INTERVIEW DE SOPHIE ROBERT

Par Francine Sporenda

Sophie Robert est réalisatrice, autrice et productrice (https://www.dragonbleutv.com/). Elle a réalisé (entre autres) « Le mur, ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », « Quelque chose en plus », également sur l’autisme, et « Le phallus et le néant » où 18 psychanalystes s’expriment sur la sexualité (pour voir le film sur Viméo :  https://vimeo.com/ondemand/lephallusetleneant/334279565). Elle vient de publier « La psychanalyse est-elle une secte ? » aux éditions Enrick.

FS : « Le Mur », votre film sur l’autisme et le traitement désastreux de cette pathologie par la psychanalyse, vous a valu d’incroyables persécutions par le milieu psychanalytique. Pouvez-vous nous en parler ?

SR : Au départ, je ne me suis pas du tout exprimée sur l’autisme, j’ai voulu faire un documentaire assez fouillé sur la psychanalyse. « Corpus Christi », c’est une série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur sur les théologiens, en fait sur les origines du christianisme. C’était mon modèle : des personnes pas très gracieuses, très intellectuelles, filmées en plans fixes, qui vont au fond des choses, avec l’expression de propos sur une matière très idéologique, avec une approche à la fois scientifique et critique. Mon point de départ, c’était que la psychanalyse était –et reste, bien qu’elle ait beaucoup perdu de sa superbe—une institution intellectuelle en France, avec un discours parfaitement opaque auquel personne ne comprenait rien. Je n’aime pas l’opacité, j’aime comprendre les choses, et il y avait quelque chose de complètement contradictoire avec, d’une part, cette référence omniprésente à la psychanalyse, et d’autre part le fait que c’était d’une opacité totale.

Donc j’ai fait un long travail de repérage et de recherche auprès de 52 psychanalystes—ça c’était à l’époque du « Mur »–je les ai interviewé.es, je n’ai pas cessé d’accumuler des connaissances sur le sujet et je le fais encore aujourd’hui. Sur la base de ces interviews, je me suis aperçue que la psychanalyse s’inscrivait dans une logique fondamentaliste, et une des expressions de ce fondamentalisme, c’est la binarité totale du raisonnement des psychanalystes fondamentalistes. Soit vous fonctionnez à peu près, vous êtes sous influence paternelle et vous êtes un névrosé moyen ordinaire, soit vous avez un vrai problème car vous êtes sous influence maternelle, et être sous influence maternelle, pour les psychanalystes, c’est avoir tous les troubles majeurs de la personnalité, les grosses pathologies psychiatriques, les troubles neuro-développementaux, ce qui, pour les fondamentalistes, renvoie toujours à un problème maternel. Et dans cette logique-là, le pire du pire, c’est l’autisme. Bien sûr l’autisme sévère, celui des enfants qui sont sur-handicapés par manque d’accompagnement et qu’on voit se taper la tête contre les murs dans les hôpitaux, qui n’acceptent pas le langage etc.

Donc ça, pour les psychanalystes fondamentalistes, c’est le modèle, les conséquences extrêmes, chez un enfant qui a été livré à la toute-puissance maternelle. C’est ainsi que j’ai découvert ce délire de personnes qui avaient une croyance fondamentaliste sur toutes ces questions et qui les exprimaient dans la vie, dans le réel. Ca s’est fait en plusieurs temps. Quand j’ai commencé à en parler autour de moi, dans le milieu de l’audiovisuel, de la télévision, du cinéma, des artistes, des journalistes, de fil en aiguille, j’ai été amenée à entrer en contact avec des familles dont on m’a dit : ces gens-là, ils vont être intéressés par votre travail, ils vont comprendre, ils sont les premières victimes de ces théories délirantes qui malheureusement ont des traductions dans le réel. » C’est comme ça que j’en suis arrivée là.

Et j’ai fait la connaissance de Vincent Gerhards, à l’époque président de l’association Autistes Sans Frontières et qui à l’époque était rédacteur en chef d’Arlette Chabot sur France Télévision. Je l’avais approché dans l’espoir que, par son intermédiaire, je puisse entrer en contact avec le responsable des documentaires de France 2. Ca n’a pas été possible mais il m’a dit « votre travail nous intéresse ». Sous son égide, j’ai sélectionné des extraits de toute cette masse d’interviews sur l’autisme, des extraits dont j’ai fait un premier volet, qui a failli être diffusé sur Arte mais qui finalement a été diffusé sur internet et c’est ce film qui a été attaqué en justice après quelque semaines par l’école de la Cause freudienne, le holding de la psychanalyse, des gens qui sont vraiment comme des gardiens du temple : il attaquent tous ceux qui la mettent en cause, en tout cas ils le faisaient à l’époque. Et le film a été bloqué, il a été censuré pendant 2 ans, il a été censuré très vite, par l’intermédiaire d’une magistrate qui s’était distinguée pour avoir cassé un mariage musulman parce que la mariée n’était pas vierge quelques années plus tôt, ce qui est tout de même un peu particulier. Mais cet arrêt a été cassé par la cour d’appel de Douai quelques années plus tard, et j’ai obtenu des dommages et intérêts. Je suis désolée d’avoir été un peu longue…

FS : Non, parce que c’est en effet une très longue histoire.

