comme n’importe quel professionnel. Vous dites que vous avez essayé de jouer ce jeu, en vous présentant sur votre site comme éduquée, sophistiquée, appréciant les grands vins et les hommes bien élevés, issue d’une bonne famille et dans la prostitution seulement « pour satisfaire vos appétits sexuels dévorants ». Quelle est l’explication derrière cette tendance ?

RS : Je pense que c’est quelque chose qui s’est développé suite à certaines avancées technologiques et à cette pratique post-moderne d’être plus intéressé par l’atomisation culturelle que par le collectif et par les apparences plutôt que par la réalité. Au début des années 2000, des femmes comme Tracey Quann écrivaient des livres sur une supposée prostitution urbaine et upper class qui souvent était décrite comme moins centrée sur les rapports sexuels avec les clients et davantage sur la culture autour de la prostitution : les hôtels, les sacs à main designer, les coiffeurs chics. Dans ses livres, les prostituées étaient dépeintes comme des amatrices de dîners dans des restaurants chers et de vêtements haute couture, ils mettaient en scène des femmes qui incarnaient avec succès la culture urbaine haut de gamme. Si on regarde les films et les séries télé qui ont précédé cette tendance, par exemple « Sex and the City » et « Pretty Woman », le succès y est défini comme l’acquisition des signes extérieurs de la réussite matérielle.  La prostitution a été affectée de façon majeure par ces tendances culturelles, et je pense que le fait que la prostitution et la consommation matérialiste soient des formes fortement genrées de réification n’est pas un hasard non plus.

Films : "Pretty Woman", "Sex and the City"
Films : « Pretty Woman » et « Sex and the City »

Les soi-disant « prostituées de la classe moyenne » ont utilisé cette culture pour se valoriser aux yeux des clients et de la société en général –mais la prostitution reste un business incroyablement précaire. Des femmes de ma connaissance dépensaient de grosses sommes d’argent pour des vacances, des vêtements, des dîners etc. comme s’il suffisait de se baisser pour en ramasser–comme les femmes dans la prostitution le disent parfois : « tant que j’ai mon corps, j’ai des revenus ». Mais la réalité est souvent différente : ces femmes tombaient malades suite à des problèmes psychologiques, sombraient dans la toxicomanie, la dépression ou le PTSD (Post Traumatic Stress Disorder). Des femmes qui, au début, acceptaient avec enthousiasme tout ce que voulaient les clients (parce que ça leur donnait un sentiment fragile et fugace d’être « bonne à quelque chose »), devenaient cyniques après de mauvaises expériences ou simplement perdaient leurs clients parce qu’elles vieillissaient et étaient obligées de baisser leur prix.

Le « middle classing » de la prostitution, c’est surtout des images et de la consommation ostentatoire. L’appartenance réelle à la classe moyenne repose sur la sécurité financière, la capacité à acheter une maison, à progresser dans votre travail, à gagner davantage d’argent et à acquérir plus de stabilité–et même à léguer quelque chose à vos enfants. La plupart des femmes dans la prostitution en sont incapables.

 

 

FS : Vous dites aussi que maintenant, les femmes prostituées sont censées se vendre elles-mêmes comme un produit, faire davantage de publicité, constamment mettre en ligne de nouvelles photos sur les sites de prostitution, offrir des webcam sessions, faire du merchandising, donner de plus en plus d’elles-mêmes aux clients qui sont de plus en plus exigeants. Vous notez que dans le passé, être une prostituée était plus simple et exigeait moins d’investissement. Est-ce que vous pensez qu’il y a eu une sorte d’«ubérisation » de la prostitution ?

RS : C’est un autre aspect de cette industrie. D’un côté, il y a des femmes qui essayent de se donner une image de maîtresse chère, de courtisane (bien que n’ayant jamais rien gagné qui approche de ce que gagnaient les vraies courtisanes historiques), tandis que d’autres se réinventent comme pornstars. La première culture renvoie à la notion de luxe et d’élitisme, l’autre à celle d’accessibilité : la pornstar n’intimide pas les hommes parce qu’elle est accessible. Dans les deux cas, cette création d’image implique une exposition de soi maximisée résultant des avancées technologiques mais aussi d’un sentiment de compétition accru.

Quand j’ai parlé à des femmes qui étaient dans la prostitution depuis les années 80, elles se plaignaient de cette simplicité perdue. Les clients d’alors étaient censés être reconnaissants envers les femmes qui se prostituaient et acceptaient le niveau basique des « services » qu’elles leur offraient.

Mais l’arrivée conjointe du matérialisme post 80s, du néo-libéralisme et de la diffusion croissante d’internet et de la photographie digitale ont eu pour conséquence que les prostituées sont censées  être des « femmes d’affaire ».

Autrefois, les femmes qui « travaillaient » pour des agences d’escorts se contentaient de placer des annonces décrivant de façon basique leur physique et leurs « services » dans les journaux ou dans les cabines téléphoniques ; maintenant les prostituées doivent avoir leur propre boutique internet, avec des photos sans cesse renouvelées, des informations détaillées sur les services offerts, un blog, des vidéos pornographiques « pay per view » etc. C’est censé être « empowering » mais en réalité, c’est plus de travail, plus d’exposition et ça rend les clients plus exigeants. Des femmes font de la publicité sur le fait qu’elles offrent la « girlfriend experience » ou la « pornstar experience » ; concrètement, ça signifie que vos services doivent inclure d’embrasser les clients, de faire une fellation sans préservatif et d’accepter la sodomie avec n’importe qui si votre publicité mentionne cette pratique. Et si vous ne mettez pas de photos en ligne, vous n’aurez pas de clients, alors que dans le passé, il allait de soi que les clients n’avaient pas accès à vous avant la passe.