SR : Oui, et il y a des ramifications multiples. En fait, j’ai été accusée pendant des années de chercher la petite bête, de chercher à rendre des psychanalystes caricaturaux, d’avoir cherché des trucs, d’avoir manipulé leurs paroles. Comme je le raconte dans mon livre, j’ai vraiment eu une démarche d’anthropologue, c’est-à-dire d’être en immersion, de me transformer un petit peu en éponge pour comprendre ce que ces gens-là avaient dans la tête et comment c’était possible aujourd’hui de tenir ce genre de discours, auquel ils croient dur comme fer. Qu’est-ce qui se passe, comment ça se traduit ces idées, comment leurs idées colorent leur regard sur les pathologies mentales, sur les troubles développementaux, comment c’est possible que ça se perpétue ? J’ai découvert que je plongeais au cœur d’une secte, c’était entre autres vraiment un phénomène sectaire, c’était très étonnant mais j’ai voulu mener ce travail jusqu’au bout.

 FS : Vous rappelez que la psychanalyse prétend tout expliquer sur la base de deux postulats « irréfutables », celui de l’Œdipe et celui de la « maternité pathogène ». Or « l’invention » du complexe d’Œdipe est la conséquence directe de l’abandon par Freud de l’hypothèse de la séduction. Pouvez-vous nous parler de ce cheminement de Freud, de la reconnaissance initiale des violences sexuelles subies enfant par ses patientes à l’abandon de cette position et à l’adoption de l’Œdipe ? J’ai lu entre parenthèses des livres sur Freud et le freudisme (entre autres le livre de Bénesteau) qui disent que même certains de ces témoignages de violences sexuelles subies étant enfant par des patientes auraient été produits sous la suggestion de Freud

SR : Tout à fait. Quand j’ai commencé à m’intéresser à la psychanalyse, je sortais de l’adolescence, j’avais 17 ans, et j’étais une fan. J’ai eu le bonheur de faire des lectures chronologiques : je ne m’intéressais pas seulement aux idées mais à la manière dont elles avaient émergé, et à la continuité de l’évolution de Freud, et ça c’est très important pour prendre du recul. Et quand il citait des auteurs à l’appui de ses thèses, j’allais lire les auteurs en question, et je me suis rendu compte qu’en fait, il piochait dans ces auteurs des trucs qui l’intéressaient, il oubliait le reste et il racontait souvent n’importe quoi sur eux. A la base de la pensée freudienne, bien avant qu’il « invente » la psychanalyse, il y a la conviction que c’est la sexualité qui s’exprime dans l’inconscient, et que si une personne avait des problèmes psychologiques, c’est qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond dans ce domaine-là. Et il a oscillé constamment entre la notion que c’est le refoulement de la sexualité par la société qui crée des problèmes avec le retour du refoulé, et qui conduit à la névrose. Ou le concept opposé—et il a oscillé entre les deux—c’est qu’il y a quelque chose dans la sexualité même, des courants sexuels, qui faisait échec à la conscience, et qu’il fallait absolument faire barrage, et que cela avait des conséquences. Il ne savait pas si c’était une nécessité ou un effet, il a oscillé entre les deux.

Il faut savoir que c’était l’époque victorienne—quand on parle d’époque victorienne, on se réfère à l’Angleterre, mais c’est valable pour d’autres pays européens, et c’est une époque où on oscille entre une restriction féroce de la sexualité et une obsession de la sexualité—particulièrement dans la Vienne des romantiques dans laquelle Freud a vécu. Attitude qui imprègne la psychanalyse et en quoi Freud est un homme de son époque, bien au-delà de sa personnalité propre. La plupart des femmes allaient au mariage sans rien savoir de la sexualité, ni des viols légaux impliqués par le mariage, et en même temps, les hommes passaient leur vie au bordel, avec l’omniprésence des maladies sexuellement transmissibles, la syphilis faisait des ravages, on passait d’un extrême à l’autre, c’est une période complètement délirante en fait. Des fonctionnaires se rencontraient au bordel, et à côté de ça, il y avait des instruments de torture qui étaient inventés pour empêcher des enfants ou des adultes de se masturber, ça c’est l’époque de Freud. Et il y avait un problème avec la sexualité mais il ne savait pas trop lequel. Et à un moment, il s’est concentré sur l’idée que les femmes « névrosées » qui venaient le voir, qui étaient son gagne-pain en tant que neurologue, avaient été « séduites », c’est-à-dire victimes d’agressions sexuelles et que c’était la cause de leurs problèmes. Il est possible et même probable qu’il y en ait eu quelques-unes, mais ce qui émerge de l’analyse par les historiens de qui était Freud en tant que thérapeute, indépendamment de ses théories, c’est-à-dire de comment il se comportait avec ses patientes, ce qui émerge de leurs observations, c’est que c’était quelqu’un d’extrêmement autoritaire, d’extrêmement directif, et qui pratiquait une suggestion très autoritaire.

Il était nul en hypnose (c’est une des raisons pour laquelle il a adopté à la place de l’hypnose la méthode des « associations libres » NDLR), et il a cherché à soutirer des aveux à des patientes comme quoi elles auraient été victimes de violences, d’une manière qui était pénalisante pour des femmes normalement constituées, et qui n’était pas du tout adaptée au traitement de vraies victimes. Il a essayé d’écouter, et il a abouti à la conclusion que ces femmes souffraient d’avoir été victimes de violences sexuelles, et comme ces aveux avaient été extorqués, donc que ce n’était pas du tout libérateur, il a changé d’avis, et a dit que c’était des fantasmes. Il est passé d’un schéma où il plaquait des idées toutes faites sur des femmes à un même schéma où il plaquait d’autres idées toutes faites sur des femmes, où il transformait des aveux de violences sexuelles subies en des aveux de fantasmes tout aussi fantasmés. Ce sont des schémas mentaux complètement délirants qu’il a fabriqués de toutes pièces parce qu’il a construit dès le départ qu’il y avait quelque chose au cœur de la sexualité qui expliquait toutes les pathologies mentales. Son schéma oedipien (qu’il a substitué à la théorie de la séduction NDLR), c’est un petit garçon qui désire faire l’amour avec sa maman, qui est le rival de son père mais qui va échapper à l’inceste—on peut dire que c’est un virus désamorcé—parce qu’il a peur que son père coupe son pénis. Ce n’est pas un véritable inceste car, dans son schéma, Freud donne le poison et l’antidote. Cas encore plus grave, c’est quand d’autres psychanalystes vont s’emparer de ce complexe d’Œdipe et l’appliquer à la femme, Lacan en particulier. Chez la femme il y aurait le désir d’inceste avec le père, mais ce n’est pas du tout la même chose, parce qu’elle n’a rien à perdre contrairement au garçon, et ça permettrait à une femme de devenir une vraie femme. Donc cet inceste n’est pas très grave, non seulement dans l’esprit de Freud mais de ceux qui vont s’emparer de cette théorie pour la développer après lui. Et ça culmine avec la théorie de la femme fondamentalement névrosée selon Freud qui, quand elle devient mère, est la source de toutes sortes de pathologies mentales.

FS : Vous venez de parler de ce que Freud dit sur les femmes ; la psychanalyse est très antiféministe :  il n’y a pas de sexe féminin, pas de sexualité féminine, la sexualité est par définition phallique, les femmes ne sont « qu’un vide, un trou » et « elles doivent se soumettre aux hommes sinon elles sont dans l’envie du pénis » (ces propos ont été tenus par des psychanalystes). Pouvez-vous commenter sur cette misogynie radicale du dogme psychanalytique ?

SR : La psychanalyse est une construction idéologique—j’ai découvert ça en faisant ce travail d’anthropologie, c’est-à-dire en cherchant quelles sont les idées maîtresses, et comment les psychanalystes s’en servent. C’est une forme de religion en fait, une religion sans Dieu : c’est quelque chose qui pose l’homme dans son essentialité comme référence de tout, qui déshumanise la femme sexuellement—la femme n’existe pas sexuellement, n’a pas de sexe propre, et l’homme est la référence de toute chose. Et l’homme s’approprie aussi tout ce qui a de la valeur chez les femmes. Et dans ce sens c’est une énième expression d’un système religieux patriarcal, c’est un système patriarcal qui s’est construit à côté de la religion, comme une nouvelle expression religieuse, avec les mêmes valeurs, dans le contexte de la Vienne de la fin du 19ème siècle.

Le problème, c’est que comme ça a été fait par une personne qui avait la prétention de soigner les maladies mentales, qui était lui-même médecin et qui a formé des soignants, qui a été le promoteur de l’analyse profane développée par Lacan selon laquelle n’importe qui étant non-médecin peut devenir psychanalyste et de ce fait soigner des gens. C’est ce qui a donné une vitalité et une toxicité énorme à ce courant de pensée, c’est cette approche qui permet à n’importe quel psychanalyste auto-proclamé d’aller vampiriser des gens qui ont des pathologies mentales et les placer dans un schéma d’emprise. C’est ce schéma qui a dominé pendant un siècle, qui a presque complètement disparu dans le monde mais qui reste assez présent en France et qui a été pendant un siècle d’une vitalité phénoménale.

FS : La psychanalyse freudienne est aussi très homophobe, au point qu’il n’est pas possible à une personne homosexuelle d’être homologuée comme psychanalyste par une association de psychanalyse freudienne. Pouvez-vous nous parler de cette hostilité aux homosexuel.les ?

SR : J’ouvre une petite parenthèse à ce sujet, il faut savoir que, quand j’ai commencé à rencontrer des psychanalystes, je ne pensais pas du tout rencontrer des gens fondamentalistes, je pensais qu’il y avait parmi eux des anciens et des modernes, et au départ, j’avais une démarche plutôt complice, même si je me doutais que, parmi eux, il y avait des rétrogrades. En fait, ce sont des psychanalystes qui les premiers m’ont parlé de ce qui leur posait problème dans ce que dit la psychanalyse au sujet des homosexuel.les, avant même que je prenne conscience qu’il y avait des choses qui me gênaient. Ces personnes n’étaient pas du tout concernées par le sexisme de la pensée freudienne et lacanienne, c’est le traitement des homosexuel.les qui les choquait particulièrement. Il y a eu le psychanalyste Michel Tort…

FS : C’est l’auteur de l’excellent livre « Fin du dogme paternel »…

SR : Oui, c’est ça, il a eu affaire à un patient homosexuel cassé, laminé par son psychanalyste. Je dirais que c’est la même chose avec toutes les personnes qui sont homosexuelles. Et plusieurs d’entre eux, comme Florence Guignard par exemple, sont d’un sexisme sidérant. C’est toujours sidérant d’entendre des femmes tenir des propos sexistes mais là, elle a été sincèrement choquée par le traitement réservé aux homosexuels. Il existe des psychanalystes homosexuels mais c’est parce que le titre n’est pas protégé, donc n’importe qui peut devenir psychanalyste mais par contre, il est impossible de se faire adouber officiellement en tant qu’homosexuel.le chez les freudiens et aucun psychanalyste homosexuel n’a écrit de livre pour remettre en question le traitement des homosexuels par leurs collègues. Il y avait une  personne, Joyce Mc Dougall, que j’aurais bien aimé interviewer mais qui était trop âgée au moment où j’ai commencé mes repérages, qui avait écrit un article dans « Le cercle psy ». A la fin de sa vie, elle commençait à se sentir un peu coupable. Elle aussi avait considéré—parce que ça fait partie de la doxa psychanalytique- que toute personne homosexuelle est psychotique par définition. Même si ça ne s’exprime pas, même si la personne en face de soi n’a pas du tout un comportement psychotique, même si elle fonctionne très bien dans la vie courante, si elle est une personne épanouie, c’est par définition une psychotique qui a une psychose non déclenchée. C’est André Green qui est l’auteur du concept de psychose non déclenchée qui leur permet de considérer que toutes les personnes qui ne cadrent pas avec la doxa psychanalytique, particulièrement les homosexuels ou les femmes heureuses d’être des femmes, sont des psychotiques qui s’ignorent, qui ne tiennent qu’à un fil et qui vont, un jour ou l’autre, déclencher la psychose la plus féroce.