Au début, des femmes prostituées ont créé leur propre site pour attirer des clients mais ça n’a pas duré : des gens qui avaient de l’argent ont créé des méga-sites sur lesquels elles pouvaient s’inscrire gratuitement et qui fonctionnaient comme des réseaux sociaux –mais pour la prostitution. Pour les clients, ces listings avaient l’avantage de leur offrir l’accès à un grand nombre de prostituées sur un seul site. En Grande-Bretagne en particulier, il y a un site qui a quasiment monopolisé la totalité du marché et dont les prostituées dépendent pour trouver des clients. Le volume de profits généré par ces sites dépasse de beaucoup ceux des petits bordels suburbains (en particulier parce que les clients payent pour regarder des vidéos pornographiques et pour acheter des photos), ce qui leur donne beaucoup de pouvoir.

Ubérisation de la prostitution
Ubérisation de la prostitution

Des femmes que je connais en sont devenues totalement dépendantes pour leur « business » et si la plate-forme qui fait leur publicité juge qu’elles n’ont pas respecté les règles, leur profil est fermé, ces femmes ne peuvent plus gagner d’argent et elles sont obligées de plaider leur cause auprès du site pour que la fermeture de leur profil soit annulée. Avoir ainsi le contrôle sur 10 000, 15 000 ou même 20 000 prostituées donne à ces sites un pouvoir énorme.

Bien sûr, les bordels à l’ancienne continuent à fonctionner, mais d’après ce que je sais, ils utilisent surtout une grande quantité de « main d’œuvre étrangère » et des femmes qui sont dans la prostitution depuis longtemps et habituées à ce type de fonctionnement.

 

 

FS : Que pensez-vous des « punters’ forums » (forums de clients) ? Pouvez-vous commenter sur la haine des prostituées et les « attitudes psychopathiques » que vous avez observées sur ces forums ? La façon dont ces hommes semblent tirer plaisir de démolir chaque prostituée à qui ils ont eu affaire ? Comment ces forums ont-ils affecté les femmes prostituées ?

RS : Je pense que la culture sur ces forums est très masculiniste et n’est tempérée par aucune peur d’être sanctionné ou jugé. Si ces hommes ont des opinions sexistes virulentes qu’ils ne peuvent pas exprimer devant leur femme ou au travail et s’ils ont une attitude sociopathique envers les femmes et les prostituées en particulier, les « punters’ forums » leur donnent carte blanche pour exprimer ces pensées et ces sentiments. C’est comme des discussions de vestiaires entre hommes mais magnifiées par le fait que, dans les autres groupes 100% masculins, les hommes ne font qu’exprimer des opinions sexistes et misogynes, tandis que sur ces forums, ils passent à l’acte. Ils discutent entre eux, s’encouragent les uns les autres, perpétuent et renforcent mutuellement leur « sense of entitlement » et leur arrogance.  Pour la première fois de leur vie, ils sont en contact avec des hommes qui leur disent que ça n’a rien d’inacceptable de payer une fille de 18 ans qui a été transportée d’un pays à l’autre, forcée à se prostituer et d’exiger d’elle toutes sortes d’actes sexuels extrêmes bien qu’elle n’en tire aucun plaisir et que ça lui soit pénible. Alors que la société peut réprouver leur désir d’avoir des relations sexuelles avec une femme qui ne les désire pas (cette absence de désir pouvant être excitante pour eux), ils sont encouragés et validés dans ces comportements par leurs pairs.

"Invisible men"
« Invisible men »

Pour eux, c’est une forme de libération par rapport à la prostitution traditionnelle, où ils ne pouvaient pas voir la femme (et donc l’évaluer) avant de la « réserver » et où ils devaient accepter son indifférence et son absence d’enthousiasme. Ils ont été galvanisés par une culture qui exige des prostituées qu’elles « travaillent » plus dur pour les clients, et aussi par les contacts avec d’autres clients qu’internet leur procure. Ils utilisent des phrases comme « tout le pouvoir aux clients », et « le client est roi » et ils écrivent des choses impitoyables et sordides sur les femmes qui, selon, eux, n’ont pas satisfait leurs attentes.

 

La plupart des femmes que je connaissais dans mes dernières années de prostitution ont été victimes de ces « évaluations » des clients et de leurs jugements de « chasse aux sorcières ». Ils écrivaient qu’on était grosses, moches, qu’on paraissait plus vieilles que notre âge et d’autres choses trop horribles à écrire. Beaucoup de ces femmes essayaient de faire bonne figure face à ces critiques, mais je suis sûre que cela les déprimait, les humiliait et les insécurisaitau point de baisser leurs tarifs, etc. Ces clients savaient que ces forums étaient consultés par des prostituées et, en y réfléchissant, je crois que c’est pour ça qu’ils écrivaient des choses aussi cruelles et sadiques. Comme tous les manipulateurs pour qui la dévalorisation, l’humiliation et la violation verbale sont des moyens de contrôle émotionnel. 

Traduction  Version anglaise :

« Rae Story on neoliberalism, ‘sex work,’ and the ‘middle-classing’ of prostitution »

http://www.feministcurrent.com/2016/06/20/rae-story-prostitution-neoliberalism-middle-classing-prostitution/

 

 

 

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