FS : La maternophobie freudo-lacanienne est connue mais peu de personnes réalisent son caractère extrémiste. Selon ces théories, l’enfant aux yeux de la mère n’est qu’un substitut du phallus paternel, l’amour maternel n’est qu’une volonté de dévorer l’enfant, de le détruire, la mère est par définition incestueuse et pathogène et tous les troubles psychologiques de l’enfant sont dus à l’influence nocive de sa mère. Vos commentaires ? 

SR : Il faut vraiment que les lecteur.trices comprennent que ces propos ne sont pas seulement délirants en soi—on remplacerait le mot mère dans ces propos par les mots « Noir » ou « Juif », les gens seraient indignés et ça serait attaquable tout de suite par la LICRA. Il faut comprendre que l’on est dans le même registre que celui du racisme et de l’antisémitisme, c’est du sexisme absolument viscéral, au premier degré mais, en plus, c’est mis en actes. C’est ça qu’il faut vraiment comprendre, c’est qu’aujourd’hui en 2023, la doxa psychanalytique est diffusée telle quelle par les gens formés à la psychanalyse, que ce soit des psychiatres, que ce soit des psychologues, des éducateurs, c’est tel quel, brut de décoffrage et ça exerce une influence considérable.

Par exemple, les mères d’enfants autistes qui découvrent l’autisme de leur enfant, qui ont le malheur de l’envoyer se faire suivre par un psychiatre en CMP, non seulement ces gens ne font rien pour l’enfant mais ils vont dire que c’est la mère qui est à l’origine de l’autisme de son enfant, c’est elle qui a un problème. Si les mères cherchent des solutions aux problèmes de leur enfant, elles se prennent ce genre de discours. C’est ce qui est mis en acte aujourd’hui, on récupère des adultes qui ont un profit particulier avec un haut potentiel intellectuel, donc déjà aussi des ressources intellectuelles considérables et qui normalement devraient fonctionner dans la vie, aujourd’hui en 2023, avec un bon accompagnement éducatif, qui pourraient intégrer quelques apprentissages. Et quand ils tombent dans les mains d’un psychanalyste qui les gère pendant 10 ans, 20 ans, qui ne leur apprend rien, à un moment donné, après 25 ans ou 30 ans de ce régime, ils s’écroulent, ils sont complètement écroulés, ils sont dans un état lamentable, et c’est un gâchis social phénoménal. Ces idées ne sont pas seulement délirantes et toxiques en soi, elles sont aussi mises en acte à travers un accompagnement complètement délirant, alors qu’il existe des réponses efficaces à ces problèmes d’autisme. Ce n’est pas toujours facile de prendre en charge des personnes qui ont des troubles, des pathologies, mais là ces personnes sont sur-handicapées par un accompagnement dont l’inexistence est toxique.

FS :  Corolaire de cette maternophobie, la vision freudo-lacanienne de l’enfant est celle d’un « pervers polymorphe » qui, même bébé, ressent un désir incestueux envers la mère, tandis que « les filles rêvent d’être violées par leur père ». Vos commentaires sur cette vision de la sexualité des enfants qui confond besoin d’affection et sexualité génitale?

SR : C’est une confusion totale du langage qui est toxique, c’est une inversion, ça fait penser au DARVO, selon l’expression de cette psychologue américaine, c’est une expression de prédateur qui retourne la charge de l’agression sur la victime, et c’est une mécanique de pensée qui est faite pour sidérer, parce que c’est totalement impossible. C’est aussi une guerre contre le corps, c’est une vision de la sexualité et du corps humain qui est dans le déni par rapport à la nature animale de l’être humain—nous sommes des animaux en fait, il y a un dimension animale dans la sexualité, dans le sens tout à fait positif du terme, nous sommes des êtres de biologie, c’est un propos idéologique qui est en guerre contre ça, et qui vient pervertir, toxifier l’expression naturelle, animale de la tendresse, les câlins, tout ce qu’il peut y avoir de positif dans les rapports mère-enfant etc. Et à la fois le condamner parce que ça serait sexuel, en lui prêtant une intention sexuelle qui n’existe pas. Les enfants peuvent parfois s’exprimer sexuellement de manière exubérante mais c’est l’occasion de leur expliquer certaines choses et de leur permettre de grandir en comprenant le monde qui les entoure. Cette confusion du langage, c’est fait pour sidérer, ce sont des schémas mentaux pervers qui sont faits pour sidérer, ce sont des schémas de prédation en fait. A la base, la psychanalyse freudienne, c’est la science de l’hystérie, une science hystérique, dans le sens où il y a à la fois une obsession de la sexualité et un refus, un rejet complet de la sexualité. Et ces deux choses-là sont collées ensembles et plaquées au forceps sur toutes les situations.

FS : C’est très victorien ce schéma, comme vous venez de le dire.

SR : Carrément. C’est complètement victorien, c’est complètement cette époque de la deuxième moitié, de la fin du 19ème siècle où il y a la pédagogie noire, la condamnation obsessionnelle de la masturbation, où des femmes se faisaient exciser pour ça, dans une approche complètement délirante où on disait que la masturbation rendait fou, où il y a la condamnation de l’homosexualité et des tortures médicales qui pouvaient aller jusqu’à la castration des « coupables », et en même temps cette obsession radicale de la sexualité : ils la voient partout quoi.

FS : Vous avez mentionné que n’importe qui peut devenir psychanalyste s’il s’est fait psychanalyser, et il y a donc un certain nombre de psychanalyses qui sont effectuées dans ce but, ce qu’on appelle les « didactiques ». Comment on devient psychanalyste ? Pouvez-vous nous parler des abus que ça entraîne, ce système de formation par la « didactique », de la psychanalyse « profane », du fait que, sans aucun diplôme, tout le monde peut se proclamer psychanalyste après avoir fait une analyse ?

SR : En fait, n’importe qui peut devenir psychanalyste même sans se faire psychanalyser…

FS : Oui mais en principe pour être homologué par une association psychanalytique, il faut passer par la didactique…

SR : En principe, la voie royale pour devenir psychanalyste, c’est d’être inscrit dans une association de psychanalyse, ces associations étant des instruments de formation, d’aller sur le divan et de dire « je veux faire une didactique ». Une didactique, c’est seulement une psychanalyse comme n’importe quelle analyse dans laquelle à un moment donné on dit que cette psychanalyse a pour objectif de devenir psychanalyste. Et ça permet d’avoir le titre de psychanalyste de telle école, de telle obédience, et ça permet de faire payer plus cher et de faire durer plus longtemps les séances—derrière ça, il y a une logique économique. Mais  aussi, comme il y a une suggestion très forte sur le divan, ne sont reconnus comme analystes de telle école que les analysants qui ont manifesté auprès de leur psychanalyste qu’ils ont vraiment intégré la doxa freudo-lacanienne et qu’ils ne sont pas dans une position critique par rapport à cette doxa. Et c’est pour ça que le travail intellectuel du psychanalyste consiste simplement à commenter les textes fondateurs, on est vraiment dans le commentaire de textes sacrés, on n’a pas le droit d’en dévier. Dans les statuts de la Cause freudienne, il y a deux types de statuts : il y a des gens qui sont reconnus comme analystes de l’école, qui ne sont pas déviants, on leur reconnait le titre d’analyste, et ils peuvent se réclamer de la Cause freudienne. Mais il y a aussi certains d’entre eux qui ont aussi un titre spécifique qui les autorise à s’exprimer au nom de la psychanalyse, à délivrer cette pensée au public, et donc à transmettre au public la parole de Lacan. C’est vraiment une religion complète, une adoration pour les textes sacrés. C’est quelque chose d’actualisé, on ne doit pas dévier, il faut chasser la déviance. Et comme il y a une sujétion très forte entre l’analysant et l’analyste, c’est un double moteur qui fait que ça se transmet de divan en divan, de génération en génération, de manière inchangée. Les analystes qui dévient, qui posent des questions sur le fait qu’ils n’apportent pas grand’chose à leurs patients ou sur le fait qu’il y a des choses sur lesquelles ils sont un peu sceptiques, se font recadrer. Ca se fait en douce, par des superviseurs, à l’écart de leurs collègues, par ces analystes qui ont un bagage un peu plus riche qui ne sont pas assis entre deux chaises. Un analyste est supervisé toute sa vie, c’est le travail des analystes plus âgés qui reçoivent des jeunes analystes, et leur boulot, c’est de les faire douter de leurs doutes pour les remettre dans le droit chemin. Chaque fois qu’il y a de jeunes analystes qui se posent des questions sur tel ou tel aspect de la théorie, vous avez des superviseurs qui viennent leur mettre un petit tour de vis pour continuer à conserver la pureté du message.

FS : Il y a une chose dont peu de gens sont conscients et que vous signalez dans votre livre, c’est l’ampleur du hold up de la psychanalyse sur la psychiatrie, y compris institutionnelle, en France. Comment cela s’est-il passé et quelles sont les conséquences pour les patients—et la Sécurité sociale, concrètement ce que ça coûte à la Sécu ?

SR : Le coût est absolument phénoménal, le secteur de la psychiatrie coûte des milliards et la psychiatrie est sinistrée mais le coût de cette situation est phénoménal. Si les gens avaient le choix, entre aller voir un psychanalyste et un psychiatre lambda, ils voteraient avec leurs pieds et les psychanalystes n’auraient plus de clients. Le problème, c’est que, tout en méprisant violement l’institution de santé, dans l’institution psychiatrique—c’est quelque chose qui m’a frappé au cours de mes interviews– il y a vraiment l’expression d’un rejet—et quand je dis un rejet, ce n’est pas une critique, ça peut être légitime, l’institution psychiatrique est très critiquée, elle doit être critiquée, en démocratie, on doit critiquer les institutions. Mais là, c’est l’expression d’une haine, d’un rejet viscéral de la demande de soin. Et en même temps ils sont implantés dans toute l’institution. Il n’y a que deux ou trois facultés de psychologie en France où la psychanalyse n’est pas enseignée. Et en plus de ça, dans les facs la psychologie scientifique est enseignée, les psychanalystes, se réservent l’enseignement de la psychologie clinique. Au départ, il y a un tronc commun, donc les étudiants qui débarquent apprennent les deux aspects, et quand ils veulent se spécialiser dans une approche scientifique de la psychologie, ils sont obligés d’apprendre le fonctionnement du cerveau, mais ils sont aussi obligés d’étudier la psychanalyse. Et du coup, ça fait un filtre, un filtre énorme, parce que la plupart des étudiants futurs psychologues qui veulent prendre en charge des patients sont obligés de bouffer de la doxa psychanalytique pendant des années, et du coup font l’impasse sur d’autres approches de la psychologie qui mettent l’accent sur le soin de santé mentale. Ca impacte toute une génération de jeunes psychiatres, parce qu’aujourd’hui les psychanalystes forment les psychiatres. Aujourd’hui vous avez des psychiatres qui sont formés à la routine, l’étude du cerveau, toutes sortes de choses scientifiques mais tout ce qui concerne les pathologies mentales est encore enseigné quasi-exclusivement par des psychanalystes. L’étau se desserre, il se desserre un peu, les psychanalystes purs et durs ont moins la cote mais il y a quelques années, il y avait vraiment une exigence absolue, aberrante, pour les étudiants en psychiatrie d’exprimer une adhésion totale à l’enseignement universitaire de la doxa psychanalytique ; aujourd’hui, c’est moins central dans les cours, ils peuvent apprendre quelque chose à côté. Mais ça reste omniprésent, et quand on a rempli sa tête de con..ries, on n’a pas utilisé ce temps et cette énergie pour la remplir de choses importantes. C’est du temps perdu, ça fait des gens qui se retrouvent démunis en face de patients complexes, qui ne font pas l’effort de se former après en formation continue, et ça entraîne une absence de réponse compétente à la demande sociale de soins. Et la psychiatrie française, avant l’influence de la psychanalyse en France, avant la vogue, la contamination par la psychanalyse, était le fleuron de la psychiatrie dans le monde, dans tout l’occident, par rapport aux connaissances de l’époque. C’était le fleuron de la psychiatrie jusqu’au début du 20ème siècle, les gens venaient de toute l’Europe pour apprendre la psychiatrie en France. Et là, on a pris plusieurs décennies de retard.

FS : Vous soulignez « l’hérédité » judéo-chrétienne de la psychanalyse : Freud, Lacan, Dolto, François Roustang qui était jésuite, et quelques autres ; il y a une forte empreinte religieuse sur la psychanalyse. Pouvez-vous nous en parler ? 

SR : C’est une chose peu connue. En bonne freudienne, j’avais lu Freud et Freud est connu pour son discours antireligieux. Il n’était pas croyant mais il était attaché aux valeurs religieuses de son héritage. Et la psychanalyse en France, c’est Lacan. Lacan avait perdu la foi, mais il est né dans une famille extrêmement religieuse. Cette période lacanienne, c’était la fin des années 60 et c’est une époque de crise de foi, mais la France était encore très religieuse, imprégnée de catholicisme, et beaucoup de jeunes séminaristes passaient sur le divan avant d’entrer dans les ordres, pour mettre à l’épreuve…

FS : Leur vocation ?

SR : Leurs idées et leur choix de vie avant de s’engager dans cette voie. Et beaucoup ont abandonné l’idée de devenir curé pour devenir psychanalystes. Et ils l’ont fait parce que Lacan était né dans une famille profondément catholique, son frère Marc-François était moine bénédictin, et Lacan se destinait à la prêtrise avant de devenir psychiatre. A côté de Lacan, il y avait Dolto qui elle était croyante…

FS : Elle a écrit des bouquins là-dessus d’ailleurs : « L’évangile au risque de la psychanalyse », son objectif étant de concilier catholicisme et psychanalyse.

SR : Voilà, elle a écrit plusieurs livres sur sa foi. En fait, avant Lacan, la psychanalyse était peu connue en France, et comme elle était exprimée en langue allemande, il y avait donc aussi un côté anti-boche chez les Français, et il s’agissait de livres écrits par un Juif, donc c’était un truc étranger. Avec Lacan et Dolto, la psychanalyse s’est exprimée en langue française et avec une culture catholique profonde, affichée, et là, il a opéré un retour à Freud, à une époque où plus personne ne le lisait. C’est très important, Lacan a fait une traduction, il a traduit Freud à sa façon, en modifiant le sens du texte, en mettant de sacrés tours de vis dans le sexisme, et en proposant une vision de l’inconscient qui est complètement religieuse, sacrée.  La triade lacanienne Réel, Symbolique, Imaginaire (RSI), c’est vraiment la Sainte trinité en fait. C’est quelque chose que les psychanalystes freudiens reconnaissent, certains me l’ont dit en entretien et le reprochaient à Lacan. Daniel Widlöcher, qui était psychanalyste et professeur de psychiatrie à La Pitié Salpétrière, m’a dit que Lacan avait plaqué le catholicisme romain sur la psychanalyse. C’est comme ça qu’on a ce message qui condamne la sexualité et l’animalité et qui en même temps voit de la sexualité partout.

Et là c’est pareil, on a une double contradiction, d’une approche qui veut combattre l’ancienne religion mais est imprégnée d’une nouvelle religion, et qui la plaque sur le freudisme. Il y a toute une génération de psychanalystes qui sont devenus psychanalystes à partir des années 60 dans le sillage de Jacques Lacan, qui se destinaient à la prêtrise, et qui ont été séduits par le discours religieux de Lacan, et qui en fait y retrouvaient leurs valeurs, exprimées autrement. Lacan a fondé son école avec un jésuite, il y a eu des jésuites qui ont enseigné la psychanalyse, il y a eu des cours de psychanalyse dans toutes les facs de théologie de France, il y a des psychanalystes qui font des conférences dans toutes sortes d’institutions religieuses, il n’y a aucun problème entre le catholicisme et la psychanalyse.

 FS : Vous avez dit quelques mots là-dessus, mais pouvez-vous nous reparler de la banalisation de l’inceste, de la pédophilie et de la protection des hommes pédocriminels et incestueux par la psychanalyse et comment le concept de forclusion du nom du père y joue un rôle central? ? « Un pédophile, c’est quelqu’un qui aime sincèrement les enfants » déclare un psychanalyste que vous citez. Un des plus gros problèmes qu’on puisse avoir avec la psychanalyse, c’est ce que certains psychanalystes disent sur l’inceste, ce que Dolto en a dit en particulier.

SR : C’est un discours qui légitimise le passage à l’acte, qui légitimise des comportements délirants. Il faut quand même souligner que tous les psychanalystes ne sont pas comme ça…

FS : Oui, bien sûr, ça va de soi…

SR : Il y a évidemment des psychanalystes qui vont écouter les patientes victimes d’inceste, mais le problème c’est que, quand ils sont imprégnés des théories freudiennes selon lesquelles l’enfant se construit dans le désir d’inceste avec sa mère ou son père, ça les empêche d’entendre quand un patient ou une patiente vient exprimer cette plainte, ça les empêche de faire barrage, ça les empêche d’identifier des pervers alors que l’agresseur continue à faire des victimes, ça fait un barrage idéologique qui les empêche de percevoir la réalité, et cela affecte leur rôle de soignant. Ca les empêche de parler et d’écouter en fait, et ça peut être extrêmement violent. J’ai écouté beaucoup de personnes pendant que je faisais mon film, qui me disaient que leur psychanalyste avait refusé d’entendre qu’elles étaient victimes, parfois se moquait d’elles…

FS : C’est terrible…

SR : Ce sont des choses d’une violence insoutenable. Et même si ce n’est pas toujours aussi violent, la réaction typique, c’est de minimiser, ce n’est pas du tout la réaction soutenante qu’est en droit d’attendre une personne victime. Et ça fait des ravages, parce qu’il y a des magistrats, des avocats qui sont biberonnés à la psychanalyse, ce qui fait qu’à chaque fois qu’il y a une situation qui permet de considérer qu’un enfant est victime d’agressions, il y a cette idéologie qui défend les agresseurs qui vient faire barrage à la compréhension des problèmes. Il faut souligner aussi que des psychanalystes font parfois aussi l’inverse, parce qu’ils sont biberonnés à la sidération. Le concept-maître de ces psychanalystes, c’est de prendre le contre-pied de ce que dit le patient, quoi qu’il dise. Le discours du patient, pour un psychanalyste fondamentaliste, c’est le discours du conscient. Et le conscient ment. Et l’inconscient est toujours l’envers du conscient. Ces principes sont plaqués au forceps sur le patient comme le faisait Freud, pour lui insuffler l’idée qu’en fait, la vraie source du problème, c’est sa personnalité. Mais la structure est la même, l’idée, c’est de prendre le contrepied du discours du patient, quel qu’il soit, ce qui produit un phénomène de sidération. C’est là où on a un phénomène sectaire, l’idée est de tordre le réel quelque part. C’est extrêmement pervers, quand vous avez des gens dont les émotions sont tordues pour les amener à considérer que, s’ils ne sont pas bien, forcément on leur a fait quelque chose. Toute leur analyse vise à les amener à se souvenir du truc qu’on leur a fait qui leur a fait du mal, et pour ceux à qui on a vraiment fait du mal, par contre, on met en doute leurs ressentis et leurs souvenirs. Et qu’on arrive à leur faire dire : « finalement, je l‘ai peut-être cherché, finalement c’est peut-être moi le responsable ». C’est d’une perversion redoutable.

FS : Oui, il y a une culpabilisation systématique, genre « les bénéfices de la maladie », on est malade parce qu’on le veut, ce genre de choses… On a l’impression d’un schéma d’inversion constant, dans la psychanalyse, c’est un système de pensée fondamentalement inversif.

SR : L’inversion de la vérité est constante, c’est là qu’on est dans un schéma idéologique qui vise à amener la personne analysée à douter d’elle-même, dans une inversion de réalité systématique. Et ça n’a pas seulement une influence sur la victime, ça a une influence sur toute la chaîne de pensée qui entoure la victime : les médecins, les magistrats, les avocats, les flics, les éducateurs, toutes les personnes avec qui la victime est en contact. Pour qu’une victime traverse l’existence, au regard de la justice, il faut qu’elle soit soutenue par ces différents professionnels, or elles ne le sont pas, et c’est dramatique. Généralement elles sont soutenues par leur famille, au moins en partie et surtout par leur mère mais pour elles ce n’est vraiment pas évident. Si en plus elles sont confrontées à toute une chaîne d’intervenants qui sont biberonnés à la psychanalyse et qui par définition vont mettre en doute tout ce qu’elle raconte, c’est une catastrophe. C’est ce qui explique qu’il y a si peu de pervers sexuels poursuivis en justice. Des psychanalystes vont dire : « c’est elle qui l’a voulu, il n’est pas évident qu’il lui ait fait du mal, « bienvenue à pédoland ! ».

FS : J’ai été stupéfaite quand j’ai vu les sommes que Freud et Lacan demandaient à leurs patients, ce sont des montants exorbitants, et en plus avec Lacan, il y a la durée extrêmement courte des séances (parfois 5 minutes). Pouvez-vous nous parler de la cupidité et du charlatanisme de Freud, de Lacan et autres, et comment ces dispositions prédatrices se sont vues accorder une valeur thérapeutique ?

SR : C’est un truc complètement dingue, rien que pour les sommes demandées et les séances ultra-courtes, à ce niveau d’escroquerie, ce n’est plus de l’escroquerie, c’est de l’art. J’ai été en contact avec un homme qui a fait plusieurs années de psychanalyse en plusieurs tranches, qui est un exemple du fonctionnement de ce système : il payait 110/150 Euros par séance—c’est dans mon livre—mais ces séances duraient quelques minutes. Il faut vraiment être dans un état de dépendance et de suggestion totale pour en arriver là ; c’est un homme qui était dépressif chronique, avec une fragilité due à un état de dépendance et de suggestion. Et c’est comme ça que, avec ces séances à durée variable, souvent très courtes, ça défilait chez Lacan du matin au soir, il recevait 80 personnes par jour, mais c’est facile de recevoir 80 personnes si les séances durent quelques secondes. Ils n’enlevaient même pas leur manteau. Et il faisait revenir certaines personnes, notamment des jeunes femmes, il les faisait revenir parfois plusieurs fois par jour.

FS : Il y a aussi le problème du nombre de psychanalystes célèbres qui couchaient avec leurs patientes, presque tous : Jung, Gross, Ernest Jones, Stekel, Rank, Ferenczi, Fromm, Reich etc.

SR : Pas tous mais presque tous. Pourquoi ils s’en priveraient. A la limite, ils sont dans cette logique…

FS : D’emprise ?

SR : L’objectif d’une psychanalyse, c’est de laisser s’exprimer la vérité de son inconscient. La vérité de l’inconscient, elle n’est pas dans la morale, elle n’est pas dans le conscient, elle n’est pas dans le respect de l’autre, c’est toujours quelque chose d’asocial, la vérité du sujet a toujours quelque chose d’asocial, et les patients se retrouvent transformés en gamins de 4 ou 5 ans encouragés à laisser libre cours à leur désir, quel qu’il soit. Pourquoi ils s’en priveraient ? Même des psychanalystes totalement convaincus s’offusquent de cette situation, et une étudiante en psycho qui cherche un stage pour lesquels les places sont chères peut être la cible de violences et de prédation. Il n’y en pas que dans le milieu psychanalytique mais ce qui est spécial au milieu psychanalytique, c’est que c’est quelque chose qui est inscrit dans la culture. Il y a des pervers partout, n’importe qui peut être un prédateur sexuel, mais dans la psychanalyse, c’est inscrit dans la culture et c’est légitimé par la théorie.

FS : J’ai appris dans le livre de Bénesteau « Mensonges freudiens », qu’Ernest Jones, psychanalyste et auteur d’une biographie de Freud qui fait référence–en fait c’est un thuriféraire et c’est une hagiographie–qu’il avait eu une fillette comme patiente, et qu’il aurait eu des rapports sexuels avec cette petite fille et aurait été condamné par la justice pour acte de pédophilie sur une de ses jeunes patientes.

SR : J’ai entendu parler de cette histoire, et je voulais en parler dans mon livre, et je n’en ai pas parlé parce que je n’ai pas trouvé de référence précise mais je sais qu’à un moment donné, il s’est enfui au Canada ou je ne sais où pour échapper à la justice…

FS : Oui, ça doit être ça.

SR : Je ne sais pas tout à fait ce qui s’est passé mais je ne pense même pas que Jones ait été le pire. A un moment donné, c’est un effet de système, coucher avec ses patientes, c’est normal quoi…

FS : On pouvait même considérer que cela faisait partie de la thérapie à la limite…

RS : Ca fait partie de la thérapie, c’est comme ça…

FS : Il y a une autre question que je voulais aborder mais je ne veux pas abuser de votre temps, c’est le nombre de psychanalysés par Freud ou des séides de Freud qui, aux débuts de la psychanalyse, se sont suicidés. Il y a une proportion d’entre eux qui semble anormale. Certes, beaucoup d’entre eux allaient mal au départ, mais c’est stupéfiant le nombre de gens parmi eux qui ont carrément commis un suicide …

RS : Chez Lacan aussi, c’est connu. Tous les psychiatres, tous les psychologues peuvent avoir des patients qui sont susceptibles de commettre un suicide ou une tentative de suicide. Ce n’est pas en soi quelque de choquant, c’est normal, ça va avec la pathologie mentale, avec la souffrance, ces personnes sont plus susceptibles de tenter de se suicider que la moyenne. Mais c’est le taux qui est phénoménal qui devrait alerter. Et ces suicidés ou TS, ce sont souvent les psychanalystes eux-mêmes…

FS : Oui, c’est présent chez les analysés devenus psychanalystes…

SR : Ca c’est profondément choquant, et ça met en évidence que tout le dispositif de la cure précipite la perte des derniers rapports avec la réalité, les derniers éléments de confiance en soi chez les patients. Le dispositif même de la cure détruit tout ça, et c’est pour ça que la première séance de psychanalyse fondamentaliste a pour objectif de déterminer si le patient va être capable de supporter les effets destructeurs de la cure, ou pas, parce qu’il y a vraiment un gros risque. Le patient court un risque de décompensation psychotique. En fait, il y a des gens qui ne sont pas sur le divan, qui restent en face à face, et on va leur prescrire, ou faire prescrire par d’autres, des antipsychotiques parce que sinon, ils ne vont pas être capables de supporter la cure, et de toute façon, la cure ça déglingue. J’en avais discuté avec une journaliste qui m’avait interviewée à l’époque du « Mur », elle est restée 20 ans en analyse, et elle m’avait dit qu’il y avait un énorme non-dit à ce sujet du suicide chez les psychanalystes et chez les patients de psychanalystes, ce qui, vu son importance, était quelque chose de profondément choquant.